Un projet de démonstration de dépistage du cancer du poumon pour le Québec

Un professionnel de la santé qui montre un scan de poumons sur une tablette à un patient fumeur.

Le tabac cause environ 75 % des cancers du poumon au Québec. Ce cancer est non seulement le plus diagnostiqué dans la province, mais aussi celui qui fauche le plus grand nombre de Québécois. Un projet de démonstration permettra de diagnostiquer plus tôt les Québécois présentant un risque de contracter ce cancer et de leur offrir de l’aide pour cesser de fumer.

En 2019, 8 900 Québécois ont appris qu’ils avaient un cancer du poumon. Le constat le plus triste est qu’à peine 25 % d’entre eux y ont survécu, parce que leur maladie, dans la plupart des cas, a été détectée trop tard.

C’est pourquoi, le 31 mai 2021, le Québec a annoncé un projet de démonstration de trois ans visant à dépister le cancer du poumon chez les personnes à risque en recourant à la tomodensitométrie à faible dose, qu’on nomme aussi tomographie axiale (scan). L’objectif est de détecter la maladie plus tôt en espérant pouvoir commencer les traitements à temps et, donc, améliorer le taux de survie des personnes atteintes.

Pour certains groupes de lutte contre le tabagisme et spécialistes du soutien à la cessation, le gouvernement donne à ce programme une priorité qu’il ne mérite pas. Car au moment même où le dépistage systématique de ce cancer se met en place, les établissements de santé tardent à offrir systématiquement à leurs patients fumeurs du soutien à la cessation. En somme, de l’avis de ces experts, le programme de dépistage arrive trop tard dans le parcours des fumeurs, et ils préconisent plutôt de prévenir le tabagisme ou de soigner les fumeurs avant même l’apparition d’un cancer du poumon.

Un programme qui cible les 55 à 74 ans

Doté d’un budget de 9 M$, le projet du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) s’adresse précisément aux Québécois de 55 à 74 ans présentant un risque élevé de contracter un cancer du poumon, soit ceux qui ont fumé pendant au moins 20 ans et qui demeurent fumeurs, ou ceux qui ont cessé de fumer depuis moins de 15 ans. Le MSSS souhaite tester à deux reprises 3000 personnes à risque. Une trentaine de cancers du poumon pourraient ainsi être repérés, soit une proportion équivalente aux cancers détectés dans le cadre des programmes de dépistage du cancer du sein ou du cancer colorectal.

Se conformant aux meilleures pratiques, ce projet comporte aussi un volet d’accompagnement à la cessation tabagique soutenu par les intervenants de la Ligne J’ARRÊTE.

Sur le terrain, le projet est dirigé par l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de l’Université Laval. Neuf communautés innues de la Côte-Nord y participent, de même que sept établissements de santé : le Centre hospitalier universitaire de l’Université de Montréal (CHUM), le Centre universitaire de santé McGill (CUSM), le centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’Estrie-CHUS ainsi que les centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) de la Côte-Nord, de Laval, de Montérégie-Centre et de l’Outaouais.

La moitié des cancers du poumon sont diagnostiqués trop tard, quand les chances de survie ne dépassent pas 10 %. Pourtant, détectés suffisamment tôt, ces cancers ont un taux de survie qui peut dépasser 90 %!

Un bon candidat pour le dépistage

Outre le Québec, plusieurs autres régions ou pays vont de l’avant avec des programmes semblables, ou s’apprêtent à le faire. C’est le cas notamment de plusieurs provinces canadiennes, de l’Union européenne et des États-Unis.

Au Québec, ce programme est recommandé par l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS). Le cancer du poumon est « un très bon candidat » pour le dépistage, affirme le Partenariat canadien contre le cancer (PCCC). L’organisme, qui coordonne la Stratégie canadienne de lutte contre le cancer, contribue financièrement au projet québécois. En fait, la moitié des cas de ce cancer sont diagnostiqués trop tard, alors que des métastases sont présentes et que les chances de survie des personnes atteintes chutent à 10 %. Pourtant, le taux de survie peut dépasser 90 % si la maladie est détectée suffisamment tôt!

Les professionnels de santé mis à contribution

Pour participer au programme de dépistage québécois, les personnes qui fument ou qui ont fumé peuvent communiquer directement avec le centre de coordination ou y être dirigées par un médecin ou une infirmière.

Afin de faire connaître ce projet aux professionnels de la santé, le MSSS l’a notamment présenté à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec et à la Fédération des médecins spécialistes du Québec. De plus, le MSSS a ajouté une fiche à ce sujet dans la section consacrée aux adultes du Guide des bonnes pratiques en prévention clinique. Enfin, un site Web regroupe les informations et les outils liés au programme qui sont utiles aux professionnels de la santé.

Un incontournable : le soutien à la cessation tabagique

Si dépister le cancer du poumon est une bonne mesure, il reste que la meilleure façon de prévenir cette maladie est une vie sans fumée. C’est pourquoi intégrer dans ce type de programme un soutien à la cessation tabagique en « améliore considérablement la rentabilité », indique le PCCC en se basant sur différentes études. Un tel ajout permet de réduire le nombre de personnes qui fument et, donc, qui seront atteintes d’un autre cancer ou d’une des nombreuses autres maladies – souvent mortelles – que cause le tabac.

