La stigmatisation en santé, un frein à la réussite de l’arrêt tabagique
Mars 2024 - No 166
Une personne souffrant de maladies cardiovasculaires ou de toute autre maladie se verra offrir les soins et les traitements nécessaires afin d’améliorer son état de santé ou, dans le meilleur cas, afin de guérir. Pourquoi n’en est-il pas de même avec la dépendance au tabagisme?
La consommation des produits du tabac a longtemps été considérée comme une simple habitude de vie. Aujourd’hui, le regard porté sur le tabagisme a évolué, notamment grâce aux recherches qui lui ont été consacrées. Il est maintenant bien établi que la nicotine contenue dans le tabac est l’élément psychoactif de la cigarette créant la dépendance. La nicotine a une force de dépendance aussi puissante que l’héroïne et la cocaïne. Son effet se fait ressentir presque immédiatement, comparativement à la plupart des autres substances, ce qui contribue à la dépendance. Malgré cela, les personnes qui fument sont malheureusement victimes de stigmatisation.
Selon Link et Phelan, deux sociologues américains, l a stigmatisation s’applique lorsque des stéréotypes et des jugements négatifs sont observés, et elle se produit dans le cadre d’une relation de pouvoir, un processus de distanciation sociale et de discrimination.
Témoignage d’une spécialiste en cessation tabagique
Info-tabac s’est entretenu avec Mme Suzanne Dumais, infirmière clinicienne dans un Centre d’abandon du tabagisme au CIUSSS-ODIM pour discuter d’exemples concrets de stigmatisation en lien avec le tabagisme, observés dans le cadre de sa pratique.
« Certains patients dans des hôpitaux n’ont pas accès à des gommes ou des pastilles de nicotine pour les aider dans leur démarche d’arrêt, afin de soulager les symptômes de sevrage. De plus, les gommes sont beaucoup plus disponibles comparativement aux pastilles. Cela n’est pas adapté personnellement, notamment pour les personnes plus âgées qui n’ont pas de dents. »
« Beaucoup de personnes qui fument vivent de la solitude et de l’isolement, puisqu’elles ne sont pas socialement acceptées. C’est le cas d’une femme, usagère d’un Centre d’abandon tabagique, qui ne reçoit pas de visite. Ses enfants et petits-enfants ne veulent pas lui rendre visite à cause de l’odeur de la cigarette et parce qu’ils ne veulent pas être exposés à la fumée secondaire. Cette femme se sent isolée, jugée et rejetée par sa famille. C’est une situation très difficile, ce qui ne facilite en rien le processus d’arrêt tabagique. »
Le tabagisme, une dépendance, une maladie chronique
La Société américaine de médecine des dépendances considère celle au tabac comme étant une maladie chronique traitable et qui implique des interactions complexes entre les circuits cérébraux, la génétique, l’environnement et les expériences de vie d’un individu. Les personnes souffrant de dépendance consomment des substances ou adoptent des comportements qui deviennent compulsifs et se poursuivent souvent en dépit de conséquences néfastes. Pourtant, le tabagisme est encore grandement stigmatisé.
Si, d’un point de vue médical, le tabagisme était traité comme toute autre maladie chronique, certainement plus de personnes réussiraient lors de leur démarche d’arrêt tabagique. Faisons un parallèle avec une personne souffrant d’hypertension, comme l’a fait le Boston Medical Center. Cette personne se verra prescrire des médicaments pour rétablir sa pression artérielle. Si ce médicament ne lui convient pas, une solution de rechange lui sera proposée. Un ou des suivis seront également réalisés. La même façon de procéder devrait s’appliquer dans un processus d’arrêt tabagique. Chaque personne étant différente, il y aura tout autant de façons de cesser de fumer. Si les timbres sont insuffisants, un ajout de gommes ou de pastilles devrait être suggéré. Encore faut-il qu’il y ait un suivi entre la personne en processus d’arrêt tabagique et le professionnel de la santé.
Le fait de ne pas suggérer, ou du moins, de ne pas discuter de l’arrêt tabagique avec un patient revenait à lui offrir un traitement inférieur au traitement idéal.
Plusieurs études ont démontré que la cessation tabagique constitue l’un des meilleurs remèdes pour traiter différentes maladies. Par exemple, le cancer est mieux traité lorsque le patient est non-fumeur : la radiothérapie et la chimiothérapie gagnent en efficacité pour lutter contre le cancer. Le Dr. Graham Warren de l’Université médicale de Caroline du Sud a même dit lors d’une conférence que le fait de ne pas suggérer, ou du moins, de ne pas discuter de l’arrêt tabagique avec un patient revenait à lui offrir un traitement inférieur au traitement idéal.
La spirale de la dépendance
Trois cercles vicieux peuvent freiner le processus d’arrêt tabagique d’une personne.
Le cercle de la dépendance : la nicotine contenue dans la cigarette, lorsqu’inhalée, atteint le cerveau en aussi peu que 10 secondes. La nicotine se lie aux récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine et déclenche la libération de dopamine, créant ainsi un système de récompense qui incite l’individu à consommer de nouveau.
Le cercle de la stigmatisation : une personne qui se sent jugée et stigmatisée ne demandera pas le soutien nécessaire à la réussite de sa démarche d’arrêt tabagique. Parfois, les personnes qui fument sont sujettes à de l’autostigmatisation et se jugent elles-mêmes, ce qui accentue la difficulté d’aller chercher l’aide adéquate.
