Thérapies de remplacement de la nicotine : à quand un meilleur accès?
Décembre 2019 - No 142
Cesse-t-on plus facilement de fumer en recourant à de plus fortes doses de thérapies de remplacement de la nicotine? Un rapport de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) s’est penché sur la question.
Arrêter de fumer n’est pas facile, et bien que certains fumeurs y arrivent seuls, plusieurs ont besoin d’aides pharmacologiques et d’un soutien comportemental. Parmi les aides antitabagiques les plus connues, on trouve les thérapies de remplacement de la nicotine (TRN). Alors que l’efficacité des doses usuelles (21 mg ou moins) est documentée, celle des doses plus élevées administrées sous forme de timbres (plus de 21 mg) ne l’est pas. Pourtant, ces dernières sont utilisées sur le terrain, surtout dans les cas de fumeurs ayant déjà tenté un arrêt tabagique ainsi que ceux présentant des problèmes plus importants de dépendance à la nicotine (25 cigarettes ou plus par jour), des problèmes de santé mentale ou des problèmes de consommation de substances.
Compte tenu de cette situation, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a mandaté l’INESSS de produire un état des connaissances sur l’efficacité des plus hautes doses des TRN administrées sous forme de timbres. Mentionnons que cette demande s’inscrit dans le cadre de la révision du Plan québécois de lutte contre le tabagisme et répond à la volonté du MSSS d’améliorer l’accès aux aides antitabagiques. Un accès amélioré qu’un groupe de 57 professionnels de la santé a d’ailleurs réclamé en janvier 2019.
Lettre des professionnels de la santé : des demandes urgentes
Ce groupe de professionnels de la santé – des pneumologues, médecins ou infirmières – a envoyé une lettre à la sous-ministre adjointe du MSSS, afin de signaler les déficiences du régime actuel de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) concernant le remboursement des aides pharmacologiques de cessation tabagique. Des déficiences qui empêchent malheureusement de nombreux fumeurs de profiter au maximum des médicaments existants et d’entreprendre toutes les tentatives nécessaires afin d’abandonner le tabac.
En effet, pour l’instant, le régime de la RAMQ limite l’accès à des médicaments tels que les TRN, le bupropion et la varénicline à un cycle de traitement par an. La durée maximale du traitement est de 12 semaines pour les TRN et le bupropion, et de 24 semaines pour la varénicline. De plus, les pharmaciens doivent appeler la RAMQ pour assurer la couverture des doses de 21 mg et plus, tout comme pour obtenir l’autorisation de prescrire une plus grande quantité de timbres (procédure que certains pharmaciens ignorent!). Un non-sens, selon les médecins, puisque les besoins des patients diffèrent, certains nécessitant, par exemple, un traitement de courte durée à faible dose et d’autres, un traitement de longue durée à plus forte dose. C’est pourquoi le groupe de professionnels de la santé réclame que les aides antitabagiques soient disponibles et subventionnées sans restriction de durée, de fréquence et de dose.
Leur lettre souligne également l’injustice suivante : la RAMQ refuse le remboursement si, au cours des 12 semaines, un patient omet d’aller chercher son médicament, que ce soit en raison d’une situation indépendante de sa volonté ou par simple oubli. Il se voit alors contraint d’attendre une année complète avant d’avoir de nouveau accès aux traitements subventionnés. Un tel délai est suffisant pour démotiver quiconque souhaitant arrêter de fumer! De plus, les médecins se questionnent sur les raisons derrière un tel système qu’ils estiment « punitif », sachant qu’il n’existe aucune autre classe de médicaments prescriptibles qui cesse d’être remboursée en cas d’interruption. Après tout, pourquoi les fumeurs ne peuvent-ils pas être traités au même titre que les patients souffrant d’une autre dépendance, comme l’héroïne, ou d’une maladie chronique, comme le diabète? Sans compter que de telles règles nuisent doublement aux fumeurs des milieux défavorisés qui, en plus d’être financièrement incapables d’acheter ces médicaments, sont généralement plus dépendants à la nicotine que la moyenne des fumeurs.
