Faute de véritable concurrence, Imperial Tobacco hausse ses prix et ses bénéfices d’exploitation
été 1999 - No 27
En dépit de la controverse sur les années de contrebande ou sur la publicité du tabac ciblant les jeunes et malgré les lois et les requêtes en recours collectifs, le géant canadien du tabac Imperial Tobacco continue de rouler sur l’or.
Le fabricant des cigarettes Player’s et du Maurier a annoncé avoir réalisé, pour l’année 1998, des bénéfices d’exploitation record de 815 millions $, représentant pas moins de 47 % de ses revenus, excluant les taxes. Il s’agit d’une hausse de 5 % par rapport aux bénéfices d’exploitation de 1997.
Ce rendement impressionnant avait de quoi satisfaire les quelque 400 actionnaires présents à l’assemblée générale de la société de gestion Imasco, tenue le 29 avril aux salles de bal Windsor de Montréal.
La majorité des bénéfices d’exploitation d’Imasco (53 %) proviennent d’Imperial Tobacco. L’excédent découle des trois autres divisions de la société, soit les services financiers Canada Trust, la chaîne de pharmacies Pharmaprix (Shoppers Drug Mart au Canada anglais) et les centres domiciliaires Genstar. Imasco est contrôlée par la multinationale du tabac British American Tobacco, laquelle détient 42 % des actions.
L’assemblée d’Imasco a été précédée de deux événements favorables aux actionnaires. Le 12 avril, Imperial Tobacco a discrètement augmenté de 4,4 % le prix de ses cigarettes. Concurremment, le 28 avril, en grande pompe, elle annonçait la modernisation de son usine montréalaise de Saint-Henri. Sans aucun appui financier gouvernemental, cet investissement de 60 millions $ aura pour effet de réduire les coûts de production et de ramener le nombre d’employés de 470 à 400.
Hausse de 4,4 % des prix
Pour les actionnaires, la hausse des prix signifie la hausse des profits. Le rapport annuel d’Imasco de 1998 est clair quant aux perspectives d’avenir pour Imperial Tobacco : « La compagnie prévoit que la croissance des revenus et du bénéfice d’exploitation se poursuivra en 1999, en présumant qu’elle ne subira aucun impact important découlant de nouvelles mesures gouvernementales antitabac. Cette croissance devrait provenir d’un accroissement de la part de marché, d’augmentations de la productivité et de hausses de prix. »
Au Canada, la cigarette usinée se caractérise par l’uniformité des prix de gros de la part des trois principaux manufacturiers, lesquels contrôlent ce marché à environ 99 %. Il est à même de constater que depuis des décennies, le rituel d’augmentation des prix se répète régulièrement : un des fabricants annonce une hausse des prix, puis les deux autres l’imitent dans les heures ou les jours qui suivent.
N’y décelant pas d’actes illégaux de collusion, le Bureau de la concurrence du gouvernement fédéral tolère cette pratique de prix unifiés, même si elle procure des profits faramineux aux trois grands fabricants de cigarettes.
Le Bureau de la concurrence n’est pas totalement insouciant des activités des fabricants de cigarettes. Le 13 mai, il annonçait une entente avec British American Tobacco l’enjoignant de vendre Rothmans Canada, à la suite de sa fusion avec Rothmans International. Le commissaire du Bureau considère que cette fusion, qui laisserait 88 % du marché canadien des cigarettes contrôlé par B.A.T., « mènerait vraisemblablement à une diminution ou à une réduction sensible de la concurrence ».
Concurrence en 1986
L’examen des rapports annuels d’Imasco révèle que la dernière activité de concurrence réelle sur les prix, entre les grands fabricants canadiens, remonte à 1986, alors que l’un d’entre eux avait osé mettre sur le marché des paquets de 30 cigarettes pour le prix de 25.
De 1978 à 1998 au Canada, la part de marché d’Imperial Tobacco, pour les cigarettes usinées, est passée de 42 % à 68 %. Cette hausse lui a permis de compenser en partie la réduction importante du tabagisme survenue dans les années 80. Cependant, elle n’explique pas l’ascension vertigineuse des bénéfices d’exploitation de la compagnie, lesquels sont passés durant cette période de 68 à 815 millions $.
Denis Côté