Cessation tabagique : Le rôle essentiel des professionnels de la santé travaillant en première ligne

Professionnels de la santé boxeurs cigarette

Médecins, infirmières, dentistes, hygiénistes dentaires, pharmaciens, inhalothérapeutes. Quel est le rôle de chacun et comment collaborent-ils pour soutenir les fumeurs qui souhaitent se libérer de leur dépendance? Voici un tour d’horizon des possibilités qu’offrent les services de première ligne, au Québec, en matière de cessation tabagique et de réduction des méfaits.

Tableau statistique proportion fumeurs québecLa lutte contre le tabagisme a fait des progrès considérables au cours des dernières décennies au Québec. Chez les personnes de 12 ans et plus, la proportion des fumeurs est ainsi passée de 26,1 % en 2003 à 17 % en 2019. Malgré tout, le progrès demeure lent et il reste beaucoup de travail à faire pour atteindre la cible de 10 % de fumeurs en 2025, telle que réitérée par le gouvernement du Québec dans sa Stratégie pour un Québec sans tabac 2020-2025.

Des professionnels de première ligne pour vaincre la dépendance à la nicotine

L’abandon du tabagisme constitue l’un des quatre axes d’intervention de la stratégie gouvernementale pour réduire la proportion de fumeurs au Québec. Pour y arriver, on peut compter sur plusieurs professionnels de la santé, notamment ceux qui fournissent des services de première ligne, soit des points de services dont l’objectif est d’assurer le premier contact entre le patient et le système de santé.

Parmi les intervenants de première ligne, on peut par exemple penser aux médecins et aux infirmières des cliniques de médecine familiale, mais aussi aux pharmaciens, aux dentistes, aux hygiénistes dentaires, et même aux inhalothérapeutes qui travaillent en milieu communautaire. Puisqu’ils sont souvent les premiers que rencontrent les personnes qui fument, ces professionnels constituent un maillon essentiel du traitement de la dépendance à la nicotine. D’ailleurs, les fumeurs eux-mêmes sont nombreux à les consulter lorsqu’ils désirent abandonner la cigarette.

Déjà, dans un sondage mené au Québec en mai 2006 par l’INSPQ, la majorité des personnes qui fument et qui se sont libérées de leur dépendance à la nicotine était d’avis que le counseling tabagique faisait partie du rôle des professionnels de première ligne. Comme ces professionnels rencontrent régulièrement ces patients, leurs interventions, même si elles sont brèves, peuvent exercer un impact considérable sur la santé de la population.

Tirer profit des professionnels de première ligne

L’idée de solliciter l’aide des professionnels de première ligne pour intervenir auprès de ceux et celles qui présentent une dépendance à la nicotine ne date pas d’hier. En 2004, le ministère de la Santé et des Services sociaux avait confié à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) le mandat « d’élaborer conjointement avec six ordres professionnels québécois (Collège des médecins, Ordre des dentistes, Ordre des hygiénistes dentaires, Ordre des inhalothérapeutes, Ordre des pharmaciens, Ordre des infirmières et infirmiers) un projet visant à faire en sorte que leurs membres s’impliquent plus activement dans la lutte contre le tabagisme » (INSPQ, 2004). Ce projet a abouti à une déclaration commune de ces six ordres professionnels en 2012, dans laquelle on peut lire : « Étant donné l’ampleur et la gravité de l’usage du tabac dans notre société, tous les acteurs du réseau de la santé se doivent d’inclure la lutte contre le tabagisme dans la pratique clinique et faire en sorte que celle-ci fasse partie intégrante des soins au Québec ».

Presque dix ans plus tard, on peut se demander comment cette intégration de la lutte contre le tabagisme se traduit dans la pratique des professionnels de première ligne.

Madame, Monsieur, fumez-vous?