Concrètement, le centre de coordination du programme demande à tous les participants s’ils acceptent qu’on transfère leurs coordonnées à la Ligne J’ARRÊTE. Ceux qui y consentent reçoivent au moins quatre appels d’un intervenant de la Ligne dans le cours d’une année. Cette aide gratuite, bilingue, confidentielle et sans jugement, leur permettra, s’ils le souhaitent, de réfléchir à leurs désirs, à leurs valeurs et à leur relation avec le tabac, tout en obtenant des renseignements sur les aides pharmacologiques, entre autres.

Les responsables de la Ligne J’ARRÊTE s’attendent que ce programme entraîne quelque 2500 interventions annuelles supplémentaires chaque année.

Un accompagnement de qualité pour les fumeurs

Fumeur et intervenante de la Ligne J'ARRÊTE

D’autre part, les études révèlent l’effet incertain qu’a le soutien à la cessation quand il est offert dans le cadre d’un programme de dépistage du cancer du poumon. Cela s’expliquerait par la grande variété des formes d’accompagnement, selon un article paru en 2019 dans Translational Lung Cancer Research. « Les programmes de dépistage du cancer du poumon sont un nouveau domaine en pleine évolution, l’intégration d’une ressource en cessation tabagique n’est [donc] pas réalisée de manière uniforme et, lorsqu’elle est faite, il n’y a pas d’approche standardisée », écrivent les auteurs Matthew Steliga et Ping Yang.

Quand l’accompagnement est de qualité, les résultats en font foi, notent les deux chercheurs. Justement, on retrouve cette qualité dans l’accompagnement offert par la Ligne J’ARRÊTE , qui est structuré, fondé sur l’entretien motivationnel et donne accès à une pharmacothérapie.

« Cette collaboration de la Ligne J’ARRÊTE avec le programme de dépistage servira aussi à renforcer l’intégration de la cessation tabagique dans les soins de santé », précise Valérie Hamel, gestionnaire principale, Programmes d’abandon tabagique à la Société canadienne du cancer. « Nous collaborons déjà avec quelques points de service, dont le CHUM, ce qui permet d’offrir des services complémentaires de première qualité en cessation tabagique et, donc, d’apporter un répit aux professionnels de la santé. »

Selon Matthew Steliga et Ping Yang, il est préférable d’informer le patient que le dépistage du cancer du poumon comporte de facto une discussion avec un spécialiste en cessation tabagique, plutôt que de lui demander s’il accepte qu’on aborde ce sujet avec lui. Dans le programme de dépistage ontarien, lorsque ce soutien était présenté comme un soin standard, 88 % des participants l’ont accepté, et 93 % d’entre eux se sont déclarés satisfaits des services reçus. C’est aussi vers ce modèle que tend le projet québécois.

Travailler davantage en amont

Tout en reconnaissant les effets salutaires de ce programme de dépistage, certains professionnels de la santé aimeraient que le Québec lutte davantage en amont contre les méfaits du tabagisme.

Dépister le cancer du poumon « n’empêchera pas les 14 autres cancers ni les 22 autres maladies causées par le tabagisme », écrivent dans La Presse deux experts du soutien à la cessation tabagique, le Dr Mark-Andrew Stefan du CISSS de Laval, et le Dr Sean Gilman du CUSM.

En janvier 2019, ces deux médecins ont réclamé un meilleur accès aux thérapies de remplacement de la nicotine (TRN), au nom du Regroupement d’experts pour la cessation tabagique. Rappelons qu’à l’heure actuelle, la Régie d’assurance maladie du Québec (RAMQ) rembourse seulement une fois par année, et pendant un maximum de 12 semaines, une dose quotidienne de TRN de 21 mg ou moins – même si un professionnel de la santé prescrit un traitement plus long ou plus intensif! Pour les Drs Gilman et Stefan, ce sont là des critères d’admissibilité « arbitraires » qui ne correspondent ni aux connaissances scientifiques ni aux meilleures pratiques cliniques.

Un rapport de l’INESSS sur cette question est peu concluant, selon eux, car il ne se prononce pas sur les grands fumeurs, soit ceux qui consomment plus de 40 cigarettes par jour. Or, ce seraient qui profiteraient en particulier d’un régime plus généreux de remboursement des TRN.

« Le dépistage s’avère une mesure complémentaire à la prévention du tabagisme et au soutien apporté aux fumeurs qui veulent se libérer du tabac, affirme Jacinthe Hovington, responsable de la liaison avec le Québec au PCCC. Le soutien à la cessation faisant partie du projet de dépistage interpellera peut-être des fumeurs qui, autrement, n’auraient jamais essayé de vivre sans tabac. »

En dernière analyse, c’est l’évaluation du projet menée par le MSSS, l’INESSS et l’Institut national de santé publique du Québec qui nous apprendra à quel point le projet québécois a atteint ses objectifs, soit ceux de dépister davantage de cancers du poumon et de réduire les risques d’en souffrir ou d’en mourir.

Anick Labelle