Le rapport de l’INESSS : un premier pas dans la bonne direction
Afin de produire un état des connaissances sur l’efficacité des plus hautes doses de nicotine, l’équipe de l’INESSS a fait une revue systématique (RS) de RS et de guides de pratique clinique. Parmi les documents répertoriés, environ 10 études comparaient l’efficacité des doses usuelles des TRN (21/22 mg) à des doses plus élevées (42/44 mg). L’analyse de ces études fait ressortir que les deux doses ont une efficacité similaire chez des gens fumant en moyenne 20 cigarettes par jour, et ce, avec un niveau de preuve scientifique jugé élevé. Cependant, l’INESSS note qu’il est difficile d’appliquer ces résultats aux gens fumant plus de 38 cigarettes par jour (c’est-à-dire plus d’un paquet et demi) puisque ces derniers étaient sous-représentés dans les études. Autre donnée importante du rapport : bien que les doses de 42/44 mg soient aussi efficaces que celles de 21/22 mg pour les fumeurs qui complètent leur traitement, les études démontrent un taux plus élevé d’abandon du traitement chez les patients utilisant de fortes doses. Il est possible que ce soit parce que ces dernières entraînent plus fréquemment des effets indésirables. L’INESSS propose plus d’études sur le sujet.
Enfin, en ce qui concerne la durée et la fréquence des traitements, l’INESSS estime qu’il serait intéressant d’étudier les répercussions de prescriptions plus longues, tout comme d’évaluer la possibilité de couvrir plus d’un essai d’arrêt tabagique par année.
La réaction des experts en cessation tabagique
La réaction du Dr Sean Gilman, directeur du programme d’abandon du tabac au Centre universitaire de santé McGill (CUSM) et porte-parole pour le Regroupement d’experts pour la cessation tabagique, est sans équivoque : « Mes collègues et moi sommes reconnaissants des efforts déployés par le MSSS et l’INESSS, mais malheureusement, le rapport répond plus ou moins à nos demandes. Certes, ce dernier confirme que les timbres de 42 mg et de 21 mg ont une efficacité similaire chez les personnes qui fument environ 20 cigarettes par jour, mais voilà une chose que la communauté médicale savait déjà par expérience! Ce dont nous avons besoin, ce sont des études qui comparent l’efficacité de ces doses chez de plus gros fumeurs ou chez des fumeurs présentant des problèmes de santé mentale et de toxicomanie. De plus, bien que le document conclue sur une ouverture à l’idée de couvrir plusieurs essais par année, nous espérions plus que des mots, c’est-à-dire des changements concrets et rapides dans le système de remboursement, et ce, en faveur des patients. » De toute évidence, le dossier est loin d’être clos. Reste à voir quels seront les prochains gestes posés, tant du côté des médecins que celui du MSSS.
Explications du Dr André Gervais
Sans être l’un des signataires de la lettre, le Dr André Gervais, médecin-conseil à la Direction régionale de santé publique du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, abonde dans le même sens que ses pairs. Lors d’une conférence donnée en novembre 2019 à la Société canadienne du cancer (voir article « L’abandon du tabac en 2019 »), il a mis l’accent sur le point suivant : « Dans la pratique, les intervenants en cessation tabagique combinent désormais un ou plusieurs timbres de nicotine à des TRN à courte action comme les gommes, les pastilles ou le vaporisateur, puisque c’est ce qui s’avère le plus efficace. Par conséquent, on a davantage besoin d’études qui confirment l’efficacité de ces différents types de traitement que sur l’efficacité des timbres utilisés seuls. » Du moins, données probantes ou pas, il est tout à fait d’accord avec la bonification du régime de la RAMQ afin que les professionnels de la santé puissent utiliser les médicaments à leur plein potentiel et ainsi aider des milliers de Québécois à arrêter de fumer.
En somme, même si le rapport de l’INESSS confirme l’efficacité similaire des timbres de 42 et 21 mg pour certains fumeurs, et recommande de poursuivre les recherches sur les aides pharmacologiques, une question importante demeure sans réponse : pourquoi la RAMQ et, derrière elle, le MSSS exigent-ils encore des études plutôt que de se fier aux experts qui constatent sur le terrain l’efficacité de combiner les aides antitabagiques ou de recommander des doses plus fortes ou des traitements plus longs? Cela est d’autant plus étonnant que, comme le rappelle la lettre des 57 professionnels de la santé, les aides antitabagiques coûtent bien moins cher que les soins apportés à une personne atteinte, par exemple, d’un cancer ou d’un trouble cardiaque, deux maladies liées au tabagisme. Il s’agit de questions fondamentales dans un contexte politique où, rappelons-le, le gouvernement du Québec s’est fixé comme objectif de réduire le taux de tabagisme à 10 % d’ici 2025 afin de préserver la vie – et la qualité de vie – de millions de gens.
Catherine Courchesne