Produits de vapotage : une industrie à réglementer
Octobre 2019 - No 140
Les produits du vapotage sont sur la sellette depuis quelques semaines en raison des maladies pulmonaires aiguës qu’ils auraient entraînées chez des centaines d’usagers. Alors que les groupes de santé exigent un renforcement sans délai de la loi canadienne, Santé Canada multiplie les consultations sur l’usage des produits de vapotage et sur leur encadrement.
Les produits de vapotage présentent un dilemme au Canada. En effet, comment permettre aux fumeurs adultes des produits contenant de la nicotine sécuritaires et de bonne qualité tout en évitant que ceux-ci occasionnent des effets indésirables, comme moins de tentatives de cessation, une hausse du vapotage ou du tabagisme, voire des problèmes de santé? La Loi sur le tabac et les produits du vapotage, adoptée en mai 2018, était censée résoudre cette question. Mais son approche, trop laxiste, n’a pas empêché une forte hausse du vapotage chez les jeunes Canadiens ainsi que des cas de sévères maladies pulmonaires chez des centaines de vapoteurs aux États-Unis et ailleurs, dont quelques-uns au Canada.
Les consultations à foison de Santé Canada
Santé Canada s’attelle donc à actualiser ses règlements. Cette mise à jour progresse toutefois lentement, à coup de consultations et de sondages. Depuis mars 2019, Santé Canada a publié au moins cinq documents sur l’encadrement ou l’usage des produits du vapotage : un projet de règlement sur leur étiquetage et leur emballage, les résultats d’une consultation sur leur promotion ainsi que trois études concernant les perceptions des Canadiens sur la nicotine et les produits à risque réduit (voir l’encadré). Enfin, en avril 2019, Santé Canada a lancé une consultation à propos de la réglementation sur les caractéristiques des produits de vapotage, incluant leurs arômes et leur taux de nicotine. Pendant ce temps, toutefois, rien ne bouge sur le terrain, alors que les nouvelles inquiétantes se multiplient.
Une indispensable précaution
Toutes ces manœuvres gouvernementales font peut-être oublier le nœud du problème : la réticence de Santé Canada à appliquer le principe de précaution, qui serait pourtant de mise. Rappelons que Santé Canada a publié fin septembre une mise en garde sur les produits du vapotage à la suite de la mort de plusieurs vapoteurs aux États-Unis, bien que la cause exacte de leur décès demeure inconnue. Rappelons aussi que le vapotage a augmenté de 74 % chez les jeunes Canadiens entre 2017 et 2018, et que le taux de tabagisme stagne au Canada depuis au moins 2015. Enfin, si le caractère toxicomanogène (addictif) de la nicotine est bien établi, l’effet des produits du vapotage sur l’arrêt tabagique demeure mitigé. D’ailleurs, aucun d’entre eux n’a été soumis aux autorités pour être homologué comme outil de soutien à l’arrêt tabagique, alors que ces derniers sont vendus sur le marché canadien depuis plus de 10 ans!
Pour les groupes de santé, il est donc temps d’accélérer le pas. En septembre, huit groupes (incluant l’Association médicale canadienne, Médecins pour un Canada sans fumée, la Société canadienne du cancer, la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC et la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac) ont demandé que le prochain gouvernement s’engage à signer un arrêté d’urgence dans les 60 jours suivant son élection afin de restreindre la publicité des produits du vapotage aux adultes et de limiter leurs arômes et leur taux de nicotine. Pour l’instant, Santé Canada en est bien loin.
Étiquetage trop permissif
Où en est l’agence fédérale, exactement? En juin 2019, l’agence fédérale a publié son projet de règlement sur l’étiquetage et l’emballage des produits du vapotage. À l’heure actuelle, contrairement aux États-Unis ou à l’Europe, le Canada n’exige pas que ces produits affichent une mise en garde sur leurs risques spécifiques (dommage possible aux systèmes cardiovasculaire ou respiratoire, exposition à des produits nocifs, etc.). Le règlement proposé change un peu la donne : les emballages des e-liquides devront lister leurs ingrédients et porter un énoncé sur la nicotine ainsi qu’une mise en garde à propos du risque de dépendance qu’elle engendre. Ces emballages devront également être à l’épreuve des enfants. Selon les groupes de santé, ce règlement laisse toutefois grandement à désirer. Ainsi :
- Seule une mise en garde sur le caractère toxicomanogène de la nicotine est envisagée pour l’instant : les autres effets possiblement néfastes du vapotage sont passés sous silence.
- Les mises en garde n’ont pas à couvrir une surface minimale sur les emballages, ce qui les rendra quasi invisibles sur les petits paquets.
- Lorsque l’emballage ou le produit est trop petit, les mises en garde peuvent être publiées sur un prospectus détachable.
- Dans la liste d’ingrédients des e-liquides, les composants chimiques des saveurs peuvent être regroupés sous le terme d’« arômes ».
En somme, le projet de règlement est nettement trop conciliant envers les manufacturiers des produits du vapotage.
