Appui à la cessation ou protection des non-fumeurs?

En tant que société, nous sommes devenus en général assez tolérants envers les comportements autodestructeurs. Les tentatives de suicide ne constituent plus un délit. On peut aussi mettre sa vie en danger avec des habitudes de consommation à risque (alimentation excessive, alcool, etc.) sans que l’État s’en mêle.

Cette liberté s’arrête évidemment là où, par exemple, l’ivrogne se met derrière le volant d’une voiture et menace la vie d’autrui. De plus, l’État intervient souvent pour empêcher les uns d’encourager les comportements autodestructeurs des autres. Conséquence logique de ce principe : l’incitation au suicide demeure un crime.

Dans le cas du tabagisme, la situation est autrement plus compliquée. La dépendance physiologique et psychologique à la nicotine est tellement forte qu’on peut difficilement parler de liberté de choix dans ce genre de comportement autodestructeur. De plus, on devient accroché à la nicotine presque toujours avant d’atteindre l’âge de la majorité.

Pour couronner le tout, il existe toute une industrie qui tire la presque totalité de ses revenus des ventes aux toxicomanes que sont les fumeurs. On peut boire de l’alcool avec modération sans subir de dommages et, surtout, sans développer une dépendance et perdre sa liberté; avec le tabac, pour la grande majorité des gens, c’est ou bien la dépendance, ou bien l’abstinence totale.

Dans ce contexte, l’État a non seulement le droit mais carrément l’obligation de décourager le tabagisme avec des mesures vigoureuses – tout en respectant les droits des fumeurs. Si l’on peut critiquer tel ou tel manquement à ce devoir de lutte au tabagisme au cours des dernières décennies, force nous est de constater que notre société évolue dans le bon sens.

Mais que faire de la fumée de tabac dans l’environnement (FTE), cette fumée que les non-fumeurs respirent bien malgré eux au travail, dans les lieux publics, et même à la maison? Si ce n’était qu’un irritant mineur, peut-être faudrait-il tout simplement apprendre à vivre avec, puisque les fumeurs, eux, sont peut-être bien plus incommodés par les symptômes de sevrage lorsqu’ils ne peuvent fumer.

Si, par contre, la FTE est une menace importante au bien-être des non-fumeurs, il devient aussi justifié de légiférer contre la FTE dans les lieux publics et les milieux de travail que contre l’alcool au volant.

Éviter la confusion

Dans un contexte où les organismes de santé font ce qu’ils peuvent pour décourager le tabagisme, on peut pardonner à certains fumeurs de voir dans toute cette question de la FTE un prétexte pour leur rendre plus difficile l’accès à leurs doses régulières de nicotine.

Car c’est souvent les mêmes organismes qui font la promotion de la cessation auprès des fumeurs et qui prônent des mesures de protection de non-fumeurs. Existerait-il une tentation inavouée d’exagérer les effets de la FTE pour justifier la généralisation des interdictions de fumer et ainsi tenter de protéger les fumeurs contre eux-mêmes?

Pour répondre à cette interrogation, il faut examiner les connaissances scientifiques sur la question. (Voir « La FTE : un cocktail fort peu recommendable ».) En résumé, on peut dire que les méfaits de la FTE sont loin d’être une fabulation des promoteurs de la cessation.

Par ailleurs, comme nous l’avons noté dans notre dernier numéro, la Commission québécoise des droits de la personne souligne l’importance de bien distinguer la protection des non-fumeurs de la promotion de la cessation auprès des fumeurs. L’employeur est pleinement autorisé à restreindre ou interdire l’usage du tabac sur les lieux du travail, dans la mesure où ces restrictions visent la protection de la santé et la sécurité des non-fumeurs.

Une interdiction de fumer qui aurait comme but de réduire la prévalence du tabagisme – c’est-à-dire de protéger les travailleurs fumeurs contre eux-mêmes – serait illégitime et discriminatoire, de l’avis de la Commission.

La Commission des droits de la personne a bien saisi l’essentiel; la Commission de la santé et la sécurité du travail (CSST), pour sa part, a encore bien du chemin à faire face à la question de la FTE. (Voir « Il serait temps que la CSST reconnaisse le problème ».)

Au cours des prochaines années, une des priorités des organismes de santé devra être de convaincre l’opinion publique que les mesures visant à limiter la FTE ont pour but de réduire la pollution intérieure et les problèmes de santé qui y sont reliés.

Il n’est pas question d’imposer une morale aux fumeurs. Et surtout pas un débat sur la nécessaire « tolérance » entre fumeurs et non-fumeurs, comme l’industrie essaye toujours de présenter la situation.

Francis Thompson