Les nouveaux visages de la nicotine

Jeunes adolescents visage du vapotage

La consommation de la nicotine change : le taux de tabagisme diminue peu à peu, alors que celui du vapotage augmente en flèche. Pis encore, ces nouveaux produits attirent proportionnellement plus de jeunes que d’adultes.

Les appareils de vapotage, avec leur pile, leur élément chauffant et leurs liquides aromatisés, transforment la consommation de la nicotine. Les dernières données sur l’usage du tabac et des produits de vapotage de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) et de Statistique Canada le confirment. Si l’usage du tabac combustible poursuit sa lente décroissance, celui des produits de vapotage s’élève ou se maintient, surtout parmi les adolescents et les jeunes adultes.

En parallèle, de nouveaux outils cliniques permettent d’accompagner les vapoteurs souhaitant se libérer de leur dépendance à la nicotine (voir l’article « Comment renoncer aux produits de vapotage? »). Il reste toutefois à créer des corridors de services et à mieux coordonner les professionnels concernés par ce dossier, que ce soit dans le réseau scolaire ou celui de la santé. Le temps presse, car les jeunes qui vapotent quadrupleraient leur risque de s’initier au tabagisme.

Statistiques élèves du secondaire vapotent 2019

 

1.  L’Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool, la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire (ETADJES)

En novembre et décembre 2019, l’ISQ a questionné 5100 élèves québécois de la 1re à la 5e secondaire dans le cadre de son ETADJES. L’édition précédente de cette enquête datait de 2013.

Notons d’abord la bonne nouvelle : en six ans, la proportion de jeunes qui ont fumé un produit du tabac combustible au cours des 30 derniers jours est descendue de 12 % à 9 %. La proportion de fumeurs parmi les élèves de 5e secondaire demeure toutefois beaucoup plus élevée, à 15 %.

L’autre bonne nouvelle, c’est que les adolescents commencent plus tardivement à fumer une cigarette entière. En 2013, 2 % d’entre eux l’avaient fait avant l’âge de 12 ans; en 2019, cette proportion avait diminué de plus de la moitié, à 0,6 %.

Explosion du vapotage

Pourcentage élèves du secondaire qui ont vapoté 30 derniers jours 2019Entre-temps, l’usage des produits de vapotage a explosé, ce qui inquiète les milieux scolaire et politique, ainsi que celui de la santé. En six ans, la proportion d’adolescents québécois qui ont vapoté au cours des 30 derniers jours a crû de 4 % à 21 %. En 5e secondaire, il s’agit de plus d’un élève sur trois (35 %).

En dernière analyse, l’ISQ conclut que 23 % des jeunes consomment de la nicotine aujourd’hui, puisqu’il ne compte qu’une seule fois les doubles utilisateurs, c’est-à-dire ceux qui fument et qui vapotent (7 %).

Une dépendance méconnue

Les élèves qui vapotent – ou qui se dosent, comme certains le disent eux-mêmes – présentent une forte probabilité de devenir dépendants à la nicotine. Non seulement 90 % d’entre eux choisissent-ils des liquides à vapoter avec de la nicotine, mais leur cerveau en développement est particulièrement sensible à cette substance hautement toxicomanogène. Pour les auteurs de l’ETADJES, le vapotage pourrait donc « augmenter les risques [qu’un] jeune passe à la cigarette plus tard ».

À l’heure actuelle, plusieurs adolescents ayant vapoté au cours des 30 derniers jours semblent souffrir d’une dépendance à leur insu. Parmi eux, seulement un sur six (16 %) s’estime assez ou très dépendant. Pourtant, près de 30 % des jeunes vapoteurs aspirent des bouffées de leur appareil tous les jours ou presque.

De plus, on devine qu’une bonne partie des jeunes vapoteurs se dosent vraisemblablement sur le terrain de l’école, puisque 21 % de tous les élèves respirent des aérosols secondaires de façon quotidienne ou quasi quotidienne. En 5e secondaire, cette exposition aux aérosols touche 32 % des élèves.

Un risque sous-estimé

Saveurs liquides à vapoter Une autre donnée inquiétante se dégage : si 90 % des adolescents croient que vapoter tous les jours présente un risque modéré ou élevé, seulement 44 % d’entre eux estiment que c’est aussi le cas du vapotage occasionnel. Or, si la fréquence de consommation d’un produit influe sur son niveau de dangerosité, c’est également le cas de la durée de cette consommation et des quantités consommées. En somme, les méfaits du vapotage sur la santé demeurent indéniables, qu’un vapoteur se dose chaque jour ou à l’occasion.

Enfin, mentionnons que les élèves qui vapotent consomment surtout des liquides à saveur de fruits (85 %) de menthe (44 %), de bonbon (34 %), de dessert (15 %) ou de tabac (10 %).

Facteurs de risque communs aux vapoteurs et aux fumeurs

Les adolescents qui vapotent présentent plusieurs points communs avec ceux qui fument la cigarette. Par exemple, ils se procurent essentiellement de la même façon leur produit nicotiné : celui-ci leur est donné par un ami (chez 72 % des vapoteurs et 63 % des fumeurs) ou l’achat est effectué par une autre personne (chez environ 40 % d’entre eux).

