Politiques d’environnement sans fumée : désenfumer, informer et outiller

Les affiches « Interdiction de fumer » sont essentielles, mais elles ne sont que la partie visible des politiques d’environnement sans fumée.
Dans les établissements de santé, l’implantation des politiques d’environnement sans fumée est l’occasion de revoir comment on y aborde le tabagisme, qui demeure la première cause de maladie et de mort prématurée.

Bien que le Québec soit résolument engagé dans la lutte contre le tabagisme, des efforts supplémentaires devront certainement être déployés pour créer une province véritablement sans fumée. Par exemple, on respire encore régulièrement de la fumée de cigarette à l’entrée des hôpitaux ou des CLSC même si, depuis 2005, la loi oblige de fumer à plus de neuf mètres des portes de ces établissements, et même, depuis 2015, à plus neuf mètres des portes et fenêtres qui s’ouvrent ainsi que des prises d’air. Le dépistage systématique des fumeurs reste aussi un défi pour bien des centres hospitaliers même s’il s’agit d’une pratique recommandée par les meilleurs experts tandis que centres d’abandon du tabac demeurent méconnus même s’ils font partie du réseau depuis… 2003.

Heureusement, l’implantation des politiques d’environnement sans fumée dans les établissements de santé à travers le Québec change la donne. Grâce à elles, on regarde le tabagisme de manière plus holistique et on lui trouve des solutions cohérentes, par l’entremise de stratégies développées en équipe et menées sur plusieurs fronts.

Un changement de culture

Exigées par la Loi concernant la lutte contre le tabagisme, les politiques d’environnement sans fumée des établissements de santé et d’enseignement supérieur doivent remplir trois objectifs, soit : favoriser l’abandon du tabac, promouvoir le non-tabagisme et créer à terme un environnement 100 % sans fumée, c’est-à-dire où l’usage du tabac est interdit sur l’ensemble du terrain, incluant les jardins et les voitures garées dans les stationnements. Évidemment, afficher des vignettes ne suffit pas! Il faut plutôt informer, sensibiliser et outiller les usagers, les visiteurs et les employés, que ce soit au sujet des nouvelles règles ou des outils qui existent pour se libérer du tabac.

S’adapter aux différents milieux

Pour implanter une politique d’une telle envergure, l’une des clés est d’adapter son déploiement à la réalité de chaque milieu. « Les besoins ne sont pas les mêmes dans un hôpital ou un CHSLD, remarque Nathalie Chénier, coordonnatrice des programmes de santé publique et d’organisation communautaire au Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Montérégie-Est. Dans un hôpital, il y a beaucoup de circulation et la majorité des séjours sont de courte durée alors que, dans un CHSLD, les usagers sont des résidants permanents dont la famille est très présente. » Les centres jeunesse vivent encore une autre réalité : des mineurs qui voient la cigarette comme une activité d’adulte.

Les établissements qui ont accepté de s’entretenir avec Info-tabac se sont assurés de tenir compte de ces différences dès le début. Au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, par exemple, le comité chargé de mettre en place la politique sans fumée s’est assuré d’obtenir, dans chaque milieu, la collaboration d’acteurs-clés. Concrètement, une rencontre a été organisée avec eux afin de leur présenter la politique et de la vulgariser. Puis, dans une approche collective, le comité a identifié avec eux leurs priorités, les enjeux pressentis dans l’application de la politique et les solutions possibles. « Ce travail collectif a permis d’entendre les besoins de nos collègues et de mieux accompagner ceux qui mettront en place les changements demandés », dit Nathalie Rochon, coordonnatrice, Santé publique au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal. Par exemple, plusieurs outils adaptés ont été créés, dont, à la demande du personnel hospitalier, un aide-mémoire sur l’intervention brève à plastifier et à afficher.

Une politique flexible
La mise en place d’une politique d’environnement sans fumée est un travail collaboratif. Ici, une partie de l’équipe du CIUSSS de l’Est-de-l’île-de-Montréal. De gauche à droite : Laurence Macbeth, Sophie Lavoie, Brigitte Fortier, Nathalie Rochon et Marlyne Ingenere.

