Le vapotage chez les jeunes : une bombe à retardement?

Il n’y a plus de doute : le vapotage augmente à une vitesse alarmante chez les jeunes Canadiens. Les groupes de santé et ceux qui travaillent avec les adolescents demandent qu’Ottawa réponde de toute urgence par des mesures appropriées.

Arrivés de Chine il y a une quinzaine d’années et légalisés au Canada en mai 2018, les produits du vapotage suscitent bien des débats, notamment à propos de l’attrait qu’ils exercent auprès des jeunes. Une nouvelle étude, confirmant les inquiétudes des groupes de santé, conclut que non seulement un nombre grandissant de jeunes Canadiens s’adonnent au vapotage, mais qu’ils sont de plus en plus nombreux à vapoter régulièrement.

En effet, presque 15 % des Canadiens de 16 à 19 ans ont vapoté au cours des 30 derniers jours en 2018, contre un peu plus de 8 % en 2017, selon une étude de David Hammond et son équipe canado-américaine, parue dans BMJ. Cela représente une hausse de 74 % en un an! Encore plus inquiétant, leur usage du tabac combustible a également augmenté : les 16 à 19 ans ont été 44 % plus nombreux en 2018 qu’en 2017 à fumer au cours des 30 derniers jours, ce qui renverse la tendance à la baisse observée depuis 1999 [voir correction en fin de l’article]. Les jeunes vapoteurs ont aussi rapporté apprécier tout particulièrement la cigarette électronique JUUL, même si celle-ci était disponible depuis peu lors de l’enquête de David Hammond et son équipe.

Les cigarettes électroniques JUUL sont très populaires auprès des jeunes Canadiens même si elles sont vendues au pays seulement depuis septembre 2018.

Les hausses statistiquement significatives rapportées par ces chercheurs inquiètent les groupes de santé et confirment les constats de ceux qui travaillent auprès des jeunes. Pour l’équipe de David Hammond, elles devraient susciter « des mesures réglementaires ciblant plus sélectivement ces produits vers les fumeurs adultes ». (notre traduction)

Une histoire récente

Ce n’est qu’en mai 2018 que les produits du vapotage contenant de la nicotine ont été légalisés au Canada avec l’adoption de la Loi sur le tabac et les produits du vapotage. On l’oublie, mais cette loi a assoupli l’encadrement des produits du vapotage en permettant qu’ils soient annoncés et vendus légalement. Depuis, le marché canadien a grandement évolué. British American Tobacco a lancé ses cigarettes électroniques Vype (à grand renfort de publicités dans le reste du Canada) tandis que JUUL Labs a introduit au pays son produit éponyme dont l’allure et le haut taux de nicotine attirent particulièrement les jeunes. Avec son équipe, David Hammond a mesuré l’effet de ces nombreux changements sur le vapotage et le tabagisme des Canadiens de 16 à 19 ans. Pour ce faire, ils ont sondé, en 2017, environ 13 500 jeunes répartis au Canada, aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Puis ils ont sondé en 2018 un deuxième groupe équivalent au premier.

Des résultats contrastés

L’équipe de David Hammond a constaté que la situation canadienne est la plus inquiétante. Certes, aux États-Unis, plus de 11 % des adolescents de 16 à 19 ans avaient vapoté au cours des 30 derniers jours en 2017, contre 8 % au Canada. Mais, au sud de la frontière, la hausse du vapotage observée chez les jeunes est moindre (45 % entre 2017 et 2018, contre 74 % au Canada), tandis que leur taux de tabagisme n’a pas augmenté de manière statistiquement significative. Si les Centers for Disease Control and Prevention ont rapporté une hausse de 78 % du taux de vapotage chez les jeunes américains entre 2017 et 2018, mais chez les élèves du secondaire de 14 à 18 ans, dans l’ensemble, les données de David Hammond et son équipe s’apparentent à celles des grandes enquêtes sur l’usage du tabac au Canada et aux États-Unis.

Enfin, cette étude rapporte une proportion de jeunes vapoteurs en Grande-Bretagne presque identique à celle du Canada en 2017, soit environ 8 %. En revanche, dans ce pays d’Europe, ni la proportion de jeunes vapoteurs ni la proportion de jeunes fumeurs n’y a varié de façon statistiquement significative en un an. Pour l’équipe de chercheurs, ces résultats remettent en question l’association entre le vapotage et le tabagisme. En effet, « si la hausse du tabagisme chez les jeunes Canadiens était directement reliée à celle du vapotage, des hausses similaires seraient attendues chez les adolescents américains. » (notre traduction)

Les règlements britanniques : un exemple à suivre

Pour ces scientifiques, les différences constatées entre les trois pays sont vraisemblablement dues à des différences dans l’encadrement des produits du vapotage. En particulier, dans les règles permettant de diminuer l’attrait que ces produits exercent sur les jeunes.

