Interdiction fédérale des saveurs dans les produits de vapotage : la commercialisation de la menthe et du menthol demeurerait permise

Saveurs liquides à vapoter

Pour contenir l’épidémie du vapotage chez les jeunes, Ottawa s’apprête à interdire toutes les saveurs dans les liquides à vapoter, sauf celles du tabac, de la menthe et du menthol. Les groupes de santé s’opposent énergiquement à l’exemption accordée aux saveurs mentholées, toujours aussi populaires chez les adolescents.

Pêche, menthe polaire, melon d’eau, orange sanguine : les saveurs alléchantes des liquides à vapoter sont l’une des principales raisons pour lesquelles des milliers de jeunes Canadiens commencent à vapoter. Il s’agit là d’une véritable catastrophe puisqu’on sait que, selon un nombre grandissant d’études, le vapotage augmente grandement le risque de consommer du tabac combustible.

C’est pourquoi, en juin 2021, Santé Canada a enfin publié un décret et un projet de règlement qui, ensemble, interdiraient tous les arômes dans les liquides à vapoter, sauf trois : la menthe, le menthol et le tabac. La consultation sur ces nouvelles règles s’est terminée le 2 septembre.

Si les groupes de santé attendaient impatiemment cette avancée, ils se disent déçus de l’exemption accordée à la menthe et au menthol. Pour eux, la seule saveur acceptable est celle du tabac, comme c’est le cas pour le tabac combustible.

Précisons que la menthe est une plante, alors que le menthol est le composant principal lui donnant sa saveur mentholée.

Réglementations vapotage Canada

Resserrements réglementaires

Les nouveaux règlements fédéraux sur les saveurs s’ajoutent aux autres que Santé Canada a adoptés depuis deux ans. Chacun d’entre eux vise à mieux protéger les jeunes en comblant les nombreuses brèches de la Loi sur le tabac et les produits du vapotage (LTPV), adoptée il y a tout juste trois ans :

  • Depuis décembre 2019, le Règlement sur l’étiquetage et l’emballage des produits de vapotage exige que les produits de vapotage contenant de la nicotine affichent, entre autres, l’avertissement « La nicotine crée une forte dépendance », le symbole universel du poison et la quantité de nicotine exprimée en mg/ml.
  • Depuis juin 2020, le Règlement sur la promotion des produits de vapotage interdit notamment toute publicité qui pourrait être vue ou entendue par un jeune, y compris celles qui sont diffusées sur Internet et dans les points de vente.
  • Depuis juin 2021, le Règlement sur la concentration en nicotine dans les produits de vapotage a fait passer la concentration maximale de nicotine de ces produits de 66 mg/ml à 20 mg/ml, harmonisant de fait la loi canadienne avec la législation européenne.

Pour les groupes de santé, tous ces règlements sont incomplets, sauf celui portant sur la concentration en nicotine. Ils expriment le même mécontentement au sujet des règlements à venir sur l’interdiction des saveurs.

L’objectif : protéger les jeunes

Si Santé Canada renforce la LTPV, c’est d’abord pour éviter que les adolescents et les jeunes adultes s’initient au vapotage. À l’heure actuelle, ils sont proportionnellement plus nombreux que les adultes à vapoter (14 % contre 3 %) même si, en nombre absolu, la majorité des vapoteurs ont plus de 25 ans.

Les adolescents et les jeunes adultes sont particulièrement attirés par les saveurs. Selon un sondage mené pour Santé Canada, ils sont plus susceptibles de vapoter en raison des arômes, comparativement aux Canadiens âgés de plus de 25 ans (51 % contre 30 %). « L’offre d’une gamme d’arômes alléchants […] est l’un des principaux facteurs ayant contribué à l’augmentation rapide du vapotage chez les jeunes », souligne Santé Canada dans son étude d’impact de la réglementation. Or, non seulement il existerait quelque 3000 arômes différents au pays, mais « de nouveaux noms d’arômes, souvent très créatifs, font constamment leur apparition sur le marché », constate l’agence fédérale.

Les noms fruités ou amusants envoient des messages contradictoires sur le degré de nocivité des produits de vapotage. Ainsi, Santé Canada constate que, « chez les jeunes, [ceux] aux arômes de tabac sont généralement considérés comme plus nocifs que ceux ayant d’autres arômes ».

Des saveurs enfin mieux encadrées

À l’heure actuelle, la LTPV interdit seulement la promotion de cinq catégories de saveurs : confiserie, dessert, cannabis, boisson gazeuse et boisson énergisante.

Pour réduire davantage le nombre de saveurs autorisées dans les liquides à vapoter, Santé Canada propose une législation à plusieurs volets. D’abord, Ottawa veut interdire la présence de presque tous les ingrédients donnant un arôme à ces liquides. D’autre part, il souhaite prohiber l’ajout de tout sucre et édulcorant, puisqu’ils attirent les jeunes et renforcent l’effet de la nicotine.

La promotion de presque toutes les saveurs serait aussi proscrite. Enfin, pour empêcher les échappatoires, Santé Canada compte établir une norme sur les « propriétés sensorielles » des liquides à vapoter afin qu’ils n’entraînent pas la perception d’une odeur ou d’un goût autre que celui du tabac, de la menthe ou du menthol.

