Les universités tardent à rejeter l’argent des cigarettiers

Les récents résultats d’un projet de recherche pancanadien intitulé Tobacco on Campus, piloté par l’Ontarien David Hammond de l’Université de Waterloo, indiquent que l’argent du tabac continue à renflouer les coffres des institutions d’enseignement post-secondaire du Québec. Pourtant, en 2003, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac avait mené une vaste opération de sensibilisation pour les inciter à refuser les dons provenant de l’industrie du tabac.
Marché étudiant

La motivation philanthropique des fondations qu’ont mises sur pied Imperial Tobacco, Rothmans Benson & Hedges et JTI-Macdonald – les trois plus grands cigarettiers au Canada – est remise en question par de nombreux spécialistes de la lutte antitabac. L’équipe de Tobacco on Campus a analysé plusieurs documents de marketing des compagnies de tabac pour vérifier pourquoi « appuyer les étudiants afin qu’ils réalisent leur plein potentiel » est une de leurs priorités, tel que l’affirme la Fondation Imperial Tobacco. Selon les chercheurs, l’« engagement communautaire » de l’industrie du tabac serait davantage attribuable au fait que les études post-secondaires représentent le moment idéal pour « promouvoir la fidélité à une marque de cigarettes, faire augmenter la consommation quotidienne et établir la régularité du tabagisme chez les fumeurs occasionnels ».

D’ailleurs, année après année, l’Enquête de surveillance de l’usage du tabac au Canada indique que les 20-24 ans affichent les plus hauts taux de tabagisme au pays et les jeunes québécois figurent presque invariablement en tête de liste. De plus, le déclin du tabagisme paraît stagner chez cette tranche de la population. La combinaison inquiétante de ces deux réalités suscite l’intérêt de chercheurs universitaires qui tentent de déterminer l’influence dont bénéficie l’industrie du tabac en milieu éducatif.

Levier financier

Les dons de l’industrie du tabac prennent plusieurs formes : versements aux fondations institutionnelles, subventions aux projets de recherche, dotations d’équipements ou d’infrastructures, parrainages académiques, commandite d’événements, bourses d’études, placements publicitaires dans les médias étudiants, primes de vente aux dépanneurs de campus. Les institutions qui reçoivent de tels cadeaux seraient moins enclines à implanter des mesures de contrôle du tabagisme et permettraient plus souvent la présence d’activités de marketing sur leur territoire.

En 2004, toutes les universités canadiennes avaient accepté de l’argent pour aider à la mise en marché des produits du tabac, rapporte la première enquête Tobacco on Campus. Alors que la mode actuelle est à l’investissement responsable, aucune université ne s’est encore dotée d’une politique lui interdisant de détenir des actions des compagnies de tabac. Certains évoquent le sous-financement généralisé de l’éducation pour justifier ce manque de cohérence. Mais plusieurs estiment que les sommes qu’offrent les cigarettiers ne valent pas le prix social du tabagisme. « Lorsqu’on accepte ces dons – qui découlent directement des profits de la vente des cigarettes – c’est qu’on souscrit aux pratiques commerciales du donateur », prévient le Dr Marcel Boulanger, président du Conseil québécois sur le tabac et la santé.

Plus alarmant encore que l’incidence élevée des dons aux universités de la part des entreprises du tabac est l’utilisation que font ces dernières du statut de « bon citoyen corporatif » ainsi acheté. En 2003, Imperial Tobacco envoyait une lettre à tous les députés fédéraux vantant l’ampleur de son « altruisme », en concluant que les gouvernements avaient tout intérêt à travailler de pair avec l’industrie du tabac. Bien que les cigarettiers glorifient les retombées socio-économiques de l’utilisation de leur argent, ils omettent systématiquement de mentionner celles de l’utilisation de leurs produits.

Assainir la communauté éducative

Heather Monroe-Blum, rectrice de l’Université McGill, affirmait en 2003 que son institution ne recevait pas d’argent du tabac. Pourtant, la Fondation Imperial Tobacco inscrivait encore en 2004 la prestigieuse université montréalaise sur sa liste de bénéficiaires. En Estrie, le plus récent rapport annuel disponible sur le site web de la Fondation de l’Université de Sherbrooke indique un don de 67 880 $ de cette même provenance.

Au Québec, les universités semblent vouloir se distancier des cigarettiers, même si ce progrès s’effectue lentement. L’Institut de cardiologie de Montréal, le Fonds de développement de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal ont tous adopté des directives internes interdisant la sollicitation et l’acceptation de dons provenant de l’industrie du tabac. Un peu partout dans la province, des luttes étudiantes contre le tabagisme voient le jour. « Il n’y a pas de meilleur endroit que son campus pour mettre en pratique la leçon que le tabac n’a pas sa place dans les milieux éducationnels », lançait l’an dernier l’Association des étudiants de premier cycle de l’Université Laval (CADEUL), à l’occasion du virage sans fumée de sa discothèque.

En mai 2006, la nouvelle Loi sur le tabac interdira la vente de tabac dans les institutions post-secondaires. Or, les rares dépanneurs de campus sont plus souvent qu’autrement gérés par des groupes étudiants. « Nous sommes conscients des retombées négatives que la mesure aura sur nos commerces, mais nous préparons déjà une stratégie de remplacement », signale Aaron Donny-Clark, responsable des affaires gouvernementales de l’Association étudiante de l’Université McGill.

Julie Cameron