Publicités tous azimuts au Canada
Par ailleurs, les groupes réclament depuis presque deux ans des règles plus sévères sur la promotion des produits de vapotage. Pour l’heure, Santé Canada a publié les résultats d’une consultation sur ce sujet. D’emblée, disons que la grande majorité de ceux qui y ont participé, incluant l’ensemble des gouvernements provinciaux et territoriaux, « s’est montrée en faveur d’une restriction supplémentaire de la promotion [de ces] produits […] sur le modèle de celle relative aux produits du tabac combustibles ». Plusieurs groupes de santé ont demandé que les publicités atteignent uniquement des fumeurs ou des adultes. Selon eux, cela nécessiterait leur interdiction sur Internet ainsi qu’à la télévision et à la radio.
Les propriétaires de petits commerces de vapotage se sont généralement montrés favorables aux restrictions proposées, contrairement aux grands fabricants comme Imperial Tobacco Canada. Cela dit, ces petits commerçants défendaient d’abord leurs intérêts. Ainsi, puisqu’ils ne vendent pas de marque maison, ils ont proposé que seules les publicités mentionnant le nom d’un magasin et son offre de produits soient permises.
Des centaines de modèles
Parallèlement, Santé Canada a lancé une autre consultation, cette fois sur les caractéristiques des produits de vapotage. À l’heure actuelle, il existe des centaines de modèles de cigarettes électroniques qui se distinguent les unes des autres par leur taille, leur forme, leur saveur ou leur taux de nicotine. Certaines se connectent même automatiquement sur le Web grâce à la technologie Bluetooth afin d’enregistrer le nombre de bouffées aspirées, entre autres. « L’immense gamme de modèles et de saveurs renforce la notion qu’il s’agit de produits sans risques, personnalisables et récréatifs », note la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac dans un mémoire présenté à Santé Canada.
Des milliers de saveurs
La loi interdit actuellement à peine quelques catégories de saveurs, dont celles des boissons gazeuses, du cannabis et de la confiserie. Pour éviter une prolifération de saveurs, les groupes de santé proposent non pas d’en interdire un plus grand nombre, mais plutôt de limiter légalement celles qui seraient autorisées.
Le taux de nicotine est une autre caractéristique des produits de vapotage qui demande un solide resserrement. Alors que le Canada permet jusqu’à 66 mg de nicotine par ml d’e-liquide, l’Europe limite cette concentration à 20 mg. Bref, malgré la légalisation des produits du vapotage au Canada, à la suite de l’adoption de la Loi sur le tabac et les produits du vapotage, il reste beaucoup à faire – et rapidement – afin de s’assurer que les produits du vapotage sont sécuritaires et que seuls des fumeurs adultes sont exposés à leurs publicités ou les utilisent.
Comment les Canadiens voient-ils les produits du vapotage?
En parallèle à ses consultations sur l’encadrement du vapotage, Santé Canada a sondé les Canadiens sur leurs comportements et attitudes au sujet de ces produits. Bien que ces sondages soient non représentatifs de la population, ils éclairent sur les réalités des vapoteurs.
Ce qui frappe, ce sont d’abord les différences entre les vapoteurs de 25 ans et plus et ceux de 24 ans et moins. Selon un sondage mené auprès de quelque 2000 vapoteurs réguliers, les plus âgés ont souvent une approche pratique. Généralement fumeurs ou anciens fumeurs, ils utilisent un seul appareil de vapotage dans le but d’arrêter ou de diminuer leur tabagisme. Les jeunes vapotent davantage pour s’amuser. Ils aiment les saveurs des e-liquides, utilisent plusieurs appareils et portent attention à l’apparence de ceux-ci. Enfin, ils sont aussi plus susceptibles que leurs aînés d’augmenter leur dose de nicotine au fil du temps et de vapoter des sels de nicotine, dont le potentiel toxicomanogène est plus élevé.
Un sondage sur les perceptions des Canadiens à l’égard de la nicotine confirme ces différences. Certains jeunes de moins de 24 ans voient le vapotage comme un passe-temps puisqu’ils peuvent créer des figures avec la vapeur et personnaliser leur appareil. De plus, « alors qu’on doit montrer une identification (sic) pour se procurer des cigarettes, il est rare qu’on en demande pour l’achat de produits du vapotage », disent-ils.
Ce qui ressort également des nombreux panels et sondages commandés par Santé Canada, c’est l’ignorance des Canadiens au sujet des produits qui contiennent de la nicotine. Un sondage au sujet des produits à risque réduit montre que même les thérapies de remplacement de la nicotine (TRN) sont perçues avec suspicion! En effet, même si celles-ci ont été approuvées par Santé Canada, sont vendues en pharmacie et que leur usage est fortement recommandé par les spécialistes de l’arrêt tabagique, moins d’une personne sondée sur cinq croit qu’elles ne sont pas du tout nocives. En somme, avant de vouloir sensibiliser les Canadiens aux bénéfices potentiels des cigarettes électroniques, il faudrait peut-être d’abord les rassurer au sujet des TRN! Enfin, mentionnons que, selon ce même sondage, et contrairement à ce qu’affirment les commerçants, la principale source d’information des Canadiens au sujet des produits à risque réduit ne sont pas le Web ni les médias sociaux, mais plutôt les médecins, les infirmières cliniciennes et les pharmaciens.
Anick Labelle