Une exemption malvenue pour la menthe et le menthol

L’exemption accordée aux saveurs mentholées n’est pas judicieuse, de l’avis de tous les groupes de santé. Il s’agit d’une « immense concession octroyée à l’industrie du vapotage qui minera les efforts visant à protéger les jeunes », affirme le communiqué de presse de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. De fait, lorsqu’il est mélangé à de la nicotine, le menthol devient un ingrédient particulièrement insidieux qui diminue l’irritation causée par la nicotine, tout en renforçant les effets de cette drogue.

Les groupes ont l’impression que l’histoire se répète. En 2009, Ottawa avait exempté les arômes de menthe et de menthol de la loi qui interdisait les saveurs dans les produits de tabac combustible, en les qualifiant d’historiques. Huit ans plus tard, le Canada mettait toutefois fin à cette incohérence en retirant aussi ces saveurs de tous les produits du tabac.

L’attrait du menthol auprès des jeunes

Ceux qui, à l’heure actuelle, souscrivent au maintien des saveurs mentholées dans les liquides à vapoter oublient que, contrairement à une croyance répandue, elles ne sont pas des « saveurs d’adulte ».

Selon l’Enquête canadienne sur le tabac et la nicotine de 2020, ces arômes sont consommés par 17 % par des Canadiens de 15 à 19 ans ayant vapoté au cours des 30 derniers jours, soit le même pourcentage que chez les vapoteurs de 20 ans et plus. Au Québec, le menthol demeure la saveur préférée de 19 % des vapoteurs de 16 à 24 ans, devant la mangue (13 %), relève un sondage mené par la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC du Canada auprès de 3000 jeunes Canadiens qui vapotent régulièrement. Seules les saveurs de baies se révèlent plus populaires (45 %).

« Chez les jeunes, les produits de vapotage aux arômes de tabac sont généralement considérés comme plus nocifs que ceux ayant d’autres arômes. » – Santé Canada

Restreindre les arômes : un mouvement mondial

Ailleurs, la réglementation sur les saveurs varie. Les États-Unis, par exemple, ont adopté une loi très incomplète, qui interdit seulement certaines saveurs dans certains types de produits de vapotage, entraînant ainsi de nombreux effets pervers.

Le Danemark et l’Ontario, de leur côté, autorisent les produits de vapotage aromatisés à la menthe, au menthol ou au tabac dans les commerces accessibles aux mineurs, mais limitent la vente des autres arômes aux magasins spécialisés.

D’autres gouvernements sont moins permissifs. Ceux de la Finlande, de l’Île-du-Prince-Édouard et de la Nouvelle-Écosse, par exemple, interdisent toutes les saveurs dans les liquides à vapoter, sauf celle du tabac, point.

Enfin, l’Union européenne permet aux pays membres de réglementer cette question comme ils l’entendent. Cependant, en prévision du renouvellement de la directive européenne sur le tabac, un rapport note qu’il est « indéniable que les arômes présents dans les e-liquides attirent les jeunes et les adultes » et que « les États membres décident de plus en plus [de les] interdire ».

Au Canada, l’industrie se mobilise afin qu’Ottawa maintienne le statu quo, c’est-à-dire la vente de toutes les saveurs dans tous les types de points de vente. Interdire les arômes aura pour effet de « rendre l’abandon du tabac plus difficile pour les adultes », prétend l’Association des représentants de l’industrie du vapotage, un regroupement qui inclut notamment Imperial Tobacco Canada, le distributeur de la cigarette électronique Vuse.

Cette position de l’industrie est fallacieuse : utiliser des produits de vapotage, aromatisés ou non, ne garantit en rien qu’un fumeur renoncera au tabac. Car pour augmenter ses chances de réussite, il doit aussi vouloir cesser de fumer, délaisser complètement le tabac, vapoter quotidiennement, ainsi de suite, sans oublier que les experts recommandent fortement un suivi réalisé par un professionnel de la santé.

Transformer les produits de vapotage en médicament?

Mentionnons aussi que les règlements sur les produits de vapotage adoptés par Santé Canada ne visent que les appareils vendus comme produits de consommation. S’ils étaient commercialisés en tant que médicament – et homologués comme tels –, ils pourraient probablement contenir des saveurs et des taux de nicotine plus élevés, et être promus dans certains médias. « Si le Parlement restructure la Loi afin d’assurer que les cigarettes électroniques sont fournies seulement à des fumeurs, dans un contexte de cessation ou de réduction des risques, la question des saveurs et de la concentration nicotinique pourrait être revue », écrit l’organisme Médecins pour un Canada sans fumée (notre traduction). C’est d’ailleurs cette option qu’a choisie l’Australie, en exigeant que les produits de vapotage soient vendus sur prescription et seulement en pharmacie.

Au Canada, l’adoption de ces nouveaux règlements sur les saveurs ne marque pas la fin des actions visant à diminuer le vapotage chez les jeunes. De nombreux autres facteurs contribuent vraisemblablement à leur attrait pour ces produits, par exemple, les activités promotionnelles sur les médias sociaux, qui perdurent malgré les règlements existants. Les groupes de santé, eux, pointent du doigt l’arrivée incessante de nouveaux produits sur le marché. Ils aspirent à ce qu’on oblige les fabricants à notifier les autorités avant de lancer tout nouveau produit du tabac, comme c’est le cas dans l’Union européenne depuis près de 10 ans. Un dossier qui est, sans aucun doute, à suivre de près.

Anick Labelle