Par exemple, les règles canadiennes entourant les publicités pour ces produits sont beaucoup plus permissives que celles de la Grande-Bretagne. Là-bas, ces publicités sont interdites à la télévision, à la radio et dans les médias écrits destinés au grand public tandis que, dans les lieux publics et les points de vente, seules les publicités informatives sont admises. Au Canada, au contraire, la Loi sur le tabac et les produits de vapotage autorise la diffusion des publicités pour les produits du vapotage dans tous les types de médias à condition, entre autres, qu’elles ne reflètent pas un style de vie, ne soient pas attrayantes pour les jeunes et ne laissent pas entendre que ces produits procurent des avantages pour la santé. Cela est jugé inadéquat par plusieurs. « Comme pour le tabac, la promotion du vapotage ne devrait pas être vue par les jeunes […], peu importe les garanties que l’industrie puisse offrir », écrivent dans une lettre d’opinion de nombreux groupes canadiens de lutte contre le tabagisme.

La Grande-Bretagne règlemente plus sévèrement que le Canada les publicités pour les produits de vapotage tandis qu’elle limite davantage les concentrations de nicotine dans ces produits.

La Grande-Bretagne restreint aussi les concentrations de nicotine dans les cigarettes électroniques. Une directive européenne impose aux e-liquides un taux maximal de 20 mg de nicotine par millilitre. Au Canada, le Règlement sur les produits chimiques et contenants de consommation autorise jusqu’à 66 mg par millilitre tandis qu’aux États-Unis, aucune loi ne limite les taux de nicotine. Dans ces deux pays d’Amérique, JUUL Labs et les autres manufacturiers des produits du vapotage sont donc libres de hausser de manière importante la nicotine dans leurs produits, ce qui favorise la dépendance des vapoteurs.

Un marché mal encadré

Les milliers de saveurs d’e-liquides en vente sont un autre appât pour les jeunes. C’est pourquoi certains groupes de santé recommandent d’autoriser seulement une dizaine de saveurs afin de limiter leur désir d’expérimentation. Un resserrement semble essentiel puisque plusieurs distributeurs canadiens vendent des e-liquides aromatisés avec des saveurs de bonbons, ce qui contrevient à la loi fédérale, comme l’a démontré récemment l’Unité de recherche sur le tabac de l’Ontario. Certains de ces distributeurs contreviennent aussi à la Loi concernant la lutte contre le tabagisme, car ils permettent que des résidants du Québec achètent ces produits en ligne. De manière plus générale, le marketing de l’industrie joue aussi certainement un rôle dans la hausse du vapotage chez les jeunes Canadiens. Par exemple, British American Tobacco vend certains de ses modèles de cigarettes électroniques à plus bas prix au Canada qu’ailleurs, a dénoncé Médecins pour un Canada sans fumée en juin 2019.

La lente réaction de Santé Canada

Alors que l’ensemble de ces données suggèrent une certaine urgence à agir, Santé Canada tarde à resserrer ses règles, voire à sévir contre les manufacturiers qui ne respectent pas les lois en vigueur. Dans la dernière année, l’agence fédérale a plutôt mené des consultations sur la promotion des produits du vapotage, leurs caractéristiques et leur emballage. Les conclusions de la consultation sur la promotion sont déjà disponibles, mais aucun échéancier n’a encore été annoncé sur la mise en œuvre de mesures additionnelles, ce que les groupes de santé dénoncent avec vigueur. L’agence fédérale s’est plutôt engagée à visiter, en 2019, quelque 3000 commerces qui vendent des cigarettes électroniques afin de s’assurer que ceux-ci respectent la loi, par exemple, l’interdiction de vente de celles-ci aux mineurs. Pour l’instant, le problème de l’attrait de ces produits reste entier.

Pour les groupes de santé ainsi que pour un nombre grandissant de médias et de travailleurs du milieu scolaire, les circonstances exigent des gestes rapides et un durcissement des règles. L’enjeu? Éviter au plus vite que des millions de jeunes se retrouvent enchaînés à ces produits et à leur nicotine, tout en permettant – bien sûr – aux fumeurs adultes de s’en servir pour se libérer du tabac.

Anick Labelle

Correction : En juillet 2020, le British Medical Journal a publié une correction rapportée par David Hammond et son équipe à propos de leurs résultats sur le taux de tabagisme des Canadiens de 16 à 19 ans. Contrairement à ce qui était indiqué dans leur étude originale, le taux de tabagisme de ces jeunes n’a pas augmenté de 10,7 % à 15,5 % entre 2017 et 2018. Il est plutôt resté stable, à environ 10 %.