La publicité pour les produits de vapotage devant la Cour d’appel du Québec
Avril 2021 - No 150
L’industrie du vapotage réclame plus de liberté pour promouvoir ses produits et demande un assouplissement de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme. Le Québec s’y oppose. La Cour d’appel du Québec a entendu les deux parties.
Le Québec devrait-il autoriser davantage de publicités pour les produits de vapotage parce que ces derniers pourraient soutenir l’arrêt tabagique? Devrait-on aussi permettre l’usage de ces appareils dans certains lieux fermés, comme dans les commerces spécialisés qui les vendent? C’est ce que réclament, entre autres, l’Association québécoise des vapoteries (AQV) et l’Association canadienne du vapotage (ACV), en invoquant la réduction des méfaits que permettraient ces produits.
Pour l’État, au contraire, la Loi concernant la lutte contre le tabagisme doit être maintenue intégralement parce que ses dispositions protègent les jeunes et les non-fumeurs et permettent de renseigner les fumeurs intéressés par le vapotage dans leur démarche d’arrêt tabagique. C’est aussi l’avis de la Société canadienne du cancer, qui a plaidé devant la Cour d’appel à titre d’intervenant.
Le 22 mars 2021, les juges ont entendu les arguments de toutes les parties.
Un premier jugement favorable aux commerçants
Rappelons qu’en mai 2019, l’AQV et l’ACV ont gagné le premier round. À la suite de leur requête, le juge Daniel Dumais de la Cour supérieure du Québec a partiellement invalidé cinq articles de la Loi.
Il a invalidé les articles 2 (1) et 2 (12) dans la mesure où ils interdisent l’usage des produits de vapotage dans deux lieux publics, soit les commerces spécialisés qui les vendent et les cliniques de cessation tabagique. Pour le juge, ces limites portent atteinte à l’intégrité des fumeurs parce qu’elles réduisent la probabilité qu’ils passent une fois pour toutes au vapotage. « S’il ne garantit rien, l’essai en boutique ou en clinique peut jouer un rôle et faciliter l’abandon du tabac et de ses méfaits », écrit-il.
Le juge a aussi partiellement invalidé les articles 24 (4), 24 (8) et 24 (9) parce qu’ils portent atteinte à la liberté d’expression des marchands. Ces articles interdisent plus précisément les publicités qui :
- utilisent des attestations ou des témoignages;
- sont diffusées ailleurs que dans des médias écrits dont au moins 85 % des lecteurs sont majeurs;
- sont diffusées autrement que par de l’affichage visible à l’intérieur des points de vente.
Pour le juge, ces restrictions ne devraient pas viser une publicité pour les produits de vapotage, pourvu qu’elle cible « clairement et uniquement, les fumeurs, et qu’on la présente comme moyen de cessation tabagique ». Enfin, le juge Dumais a invalidé l’article 6.4 (2) du Règlement d’application de la Loi, qui interdit un étalage des produits visible depuis l’extérieur des points de vente.
En juin 2019, le gouvernement du Québec s’est pourvu contre ce jugement de première instance, c’est-à-dire qu’il en a fait appel.
Un produit moins dangereux à certaines conditions
On entend souvent dire que, bien qu’ils ne soient pas sans risques, les produits de vapotage en comportent moins que le tabac combustible. L’affirmation est vraie, mais uniquement lorsqu’ils sont utilisés seuls. Voilà pourquoi Santé Canada avise les fumeurs que « remplacer complètement vos cigarettes par un produit de vapotage réduira votre exposition aux produits chimiques nocifs » (c’est nous qui soulignons). Des études publiées après la décision rendue par le juge Dumais tendent d’ailleurs à le démontrer. Menées en laboratoire ou auprès de jeunes militaires, ces recherches suggèrent que fumer tout en vapotant entraîne davantage de méfaits que l’utilisation exclusive de l’un ou l’autre des produits.
Or, la plupart des vapoteurs sont également des fumeurs. Pis encore, certains n’ont jamais fumé. Au Québec, par exemple, le tiers des vapoteurs n’ont jamais aspiré une bouffée de cigarette de leur vie, selon l’Enquête canadienne sur le tabac et la nicotine. Et que dire du taux de vapotage chez les adolescents québécois, qui atteignait 21 % en 2019, selon l’Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool, la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire, alors que le taux de tabagisme chutait à 9 %?
