Les femmes, une cible de choix pour l’industrie

Parce qu’elles deviennent plus rapidement dépendantes de la cigarette et qu’elles répondent moins bien aux campagnes d’arrêt tabagique que leurs homologues masculins, les femmes constituent une cible de choix pour l’industrie du tabac. Afin de mieux comprendre cette réalité, six spécialistes ont abordé les différents angles du tabagisme féminin lors des huitièmes Journées annuelles de santé publique (JASP) qui se tenaient à l’Hôtel Reine Élizabeth de Montréal, du 29 novembre au 2 décembre.
Une histoire d’émancipation

« Alors qu’au début du 20e siècle, très peu de femmes fumaient, l’usage féminin du tabac s’est accru au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et dans les années qui ont suivi », a relaté Ann Royer, chercheuse à la direction de santé publique (DSP) de Québec. Au milieu des années 60, le tabagisme féminin connaît son apogée dans les pays industrialisés. Après avoir revendiqué les mêmes droits que les hommes, les désirs d’émancipation et de liberté des femmes les ont finalement menées vers la même dépendance.

Bien que la prévalence canadienne ait décliné au cours de la dernière décennie, les jeunes femmes fument plus que les jeunes hommes. La situation est encore plus préoccupante dans les pays moins développés où la montée du tabagisme féminin est semblable à celle qu’ont connue les pays occidentaux il y a 50 ans.

Prendre exemple sur l’industrie…

« Ce n’est pas un hasard si les femmes fument », a pour sa part indiqué Stella Aguinaga Bialous. Infirmière de formation, la présidente de l’organisme californien Tobacco Policy International, a profité de son passage aux JASP pour décrire comment les multinationales du tabac cherchent à enjôler cette clientèle.

Avec les ressources dont ils disposent, les cigarettiers s’offrent d’excellentes études de marché sur lesquelles les groupes de santé devraient se pencher davantage. « L’industrie du tabac a très rapidement su s’adapter aux besoins des femmes, en leur vendant entre autres la beauté, la minceur, la richesse et la distinction », a exposé Mme Bialous. Dans certains pays, ses recherches lui ont même permis de cibler les femmes en fonction de leur origine ethnique.

Les compagnies de tabac savent depuis au moins 20 ans que la gent féminine constitue l’avenir de leur industrie. « Les femmes sont en train d’adopter des rôles plus significatifs au sein de la société, leur pouvoir d’achat s’accroît et elles vivent plus longtemps que les hommes, mentionnait, en 1982, un document interne des cigarettiers cité par la présidente de Tobacco Policy International. De plus, tel que démontré dans un rapport officiel récent, elles semblent être moins influencées par les campagnes antitabac que leurs vis-à-vis masculins. »

La dépendance au féminin

Professeure au département d’épidémiologie et de biostatiques de l’Université McGill, Jennifer O’Loughlin a présenté les quatre trajectoires empruntées par les adolescents qui s’initient à la cigarette. « Il y a ceux qui fument peu et n’augmentent pas leur consommation, ceux qui progressent lentement, les autres qui le font de façon modérée et finalement les jeunes qui deviennent tout de suite accros et qui fument beaucoup », a-t-elle spécifié.

Selon les résultats préliminaires d’une étude sur la dépendance réalisée auprès d’élèves canadiens, on constate que peu importe leur trajectoire, les jeunes filles développent à la fois une tolérance et une dépendance au tabac plus rapidement que les garçons.

Directrice exécutive du British Columbia’s Centre of excellence for Women’s Health, Lorraine Greaves a signalé que les approches efficaces sont celles qui tiennent compte des différentes réalités des femmes. « Les Amérindiennes, les jeunes femmes, les femmes à faible revenu et les francophones constituent les groupes parmi lesquels on retrouve plus de fumeuses », a-t-elle mentionné. Au sein de ces groupes, les femmes fument généralement pour se forger une identité, gérer leurs émotions et organiser leurs rapports sociaux. Selon Mme Greaves, il est très important de ne pas les culpabiliser. « Pour ces personnes chez qui le tabagisme n’est souvent qu’un problème parmi tant d’autres, ce n’est pas seulement une cigarette qu’on leur enlève en leur demandant d’arrêter de fumer, a-t-elle fait valoir, c’est en quelque sorte une confidente ou une amie. »

Des pistes de solutions

Un survol des différentes initiatives québécoises spécifiquement conçues pour contrer l’usage du tabac chez les femmes, a été présenté par les docteurs Roxanne Néron, responsable de la lutte au tabagisme à la DSP des Laurentides, et Alain Rochon, médecin-conseil à la DSP de l’Estrie. La journée s’est terminée par une table ronde sur les solutions à privilégier pour freiner l’épidémie mondiale de tabagisme féminin. Elle était animée par le Dr Fernand Turcotte, professeur à l’Université Laval.

Parmi les moyens suggérés, il a notamment été question d’inclure les femmes dans l’élaboration des campagnes antitabac qui les concernent. « L’industrie du tabac implique des fumeurs dans ses recherches, alors pourquoi ne pas le faire nous aussi? », ont préconisé certains participants.

Plus d’une centaine d’intervenants ont assisté aux exposés du 30 novembre, consacrés au tabagisme des femmes. La journée de formation, animée par Mario Champagne, responsable du programme de lutte contre le tabagisme à la DSP de Québec, se voulait un résumé de la conférence Femmes, jeunes filles et tabagisme, qui devait avoir lieu à Québec en novembre 2004, mais qui a été annulée faute de financement.

Quant aux JASP 2005, elles se tiendront au Centre des congrès de Québec du 14 au 17 novembre.

Josée Hamelin