Le cercle de la santé mentale : beaucoup de personnes qui fument sont atteintes d’un trouble de santé mentale. Celles-ci vont utiliser le tabagisme à des fins d’automédication pour soulager temporairement leurs symptômes ou les effets secondaires de certains médicaments utilisés pour le traitement de TSM. Cela aura pour effet d’aggraver leur état de santé mentale puisque l’efficacité de certains médicaments pourrait diminuer. Le dosage devra potentiellement être revu à la hausse, entrainant alors une exacerbation des effets secondaires. Ils auront ainsi davantage recours au tabagisme pour s’automédicamenter, ce qui contribue à ce cercle vicieux.
Le manque de temps et de ressources du système de la santé ainsi que les besoins grandissants de la population représentent des obstacles à la discussion sur la cessation tabagique entre les professionnels de la santé et leurs patients. Or, on sait que la cessation tabagique procure des bénéfices pour la santé physique et mentale. Qui plus est, l’investissement de temps, ne serait-ce que par l’intervention brève en trois étapes, de la part des professionnels de la santé, permettrait d’éviter un grand nombre de problèmes de santé à long terme et donc de désengorger le système de santé.
L’intervention brève pour la cessation tabagique vise à aider les individus à cesser de fumer et peut être offerte par divers professionnels de la santé travaillant dans différentes sphères du système de santé.
Il y a trois étapes dans ce modèle d’intervention :
- DEMANDER : interroger la personne et enregistrer son statut tabagique.
- CONSEILLER : recommander à toutes les personnes qui fument d’arrêter et de discuter de la meilleure méthode de cessation pour chacune d’elles.
- AIDER : proposer de faciliter le référencement et encourager l’utilisation d’une intervention comportementale, d’aides pharmacologiques ou de thérapies de remplacement de la nicotine.
Lorsqu’une personne entreprend une démarche de cessation tabagique et qu’elle consulte un professionnel de la santé, comme un pharmacien ou un spécialiste en arrêt tabagique, certaines questions lui sont posées afin de déterminer le traitement adéquat en ce qui concerne les thérapies de remplacement de la nicotine. Les patients craignent d’être jugés et stigmatisés : selon la littérature, ils auront tendance à modifier à la baisse leur nombre de cigarettes fumées par jour par peur de représailles, par exemple. Il a été prouvé que le taux de réussite d’une démarche d’arrêt tabagique s’améliore lorsque celle-ci est associée à des aides pharmacologiques ou à des thérapies de remplacement de la nicotine. Afin de suggérer un traitement adéquat, le professionnel de santé doit se renseigner sur les habitudes de consommation de la personne. Cependant, selon la littérature, un traitement basé sur des informations erronées pourrait ne pas convenir : le dosage de nicotine recommandé pour les timbres pourrait être insuffisant, par exemple.
Les professionnels de la santé seront de plus en plus amenés à discuter de la cessation tabagique avec leurs patients touchés par un TSM, aux vues de tous les bienfaits de cette démarche. On sait que la cessation tabagique permettrait de diminuer significativement la prise de médicaments associée aux troubles de santé mentale. Bien que la dépendance à la nicotine soit tout aussi problématique que toute autre dépendance, celle-ci n’occupe généralement pas la place de choix lors des interventions avec les patients. D’un autre côté, certains professionnels de la santé ne se sentent pas à l’aise d’aborder la cessation tabagique, étant eux-mêmes des personnes qui fument.
Comment éviter la stigmatisation
La déstigmatisation des personnes qui fument commence par de petites actions :
- Connaître et comprendre la dépendance au tabagisme.
- Être conscient de ses propres attitudes et de ses comportements.
- Remettre en question ses préjugés.
- Réfléchir aux mots utilisés lors de l’intervention. La façon de parler peut influer sur les attitudes des autres.
- Communiquer les faits.
- Avoir une attitude positive.
- Se concentrer sur les aspects positifs et les petites victoires.
- Soutenir les gens. Traiter chaque personne avec dignité et respect. Offrir soutien et encouragements.
Alimenter la réflexion sur la cessation tabagique
Même si les patients ne souhaitent pas cesser de fumer, la discussion peut se poursuivre autour du sujet. Mme Suzanne Dumais propose d’enchainer avec diverses questions afin d’alimenter la discussion sur l’arrêt tabagique :
- Avez-vous déjà essayé d’arrêter de fumer?
- Aviez-vous eu de l’aide, soit par counseling, soit par des thérapies de remplacement de la nicotine lors de ces tentatives?
- Avez-vous remarqué quelles situations déclenchaient vos envies de fumer?
Parfois, simplement expliquer que la nicotine crée une dépendance et que ce n’est pas un manque de volonté de la part des patients, un mythe encore trop souvent véhiculé, permet d’engager la réflexion sur la cessation tabagique. Il est aussi important de féliciter la personne dans ses petits comme ses grands succès vers une vie sans tabac.
La nicotine crée une dépendance et ce n’est pas un manque de volonté.
Finalement, il est essentiel de se rappeler que le statut tabagique d’une personne ne définit pas son identité. Il faut ainsi éviter de faire référence à un fumeur, mais plutôt référer à une personne qui fume. La dépendance n’est pas sélective. Ainsi, chaque personne devrait être traitée avec professionnalisme et sans jugement. La systématisation d’une brève intervention en matière de cessation tabagique, aussi succincte soit-elle, est nécessaire et devrait être implantée dans les établissements de santé.
Caroline Normandin, Ph. D.