Dans le même esprit, ces politiques savent rester souples pour s’adapter. Par exemple, dans le stationnement de l’hôpital de Hull, le CISSS de l’Outaouais a créé une zone désignée pour les personnes qui fument qui est éloignée des bâtiments et au centre de laquelle se trouve un cendrier. « Exiger qu’ils se déplacent jusqu’à l’extrémité du terrain aurait pu créer d’autres problèmes parce que l’hôpital est cerné par des routes passantes où l’on circule rapidement », explique Ève Fréchette, chargée de projet pour la mise en place de la politique d’environnement sans fumée. Dans ce CISSS, les CHSLD ont aussi tous conservé temporairement un fumoir (ce qui est le maximum permis par la loi) alors qu’ils en possédaient autrefois un sur chaque étage! Mentionnons que, dans le réseau, la multiplication des endroits sans fumée devient une raison supplémentaire de faciliter l’accès des personnes qui fument à un traitement contre le tabagisme.

Sensibiliser, former, outiller

Jusqu’à deux ans avant le jour J, l’implantation d’une politique d’environnement sans fumée s’accompagne de grandes et de petites activités qui commencent au niveau de la direction générale, incluant un état de situation, la formation du personnel et des activités de communication et de rétroaction. Par exemple, les établissements ont dû s’assurer que le personnel, les usagers et les visiteurs comprenaient bien la différence entre l’interdiction de fumer à neuf mètres des portes et un environnement 100 % sans fumée.

Plusieurs établissements forment aussi leurs professionnels de la santé à l’intervention minimale, ou brève. L’objectif : qu’ils interviennent plus facilement auprès des patients qui fument. « Il est primordial de les outiller davantage afin qu’ils utilisent le contact privilégié qu’ils ont avec leurs patients pour leur parler de tabagisme, dit Brigitte Fortier, conseillère clinique en prévention et soutien à la cessation tabagique au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal. L’objectif est qu’ils comprennent mieux les enjeux de la dépendance, qu’ils se familiarisent avec les stratégies permettant d’aborder plus facilement le tabac et qu’ils connaissent les centres d’abandon du tabagisme et les autres services J’ARRÊTE, afin de pouvoir les recommander à leurs patients, si besoin. »

À l’heure actuelle, dans les quelques établissements interviewés par Info-tabac, de 30 à 40 % du personnel médical est formé, incluant des infirmières, des travailleuses sociales et des inhalothérapeutes. Règle générale, les médecins semblent plus difficiles à joindre. Au CISSS de l’Outaouais, « la politique d’environnement sans fumée a été la clé pour accéder à leurs rencontres, dit Ève Fréchette. En plus de leur présenter la politique, nous avons pu leur rappeler les ressources de soutien à l’arrêt tabagique qui existent au CISSS. » Dans un but de formation, le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal a aussi produit et rendu disponibles sur Internet six courtes vidéos qui abordent différents sujets, dont le rôle du conseiller au centre d’abandon du tabagisme et les règles de remboursement des substituts nicotiniques de la Régie de l’assurance maladie du Québec.

Enfin, si les CISSS et les CIUSSS peuvent s’assurer que les employés respectent la politique, ils n’ont pas réellement de levier en ce qui concerne les écarts des usagers. « Notre seule arme est de leur demander s’ils connaissent notre politique et de les inviter à fumer plus loin en faisant appel à leur éthique et au bien-vivre ensemble », dit Karine Godin, agente de communication et chargée de projet pour la politique d’environnement sans fumée au CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue.

Des répercussions à long terme

Ces politiques représentent un changement de culture global qui s’enracinera au fil des années et contribuera à changer la norme sociale du tabagisme. Avec ces politiques, « agir pour une vie sans fumée devient un positionnement institutionnel très cohérent qui encourage les professionnels de la santé à saisir toutes les interactions avec les patients qui fument pour échanger avec eux sur les options et ressources disponibles », conclut Nathalie Rochon. Désormais, chacun sait qu’il n’agit plus seul.

Anick Labelle