Des documents secrets révèlent les moeurs douteuses d’Imperial Tobacco

L’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF), la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac et Médecins pour un Canada sans fumée dénoncent publiquement les pratiques d’Imperial Tobacco, à la veille de l’assemblée annuelle d’Imasco, maison mère d’Imperial Tobacco, qui s’est tenue le 29 avril dernier.

Cette dénonciation s’établit sur des documents tenus jusqu’alors secrets et puisés à même les archives de British American Tobacco (BAT) en Angleterre, qui contrôle Imasco. À la lumière des informations recueillies, le regroupement antitabac réclame la tenue d’une commission royale d’enquête sur le comportement de l’industrie du tabac.

L’accès aux archives a été rendu possible au terme d’une poursuite intentée contre l’industrie du tabac au Minnesota. Tous les documents soutirés par Me Eric LeGresley, l’avocat délégué de l’Organisation mondiale de la santé et Cynthia Callard, directrice générale de Médecins pour un Canada sans fumée, ont été remis au gouvernement fédéral.

Les neuf documents révélés ne sont que la pointe de l’iceberg et ne représentent qu’une partie des 6 000 pages de documents confidentiels obtenus. On y apprend notamment qu’Imperial Tobacco cible systématiquement les jeunes dans ses stratégies commerciales et lors d’études de marché.

Les cigarettiers ciblent les jeunes

Dans un document publié à la fin de 1998 intitulé Notre position, Imperial Tobacco indique qu’elle ne veut nullement influencer les jeunes : « Certains documents mentionnant des études de marché réalisées par Imperial Tobacco sur les préférences et les attitudes des jeunes ont été mis à jour. Les enquêtes de cette nature avaient pour but de prévoir l’orientation de l’industrie. Elles ne visent aucunement à influencer les mineurs et n’ont jamais été mises à profit à cette fin. »

Pourtant, des documents obtenus aux archives de BAT révèlent les positions de la haute direction sur ce point reconnaissant que son succès global repose sur la pénétration du marché des jeunes : « La capacité des marques d’Imperial Tobacco à toujours accroître le marché des jeunes (…) a été le catalyseur de notre croissance de la dernière décennie. »

Bien que l’on utilise le qualificatif « jeunes » plutôt que « mineurs », dans un document qui remonte à 1982, Imperial Tobacco se proposait d’étudier des écoliers de 15 ans afin de mettre à jour des distinctions d’ordre physiques ou sociales caractérisant les enfants qui fument de ceux qui ne fument pas.

François Damphousse, directeur de l’ADNF, lors de la présentation de ces documents, a souligné que : « Le ciblage délibéré des jeunes canadiens constitue l’une des révélations les plus troublantes de l’enquête. Ces documents démontrent qu’Imperial Tobacco reconnaît qu’elle doit recruter des clients auprès des jeunes pour remplacer les fumeurs qui abandonnent la cigarette ou qui meurent. ITL est très consciente que les jeunes sont la clé de son succès. »

Imperial Tobacco garde la tête haute et par la voie de son directeur des affaires publiques, Michel Descôteaux, a répondu à ces allégations : « Il n’y a aucune information nouvelle là-dedans, ce ne sont que des citations hors contexte et des informations partielles. Depuis plusieurs années Imperial Tobacco poursuit des recherches scientifiques soit indépendantes, soit en collaboration avec les gouvernements, avec d’autres entreprises sous contrat et avec des universités. L’objectif poursuivi par la compagnie est de développer une meilleure cigarette. »

Les groupes antitabac et les cigarettiers ne s’entendent pas sur la définition d’une « meilleure cigarette ».

Outre cela, les documents révèlent qu’Imperial Tobacco, en 1984, était consciente de la tendance à la baisse du tabagisme et ces dangereux effets sur son avenir. Elle a alors réagi et, dans le cadre de ses activités, s’est employée à inciter les gens à commencer à fumer en plus de les décourager de cesser l’usage du tabac.

À ce chapitre, François Damphousse, a précisé qu’« Imperial Tobacco savait que le simple fait d’inciter les fumeurs à changer de marque de cigarettes n’était pas suffisant afin de garder ses profits élevés et que sa survie à long terme dépendait de la croissance du bassin de fumeurs (…) et que leur avenir dépendait de la grandeur du marché des débutants ». Par la voie d’un quotidien, M. Descôteaux a laissé entendre que cela était « une pratique commerciale normale ».

Imperial Tobacco semble participer à la contrebande

D’autres documents internes montrent que la compagnie a collaboré au marché de la contrebande de cigarettes entre les États-Unis et le Canada. M. Descôteaux réplique et nie catégoriquement : « Imperial Tobacco n’a jamais sciemment vendu de cigarettes à des contrebandiers. »

Toujours de cette même cueillette, des documents révèlent que la compagnie a soutenu les campagnes de protestation contre les taxes sur le tabac : « L’industrie a organisé et financé un vaste programme de protestation contre les taxes et dirigé contre le premier ministre. »

Par ailleurs, certains documents laissent entendre qu’Imperial Tobacco savait depuis des décennies que les cigarettes et la nicotine engendrent une dépendance et que les cigarettes légères sont aussi dangereuses que les cigarettes régulières. Malgré tout, les cigarettiers ont déployé des efforts considérables afin de développer des emballages suggérant l’idée que les cigarettes dites légères sont moins nocives.

Le ministre Allan Rock réagit

Selon la Presse canadienne, le ministre fédéral de la Santé, Allan Rock a dépêché en Angleterre une équipe d’enquêteurs chargés d’examiner les archives de British American Tobacco. « Les documents internes du fabricant de tabac rendus publics (…) suscitent mon inquiétude. Il s’agit d’allégations très sérieuses », a indiqué le ministre Rock.

Imperial Tobacco a vu s’accroître constamment sa part de marché de la cigarette usinée au Canada, qu’il contrôle maintenant à près de 70%.

Lucie Desjardins