La publication, en 2020, d’un cadre de référence conjoint portant sur la pratique professionnelle en abandon tabagique, a tracé les balises communes d’intervention des médecins, des infirmières, des pharmaciens et des inhalothérapeutes. En substance, le mot d’ordre est « de saisir toutes les occasions pour intervenir, même minimalement, auprès du patient fumeur de tout âge, de le guider vers la décision de cesser de fumer et de le considérer comme un partenaire actif dans sa démarche d’abandon du tabac ».

En pratique, les professionnels documentent le statut tabagique de tous leurs patients. La question « Faites-vous usage d’un produit du tabac, incluant la cigarette électronique? » figure ainsi dans les questionnaires médicaux standardisés et constitue la base de l’intervention en première ligne. En clinique, le statut tabagique est généralement déterminé pendant les rendez-vous courants ou l’ouverture d’un dossier. En pharmacie, il est fixé pour tous les nouveaux patients et à la mise à jour des dossiers lorsque, par exemple, ils déposent une ordonnance. Notons ici que les dentistes et les hygiénistes dentaires, même s’ils ne sont pas inclus dans le cadre de référence, évaluent systématiquement le statut tabagique de leurs patients et interviennent au besoin afin d’informer et de sensibiliser les fumeurs aux méfaits de la cigarette. Nous y reviendrons plus loin.

Un counseling pourra alors être offert à tous les patients ciblés comme présentant une dépendance à la nicotine ou s’en étant libérés. La nature de l’intervention* dépendra cependant de la motivation de la personne. « Mon expérience montre que si le patient ne voit aucun avantage à cesser de fumer, l’intervention risque d’être peu efficace », explique la Dre Clara Moukhtar, qui exerce la médecine familiale dans la région de Montréal. Ainsi, la démarche de counseling en abandon tabagique s’adaptera en grande partie à la volonté qu’a le fumeur d’écraser.

« En tant que professionnel de la santé, on doit ouvrir la porte à la cessation tabagique et se montrer disponible pour le patient, précise la Dre Moukhtar. On amène la personne à réfléchir. Il peut y avoir plusieurs rechutes, mais ce ne sont pas des échecs : ce sont des étapes. »

Parfois, l’intervention se limitera à de l’information sur les méfaits du tabagisme et les avantages de se libérer de la cigarette. Dans d’autres cas, le professionnel dirigera le patient vers une ressource spécialisée en arrêt tabagique, comme la ligne J’ARRÊTE, un centre d’abandon du tabagisme, ou encore le service de messagerie pour arrêter le tabac (SMAT). À cet effet, un formulaire en ligne facilite maintenant le référencement des fumeurs vers les services J’ARRÊTE. Si la personne le souhaite, la prescription d’une aide pharmacologique peut s’ajouter à son coffre à outils pour se libérer de sa dépendance à la nicotine.

* Afin d’aider les professionnels en cessation tabagique, le ministère de la Santé et des Services sociaux a publié un Guide des bonnes pratiques en prévention clinique, de même qu’un outil de soutien clinique à l’abandon tabagique (SCAT).

L’entretien motivationnel au cœur des interventions en cessation tabagique

L’entretien motivationnel vise à amener une personne à réfléchir sur une habitude de vie et à prendre une décision fondée sur un objectif atteignable. En cessation tabagique, cette méthode fait partie intégrante des interventions de consultation réalisées par tous les professionnels de première ligne. L’idée consiste à créer, grâce à une communication entre le patient et le professionnel, un début de réflexion qui s’appuie sur les motivations qu’a la personne de se libérer de sa dépendance, tout en favorisant son autonomie et son engagement à y parvenir.

 

Les aides pharmacologiques : qui peut les prescrire?

Rôle professionnels cessation tabagiqueOn reconnaît aujourd’hui que, selon le médicament visé, les aides pharmacologiques permettent de doubler, voire de tripler la probabilité qu’un fumeur se libère une fois pour toutes de sa dépendance. Il existe trois grandes catégories de médicaments indiqués pour l’abandon du tabagisme, soit les thérapies de remplacement de la nicotine (TRN), la varénicline (Champix®) et le chlorhydrate de bupropion (Zyban®).

