Les détaillants québécois encouragent le tabagisme juvénile

Au Québec, la majorité des détaillants transgressent la loi en acceptant de vendre des cigarettes aux jeunes de moins de 18 ans. Selon l’étude ACNielsen, réalisée pour Santé Canada, la belle province compte le plus haut taux d’infractions. En 2003, 63 % des commerçants québécois ont fourni du tabac à des mineurs, ce qui représente une hausse de 20 points par rapport à l’année précédente.

Entre juillet et septembre 2003, les chercheurs d’ACNielsen ont visité 5 452 établissements, situés dans 30 villes canadiennes, afin d’évaluer le respect des lois sur l’accès au tabac chez les jeunes. Jumelés en équipes formées d’un adulte et d’un mineur, ces observateurs se sont rendus dans des supermarchés, pharmacies, stations-service et dépanneurs indépendants ou franchisés. Pendant que l’adolescent tentait d’acheter des cigarettes, l’adulte procédait à une inspection visuelle des lieux afin de constater la conformité de l’affichage et de recueillir des données sur la publicité dans les points de vente.

Résultats canadiens et québécois

De 2002 à 2003, le taux canadien des détaillants refusant de vendre du tabac aux mineurs a baissé de 71,2 % à 67,7 %. La piètre performance des commerçants québécois, qui ont été beaucoup plus enclins qu’en 2002 à vendre des produits du tabac aux adolescents, explique ces chiffres.

Peu préoccupés par l’âge de leurs clients, les commis n’ont que rarement (36,4% des cas) demandé à voir les pièces d’identité des adolescents impliqués dans l’enquête. Enfin, parmi toutes les villes visitées, c’est à Montréal qu’il est le plus facile pour les jeunes de se procurer du tabac. Les deux tiers des commerces visités (67,5 %) ont consenti à leur en vendre.

Selon Louis Gauvin, coordonnateur de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, les commerçants encouragent le tabagisme juvénile en vendant du tabac à des jeunes de moins de 18 ans. « Chaque fois qu’un détaillant vend illégalement du tabac à un mineur, il lance un message qui contredit tous les efforts faits à travers le Québec pour inciter les jeunes à abandonner le tabac ou à ne jamais commencer à fumer, » a-t-il indiqué.

Redéfinir la conformité

En 2002, le Comité consultatif ministériel chargé de conseiller la ministre fédérale de la santé, en matière de lutte antitabac, a émis des recommandations sur l’accès des jeunes au tabac. « Il faudrait redéfinir le problème de la vente aux mineurs comme une question de santé plutôt qu’une simple question de respect de la loi, a-t-il conclu. Car après tout, le but visé est de diminuer le tabagisme chez les jeunes et non pas seulement d’atteindre un taux de conformité donné. » Si la loi nécessite la présence d’inspecteurs pour en assurer le respect, le Comité a toutefois souligné l’importance de ne pas consacrer une partie excessive des ressources aux mesures qui agissent sur l’offre de tabac. Il considère que les hausses de taxes, les restrictions de la publicité aux points de vente et les interdictions de fumer dans les lieux publics, sont des façons efficaces et peu onéreuses d’inciter les jeunes à ne pas fumer.

Le Québec imposera sa loi

Depuis mai 2003, le ministère de la Santé et des Services sociaux de Québec (MSSSQ) partage avec Santé Canada la responsabilité de veiller au respect des lois concernant la vente de tabac aux mineurs sur le territoire québécois. Alors qu’auparavant, Santé Canada se chargeait de cette tâche, le gouvernement du Québec compte faire appliquer sa propre loi dès le mois de juin 2004. Même si la manière d’évaluer la conformité demeurera la même, 20 inspecteurs du MSSSQ remplaceront leurs homologues fédéraux dans l’exécution de ce travail.

« La Loi québécoise sur le tabac prévoit une disposition législative que Santé Canada n’avait pas, soit celle de suspendre les permis de vente de cigarettes », confie à Info-tabac la responsable du Service de lutte contre le tabagisme du MSSSQ, Lise Talbot.

