Une première commandite pro-santé au Grand Prix de Trois-Rivières

Le cinéma et le popcorn, la Soirée du hockey et la bière, la course automobile et la cigarette : il y en a des associations qui, à force d’être répétées, semblent aussi inévitables que la fin de notre trop court été…

Et pourtant, cette année à Trois-Rivières, le pilote américain David Seuss nous a fait une belle démonstration de la course automobile au service du bien commun plutôt qu’au profit d’Imperial Tobacco.

M. Seuss, un homme d’affaires américain devenu un pourfendeur à temps plein des commandites du tabac, a participé au Grand Prix (Player’s) de Trois-Rivières en portant les couleurs de trois organismes de santé : la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, le Conseil québécois sur le tabac et la santé et l’Association pour la santé publique du Québec.

Originaire d’une petite ville de l’Alabama, dont il a gardé des traces de l’accent chantant, M. Seuss est pourtant un véritable self-made man qui a eu une carrière fulgurante en informatique. Fondateur et ancien pdg de Spinnaker Software, un concepteur de logiciels, il s’est découvert une passion pour la course automobile en 1984.

La même année, sa mère meurt d’une maladie reliée à son tabagisme. « Je détestais la cigarette même avant qu’elle meure, explique M. Seuss. J’essayais toujours de la convaincre de cesser. Elle me disait, il y a des gens qui sont non-fumeurs et d’autres qui sont anti-fumeurs. Toi, tu es anti-fumeur. »

En tant que pilote amateur, M. Seuss est dégoûté par l’omniprésence de la publicité de tabac autour des pistes et sur les autos de course. Il a de plus en plus de difficulté à accepter l’association entre la vigueur et la jeunesse d’un côté, symbolisées par le sport automobile, et la cigarette de l’autre.

Après une première saison comme pilote professionnel, en 1995, M. Seuss décide d’agir en créant FAST (Fight Against Smoking Team). « Mon message aux enfants est très clair, déclare-t-il. Si tu veux être gagnant, il ne faut pas fumer. »

FAST n’est assurément pas une affaire de sous : la participation à une seule course coûte environ 20 000 $; en général, les organismes de santé qui commanditent la Ford Mustang de M. Seuss en déboursent 10 000 $. Le reste provient de donateurs privés, dont le plus important est sans doute M. Seuss lui-même, qui passe plusieurs mois par année à faire le tour des pistes nord-américaines avec son épouse et agente de promotion, Priscilla.

Impact médiatique

Dans le cas du Grand Prix de Trois-Rivières, M. Seuss n’aurait pu trouver une meilleure année pour participer à sa première course au nom du mouvement antitabac québécois. En effet, les organisateurs de la course trifluvienne se sont servis à coeur joie de l’événement pour prédire un cataclysme dans la région si la loi C-71 n’est pas amendée dans le sens réclamé par les fabricants de cigarettes.

Dans Le Nouvelliste du 29 juillet, par exemple, on laissait entendre que le Grand Prix de 1997 pourrait très bien être la dernière course du circuit CART à se tenir au Québec. L’unique source d’information sur la nouvelle loi fédérale : le pdg du Grand Prix, Léon Méthot, porte-parole à ses heures pour le « Ralliement pour la liberté de commandite ». (D’ailleurs, on décrit la loi C-71 tout bêtement comme « cette controversée loi qui régit la commandite du tabac », alors que la commandite ne constitue qu’un élément parmi bien d’autres de la loi Dingwall.)

En organisant un point de presse à la veille de la course, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac a réussi à contrer cette désinformation. Une dizaine de journalistes sont venus interviewer M. Seuss et des porte-parole des organismes commanditaires; l’initiative a donné lieu à plus d’une trentaine de reportages dans les médias québécois, dont le Téléjournal de Radio-Canada et l’édition réseau du TVA.

Le fait de voir une seule voiture aux messages antitabac passer à 200 km/h a-t-il un impact sur les attitudes envers la cigarette? Fort probablement, affirme le Dr Marcel Boulanger, président du Conseil québécois sur le tabac et la santé. « Si c’est bien pour l’industrie, c’est peut-être bien pour nous autres aussi », résume-t-il. Surtout, de telles commandites brisent l’apparence d’un consensus régional en faveur des cigarettiers. Ainsi, 14 organismes de la région de la Mauricie et du Centre-du-Québec ont appuyé l’initiative, dont quatre CLSC, un centre de femmes, et des intervenants du monde de l’éducation.

La présence de M. Seuss souligne aussi le fait que le débat sur la pertinence de limiter les commandites du tabac est international, et non un quelconque complot de Santé Canada contre les « intérêts du Québec ». M. Seuss répète à qui veut bien l’entendre que le sport automobile ne se portera que mieux lorsqu’il sera sevré de l’argent du cartel de la nicotine; et en tant que pilote professionnel, il l’affirme à titre d’expert.

Francis Thompson