Mais qui peut prescrire ces thérapies médicamenteuses?

D’abord, les médecins et les infirmières praticiennes spécialisées (IPS) peuvent prescrire toutes les formes d’aides pharmacologiques servant au traitement de la dépendance à la nicotine. Il en va de même pour les pharmaciens depuis janvier 2021, moment de l’entrée en vigueur de la Loi 31, qui a élargi leur rôle pour favoriser un meilleur accès aux soins de première ligne au Québec. Avant 2021, les pharmaciens pouvaient seulement prescrire les TRN.

Du côté des infirmières, outre les IPS, seules celles à qui l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec (OIIQ) en a accordé le droit dans le domaine de la santé publique, peuvent émettre des prescriptions pour la cessation tabagique, mais ce droit se limite aux TRN. Il en est ainsi pour les inhalothérapeutes, qui peuvent prescrire des TRN depuis 2018 s’ils ont terminé une formation à cette fin.

TRN

Le remboursement des aides pharmacologiques : un obstacle majeur à la cessation tabagique

Malgré les nombreux professionnels de première ligne qui peuvent intervenir auprès des fumeurs, ces derniers ont toujours de la difficulté à se libérer une fois pour toutes de leur dépendance. Selon le Conseil québécois sur le tabac et la santé, « un fumeur fera [en moyenne] quatre tentatives avant d’arrêter définitivement de fumer ». Une étude canadienne conclut, pour sa part, que jusqu’à 30 essais seraient nécessaires. Dans tous les cas, les rechutes sont fréquentes, ce qui constitue un problème de taille, non seulement parce qu’elles découragent les fumeurs de persévérer, mais aussi parce qu’elles peuvent empêcher que les traitements futurs soient remboursés par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).

« Il y a une lacune actuellement au niveau du remboursement des aides pharmacologiques, explique Karine Thibault, pharmacienne de la région de Québec. Le remboursement de ces médicaments par la RAMQ devrait avoir une portée beaucoup plus étendue, puisqu’on sait que si le patient réussit à cesser de fumer, il désengorgera d’une manière ou d’une autre le système de santé. »

À l’heure actuelle, la RAMQ rembourse les aides pharmacologiques à raison de 12 semaines successives par année, et jusqu’à 24 semaines pour la varénicline (Champix®). « Les 12 semaines de remboursement commencent la journée où l’on remet le premier paquet de timbres au patient », précise Karine Thibault. Or, si la personne rechute ou décide de commencer son traitement quelques semaines plus tard, le remboursement cesse jusqu’à l’année suivante.

L’enjeu du remboursement guette également les grands fumeurs qui ont besoin d’une combinaison de timbres, et ceux qui veulent seulement réduire leur consommation de cigarettes. Dans les deux cas, l’on ne respecte pas les critères de remboursement établis par la RAMQ.

La modernisation du programme de remboursement des médicaments pour l’arrêt tabagique fait l’objet de demandes répétées de la part d’un regroupement d’experts pour la cessation tabagique. Ce groupe, composé de pneumologues, de pédiatres et d’autres spécialistes du milieu, demande que les critères de remboursement des aides pharmacologiques soient assouplis, notamment en ce qui concerne la durée du traitement et les doses prescrites. Au moment d’écrire ces lignes, ces critères n’avaient toujours pas été allégés.

Notons au passage que les assureurs privés remboursent généralement sans difficulté les TRN et les autres aides pharmacologiques pour le traitement de la dépendance à la nicotine, et pour une période supérieure à 12 ou 24 semaines.

Dentistes et hygiénistes dentaires : sensibiliser et informer les fumeurs au sujet des méfaits du tabagisme

Les dentistes et les hygiénistes dentaires, même s’ils ne sont pas autorisés à prescrire des aides pharmacologiques, sont bien placés pour informer et sensibiliser les patients quant aux méfaits des produits du tabac.