À la première offense, les exploitants fautifs qui devaient débourser 500 $, recevront dorénavant une amende de 300 $. S’ils sont repris à vendre du tabac aux mineurs, leur permis de vente pourra être suspendu pour une période d’un mois, de six mois ou d’un an, selon le nombre de récidives. Durant cette période, les produits du tabac et leurs publicités devront être retirés des étalages.

Ne se fixant pas d’objectif précis, le gouvernement du Québec souhaite cependant améliorer le taux de conformité des détaillants québécois. Afin de réduire davantage l’accessibilité des jeunes au tabac, la campagne Méchant cadeau sera prolongée pendant tout l’été. Elle encourage les adultes à ne pas fournir de tabac aux mineurs.

Promotion des cigarettes dans les points de vente

À l’échelle canadienne, la publicité sur le tabac dans les points de vente a augmenté au cours de la dernière année. Elle est maintenant présente dans 41,7 % des endroits visités. Toutefois, au Québec, où elle existait dans 50 % des établissements, aucune hausse n’a été enregistrée. Par ailleurs, les nombreux murs de cigarettes aux couleurs des marques n’ont pu être comptabilisés aux résultats car « pour être qualifié de publicité sur le tabac, le matériel promotionnel devait indiquer directement les marques de tabac, les logos ou les marques déposées », précise le rapport d’ACNielsen.

Dans la province, les dépanneurs avec bannière (Couche-tard, Boni-soir, etc.) affichent le plus haut ratio de publicités de tabac alors qu’à l’inverse, les supermarchés ne font que très peu de promotion pour les fabricants de cigarettes. Québec se hisse au deuxième rang des villes où l’on retrouve le plus de publicité (juste derrière Edmonton), et la marque du Maurier est la plus annoncée. Recensés dans 40 % des lieux de vente, les « étalages de comptoirs » (présentoirs suffisamment petits pour tenir sur un comptoir) sont un moyen souvent utilisé par les compagnies de tabac pour promouvoir leurs produits.

Opération carte d’identité

Dénoncée par les groupes de santé québécois, l’Opération carte d’identité de l’industrie du tabac a démontré son inutilité. Au Québec, les détaillants qui participaient au programme ont affiché de moins bons résultats de conformité : 27,4 %, comparativement à 41,6 % pour ceux qui n’y étaient pas inscrits.

« Si l’industrie du tabac était vraiment sérieuse dans ses efforts pour contrer la vente aux mineurs, elle cesserait d’approvisionner les dépanneurs qui s’obstinent à vendre des cigarettes aux jeunes de moins de 18 ans, souligne François Damphousse, directeur du bureau québécois de l’Association pour les droits des non-fumeurs. Au lieu de cela, les fabricants de cigarettes s’opposent aux moyens prouvés efficaces de dissuader les jeunes de commencer à fumer. » Par exemple, au cours des cinq derniers mois, Imperial Tobacco Canada a diffusé trois communiqués pour s’opposer aux hausses de taxes.

« Puisque plusieurs détaillants continuent de défier la loi en vendant du tabac aux mineurs, poursuit M. Damphousse, on devrait penser à créer des lieux de vente exclusifs aux produits du tabac, en prenant exemple sur la Société des alcools du Québec. »

Île-du-Prince-Édouard

Dans la plus petite province canadienne, la proposition d’interdire la vente de tabac dans les pharmacies a ouvert le pas à un tout autre débat. En effet, la Société canadienne du cancer voulait faire de l’Île-du-Prince-Édouard la première province à bannir la vente de produits du tabac dans les dépanneurs.

Après que le Comité permanent sur le développement social se soit penché sur la question, il a finalement été décrété que les dépanneurs pourraient continuer à vendre du tabac. Toutefois, les étalages y seront interdits dès janvier 2006 et à partir de juin 2005, les pharmacies devront abandonner la vente de cigarettes.

Josée Hamelin