De plus, parmi les jeunes qui vapotent ou qui fument, environ un sur six trouve en magasin son nécessaire à vapoter (13 %) ou son tabac (18 %), bien que la Loi concernant la lutte contre le tabagisme interdise la vente aux mineurs. Enfin, si 8 % des jeunes vapoteurs s’approvisionnent sur Internet, l’ISQ ignore quelle proportion de jeunes fumeurs se procure du tabac en ligne.

Les élèves qui ont vapoté ou fumé au cours des 30 derniers jours partagent également de nombreux facteurs de risque. Ils sont tous plus susceptibles :

  • de provenir d’une famille monoparentale ou reconstituée, plutôt que d’une famille biparentale ou en garde partagée;
  • d’avoir des parents sans diplôme d’études secondaires, plutôt que des parents diplômés de l’université;
  • de recevoir une allocation hebdomadaire de 51 $ ou plus, plutôt que de 10 $ ou moins;
  • de compter, respectivement, beaucoup d’amis et de parents qui vapotent ou qui fument la cigarette.

Enfin, de manière étonnante, l’ETADJES signale que la probabilité qu’un jeune vapote ou fume ne dépendrait pas du milieu socioéconomique de son école.

2. L’Enquête canadienne sur le tabac et la nicotine (ECTN)

En 2019, Statistique Canada a remplacé l’Enquête canadienne sur le tabac, l’alcool et les drogues (ECTAD) par l’ECTN. L’ECTN est moins représentative que l’ECTAD, puisqu’elle sonde environ deux fois moins de Canadiens. Plus précisément, l’édition 2020 de l’enquête s’appuie sur des données récoltées auprès de quelque 8100 Canadiens âgés de 15 ans et plus, entre décembre 2020 et janvier 2021.

À l’instar de l’ETADJES, l’ECTN révèle un déclin de la prévalence du tabagisme, qui a chuté de 14 % à 12 % depuis 2019 pour l’ensemble des produits tabagiques, selon les statistiques détaillées obtenues par Info-tabac.

Le portrait que l’enquête dresse des jeunes est plus contrasté. Le recul relevé chez les 20 à 24 ans est marqué (de 18 % à 13 %), alors qu’il est à peine perceptible chez ceux de 15 à 19 ans (de 7 % à 6 %).

Le vapotage, une affaire de jeunes

Prévalence vapotage CanadaContrairement au taux de tabagisme, celui du vapotage est resté stable. En 2020, comme en 2019, 5 % des Canadiens ont aspiré ces aérosols chimiques au cours des 30 derniers jours. En outre, ce comportement demeure surtout populaire chez les jeunes. Ainsi, parmi les Canadiens de 15 à 19 ans, un sur sept vapote (14 %). Chez les 25 ans et plus, c’est moins d’une personne sur vingt (3 %).

Mentionnons aussi que, si les saveurs de fruits obtiennent la préférence de tous les vapoteurs, elles restent plus populaires auprès des jeunes de 15 à 19 ans (63 %) qu’auprès des adultes de 25 ans et plus (38 %). Les raisons de vapoter changent également selon le groupe d’âge. Les trois quarts des jeunes de 15 à 19 ans se dosent par plaisir, par curiosité ou pour diminuer leur stress. À l’inverse, un peu plus de la moitié des adultes de 25 ans et plus utilisent une cigarette électronique pour cesser de fumer, réduire leur usage de la cigarette ou éviter de recommencer.

Qui plus est, une moins grande proportion de fumeurs a choisi le vapotage pour se libérer du tabac en 2020 (27 %) qu’en 2019 (36 %). En 2020, parmi ceux qui ont essayé d’arrêter de fumer :

  • 65 % ont tenté d’y arriver par eux-mêmes, sans aide;
  • 49 % ont réduit leur consommation de cigarettes;
  • 32 % ont opté pour une thérapie de remplacement de la nicotine;
  • 27 % ont utilisé un produit de vapotage.

Les services J’ARRÊTE n’ont attiré que 2 % des fumeurs et ex-fumeurs, leur popularité se classant derrière celle du pacte avec un ami ou un proche (13 %) et celle des applications pour téléphone intelligent (6 %).

3. Enquête québécoise sur le tabac et les produits de vapotage (EQTPV)

Moyens utilisés fumeurs pour cesser. Aide pharmacologique. Vapotage.La première EQTPV a été lancée en 2020, pour remplacer l’Enquête sur les habitudes tabagiques des Québécois. Pour sa première édition, elle a sondé 13 500 Québécois de 15 ans et plus entre juillet et novembre 2020.

Comme l’ECTN, cette enquête québécoise confirme de nettes différences générationnelles dans l’usage des produits du tabac et de vapotage. Parmi les répondants qui ont fumé ou vapoté au cours des 30 derniers jours, 21 % des personnes de 15 à 24 ans ont fumé et vapoté. Parmi les répondants de 25 ans et plus, c’est « à peine » 8 %.

L’EQTPV signale aussi que les fumeurs ayant tenté de se libérer du tabac au cours des deux dernières années ont moins eu recours au vapotage (21 %) qu’à une aide pharmacologique (38 %). Enfin, parmi les vapoteurs, non moins de 43 % souhaitent se libérer de leur dépendance à la nicotine. Pour y arriver, 17 % d’entre eux songent à se tourner vers… une aide pharmacologique.

Il n’y a aucun doute : les utilisateurs de nicotine changent, de même que leurs modes de consommation, mais leur dépendance, elle, demeure!

Anick Labelle