Des publicités qui ciblent davantage que les fumeurs
En somme, les publicités actuelles pour les produits du vapotage ne semblent pas cibler « clairement et uniquement » les fumeurs, mais aussi les jeunes et les non-fumeurs. C’est ce dont la Cour supérieure n’a pas tenu compte, a plaidé Me Jean-François Paré, au nom du gouvernement, en rappelant que la Loi vise aussi à les protéger du tabagisme et du vapotage.
Le fait d’autoriser la publicité pour les produits de vapotage pour autant qu’elle « cible, clairement et uniquement, les fumeurs, et qu’on la présente comme moyen de cessation tabagique » soulève d’autres problèmes.
D’abord, les publicités diffusées à ce jour ont rarement mis les fumeurs de l’avant. Elles font plutôt valoir les saveurs de ces produits, ou leur allure branchée, deux caractéristiques susceptibles d’attirer les jeunes. Ensuite, présenter le vapotage « comme moyen de cessation tabagique », contrevient à la Loi sur le tabac et les produits de vapotage. En effet, la Loi fédérale interdit de promouvoir des produits de vapotage non homologués de manière à faire croire que leur usage ou leurs émissions « pourraient présenter des avantages pour la santé ».
En somme, aux yeux de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, la décision du juge Dumais « n’est ni réaliste ni appropriée, compte tenu du contexte actuel ». Invalider en partie des articles de la Loi québécoise « permettrait de diffuser à peu près n’importe quelle publicité dans n’importe quel lieu, avec les conséquences que l’on devine sur le taux de vapotage chez les jeunes », fait remarquer Flory Doucas, codirectrice de l’organisme.
Même les professionnels de la santé qui soutiennent l’usage des produits de vapotage dans un contexte clinique sont d’accord pour affirmer que ces produits ne nécessitent aucune publicité.
Des interdictions publicitaires approuvées par tous les experts
Les experts en santé en conviennent aussi : les produits de vapotage ne nécessitent pas de publicité. Même ceux qui soutiennent leur usage dans un contexte clinique sont d’accord, comme c’est le cas du Dr Martin Juneau, de l’Institut de cardiologie de Montréal ou du Dr Gaston Ostiguy, maintenant retraité. Cela dit, certains chercheurs, comme Robert Schwartz, de l’Université de Toronto, proposent de renforcer davantage la Loi québécoise afin que les publicités pour ces produits soient permises uniquement à l’intérieur des paquets de cigarettes et ciblent très précisément les fumeurs. Néanmoins, la réglementation fédérale sur l’emballage neutre interdit actuellement ce type d’option.
Alors, que faut-il en conclure?
Pour l’instant, la réduction des méfaits due aux produits de vapotage est essentiellement théorique, puisque ces produits séduisent surtout des adolescents et de jeunes adultes. De surcroît, des données parues après le verdict du juge Dumais montrent qu’il subsiste beaucoup de méconnaissance au sujet de ces appareils. En effet, le tiers des vapoteurs et des fumeurs canadiens ignorent s’ils sont plus, ou moins dangereux que le tabac combustible, signale l’Enquête canadienne sur le tabac et la nicotine de 2019.
D’autres données parues après le jugement de première instance révèlent une confusion semblable au sujet des thérapies de remplacement de la nicotine (TRN). Pas moins de 12 % des fumeurs canadiens les croient extrêmement ou très nocives, alors que 20 % ignorent leur degré de nocivité, dévoile un sondage réalisé pour le compte de Santé Canada en 2019. Cette ignorance appelle à une certaine prudence quant à la diffusion de publicités en faveur de l’industrie du vapotage, une industrie formée en grande partie, faut-il le rappeler, par les grandes compagnies de tabac.
En dernière analyse, de meilleures communications au sujet des TRN seraient de toute évidence utiles. L’homologation auprès de Santé Canada des produits de vapotage comme outils de cessation résoudrait aussi plusieurs enjeux. Elle forcerait notamment ceux qui les fabriquent à en garantir l’efficacité et la sécurité et leur permettrait d’être annoncés… n’importe où.
Le jugement de la Cour d’appel est attendu d’ici quelques mois.
Anick Labelle