« Les effets du tabagisme sur la cavité buccale sont nombreux, explique Jennifer Alvarez, hygiéniste dentaire et enseignante en techniques d’hygiène dentaire au Cégep de Saint-Hyacinthe. Entre autres, les fumeurs sont plus susceptibles de développer une gingivite (inflammation des gencives). Avec le temps, ceci évoluera en maladie parodontale (détérioration de l’os qui supporte les dents). Malheureusement, ces séquelles sont irréversibles. Elles peuvent cependant être ralenties et stabilisées si la personne arrête de fumer et si elle continue à recevoir de bons soins buccodentaires. »

L’intervention des dentistes et des hygiénistes dentaires peut donc s’avérer déterminante pour la personne qui fume, et pour celle qui s’est libérée de la nicotine, mais considère recommencer à fumer ou à vapoter. Il est à noter que le vapotage peut lui aussi avoir des répercussions sur la santé buccodentaire.

Au-delà de la cessation tabagique, prôner la réduction des méfaits

La cessation tabagique se veut l’objectif ultime des professionnels de la santé lorsqu’ils interviennent auprès d’un fumeur ou d’un ancien fumeur. Elle ne constitue cependant pas l’unique avenue possible, puisque tous les fumeurs ne sont pas prêts à se libérer de leur dépendance au moment où ils consultent un intervenant de première ligne.

« En tabagisme, on va toujours prôner la réduction des méfaits, explique la Dre Moukhtar. Si une personne n’est pas prête à cesser de fumer, on va tout de même l’encourager à diminuer sa consommation de cigarettes et à ne pas fumer à l’intérieur. »

Comment procède-t-on?

En informant la personne des conséquences de la cigarette sur la santé, en établissant des liens entre ces méfaits et sa situation, ou encore en misant sur les avantages de modifier ses habitudes tabagiques. Par exemple, il suffira parfois de lui expliquer les effets de la fumée secondaire pour la convaincre de fumer à l’extérieur. Même si l’impact demeure négligeable pour elle, il ne l’est pas pour ses proches, qui éviteront d’être exposés aux produits du tabac dans la maison.

Un programme communautaire de cessation tabagique au CISSS de Laval

À Laval, le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) a mis sur pied un programme de cessation tabagique, dont une partie se déroule en milieu communautaire. Sur référence d’un médecin, l’équipe, constituée d’une infirmière clinicienne, d’une travailleuse sociale et d’une inhalothérapeute, se déplace dans différents milieux de vie (par exemple, des HLM) afin de rencontrer les fumeurs qui veulent écraser. Les interventions de l’équipe visent d’abord et avant tout la réduction des méfaits. « Les gens sont conscients que la cigarette est néfaste pour la santé et qu’ils fument trop, explique Martine Dubois, inhalothérapeute au CISSS de Laval. Quand on leur demande combien de cigarettes ils aimeraient fumer, tous les patients ont un chiffre magique en tête, et on part de là. L’important, c’est qu’ils diminuent leur consommation de tabac. Et, parfois, les gens se rendent compte qu’ils en sont capables et arrivent à abandonner complètement la cigarette. »

Les intervenants de première ligne jouent un rôle essentiel dans la décision que prend un fumeur d’écraser. « Si un professionnel de la santé n’aborde pas l’arrêt tabagique lors de chaque rencontre avec le patient, c’est un peu comme s’il lui envoyait le message qu’il était acceptable de fumer », explique Martine Dubois. Ces professionnels constituent tous un point d’accès vers l’abandon tabagique. Or, plus ces points seront nombreux, plus l’importance de l’abandon sera communiquée en première ligne, et plus les fumeurs disposeront des moyens leur permettant de se libérer enfin de leur dépendance.

Katia Vermette