Des experts veulent forcer le Bureau de la concurrence à agir

Des experts de santé publique, réunis à Ottawa le 10 janvier, ont pris des mesures juridiques exceptionnelles pour forcer le Bureau de la concurrence du Canada à tenir compte de la plainte qu’ils ont déposée en juin 2003. Cette dernière dénonçait la pratique commerciale frauduleuse que représentent les « douces » et « légères ». Elle exige également le retrait de ces appellations mensongères puisque ces cigarettes sont tout aussi nocives que les marques régulières.

« Nous allons demander à la Cour fédérale du Canada d’émettre une ordonnance contraignant le Bureau de la concurrence à faire son devoir juridique », a indiqué la Dre Mary Jane Ashley, professeure honoraire en santé publique à l’Université de Toronto.

Pour ce faire, le groupe de 11 signataires composé de médecins, d’avocats et de membres de l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF), a déposé une requête en mandamus : une demande de révision juridique concernant l’échec du commissaire du Bureau de la concurrence à procéder dans une période de temps raisonnable.

Des délais mortels

« Recourir à des mesures juridiques pour forcer une agence fédérale à protéger la santé publique d’une fraude commerciale constitue un geste hors de l’ordinaire », a admis le Dr Robert Cushman. Mais selon ce médecin hygiéniste en chef de la ville d’Ottawa, cela reflète la gravité de la menace que la tromperie des « douces » et « légères » fait peser sur la santé publique.

Le Bureau de la concurrence ne semble pas comprendre, ou choisit d’ignorer, que des milliers de décès liés au tabac résulteront de cette fraude et du traitement tardif de cette plainte, a pour sa part déploré le Dr Fernand Turcotte, professeur à l’Université Laval. « Le plus tragique, a-t-il insisté, c’est que ces décès pourraient être évités si les gouvernements et les agences chargées d’appliquer les règlements prenaient leurs responsabilités au sérieux. »

Au cours des 18 mois qui ont séparé le dépôt de la plainte et celui de leur requête devant la Cour fédérale, les experts de la santé ont écrit à deux reprises aux responsables du Bureau de la concurrence pour obtenir des informations sur la progression du dossier. « L’enquête se poursuit », leur a-t-on répondu.

Le groupe craint que le Bureau ne laisse traîner les choses dans l’espoir de voir une loi interdire la « fraude » représentée par les « douces » et « légères ». « Mais le Bureau de la concurrence est justement l’agence fédérale qui se spécialise dans les recours juridiques contre les fraudeurs », a tenu à rappeler Francis Thompson, analyste des politiques au bureau de l’ADNF à Ottawa.

Le sous-commissaire du Bureau de la concurrence, Raymond Pierce, a affirmé à Info-tabac, que les délais de traitement de la plainte sont dus à l’ampleur et à la complexité du dossier. « Les allégations contenues dans les 600 pages de documents qui accompagnaient la demande d’enquête sont très vastes, a-t-il commenté. On parle de 25 ans de comportements de la part des sociétés de cigarettes, ce qui est plutôt inhabituel. »

S’il confirme que cinq personnes travaillent actuellement sur le dossier, le sous-commissaire a refusé d’avancer la date à laquelle le Bureau de la concurrence aura complété ses recherches.

« Au terme des investigations, s’il y a matière à porter des accusations, le Bureau pourra emprunter la voie civile, devant le Tribunal de la concurrence, ou référer les preuves au procureur général dans le cas d’une infraction criminelle », a expliqué M. Pierce.

D’ici-là, la requête des signataires de la plainte forcera l’agence fédérale à défendre sa position lors d’audiences qui se tiendront en Ontario. Il appartiendra ensuite au juge de déterminer s’il émet ou non l’ordonnance qui obligera le Bureau à accélérer la cadence.

Au-delà des termes

Quelle que soit la manière de procéder, selon David Sweanor, professeur adjoint en droit à l’Université d’Ottawa, c’est toute la tromperie qui doit cesser, et non pas seulement l’usage de certains termes descripteurs comme les « douces » et « légères ». « La fraude continuerait si l’on recourrait à une gradation des couleurs, par exemple de pâles à foncées, ou à un système de numérotation des emballages qui pourrait amener le public à croire qu’un paquet présente moins de risques pour la santé qu’un autre », précise l’avocat.

Josée Hamelin