Une denrée rare au Québec : les restaurants sans fumée

Plusieurs données devraient favoriser l’instauration des restaurants sans fumée au Québec. En voici quelques-unes :
  • Apprécier un bon repas requiert un usage maximal de l’odorat et du goûter, deux sens altérés par le tabagisme.
  • L’usage du tabac diminue l’appétit.
  • La fumée de tabac est nocive pour le personnel et la clientèle des restaurants.
  • Les restaurateurs ne retirent aucun revenu du tabagisme de leurs clients.
  • Les deux tiers des Québécois sont non-fumeurs et ils ont, en moyenne, un revenu supérieur aux fumeurs.
  • Plus de la moitié des fumeurs désirent cesser de fumer.
  • L’usage du tabac tue environ 12 000 Québécois par année (des clients perdus!).

Normalement, tout cela devrait porter l’industrie de la restauration au premier rang de la lutte antitabac. Pourtant, au Québec en 1999, il est toujours aussi difficile de dénicher un restaurant qui interdit à ses clients de répandre de la fumée nocive et déplaisante autour d’eux. Pour sa part, l’Association des restaurateurs du Québec demande des assouplissements à la Loi sur le tabac, la jugeant trop sévère.

Il y a quelques mois, à deux reprises, Info-tabac a demandé à ses lecteurs s’ils connaissaient des restaurants sans fumée au Québec. La récolte de renseignements fut très modeste. Avec l’aide de nos quelque 2000 lecteurs intéressés à la réduction du tabagisme, nous n’avons compté que huit restaurants sans fumée, avec service aux tables.

Le Parlementaire donne l’exemple

Le Parlementaire, à Québec, serait le plus important restaurant sans fumée de la province. Exploité par l’Assemblée nationale elle-même, et non par un franchisé, Le Parlementaire a interdit l’usage du tabac il y a deux ans, précise le maître d’hôtel Pierre Faures.

Au début, l’initiative parlementaire a entraîné une perte d’environ 20 % de la clientèle, due essentiellement à la désertion de certains députés « grands fumeurs », se rappelle M. Faures. Aujourd’hui, les non-fumeurs se disent enchantés de l’ambiance saine qui règne et l’achalandage a repris son volume antérieur, souligne-t-il.

Gîtes et restaurants sans fumée

Dans le quartier Les Saules, également à Québec, Gilbert Chevalier, Lise Gill et leurs cinq enfants tiennent une auberge et un restaurant sans fumée jumelés à leur maison.

Établissement fondé en 1996 et reconnu pour ses moules et ses bières importées, Douceurs Belges a déjà reçu le ministre Jean Rochon, père de la Loi sur le tabac, et sa collègue péquiste Diane Barbeau, députée du coin.

Entre autres, Douceurs Belges est fréquenté par des touristes américains qui avouent leur dédain pour les restaurants québécois enfumés. Malheureusement, très nombreux sont les restaurants de la vieille capitale, et parmi les plus chics, à n’avoir même pas de section non-fumeur.

Pour sa part, Andrée Dompierre fait figure de pionnière. Elle est propriétaire d’un restaurant de 31 places et gîte non-fumeur, La Crémaillère, situé à Messines en Outaouais, près de Maniwaki. Depuis sept ans, elle n’a noté que deux annulations de réservation à cause de sa politique sans fumée.

Deux perles rares à Montréal

Sur l’Île de Montréal, nous n’avons trouvé que deux restaurants sans fumée avec service aux tables. La Colombe, au 554 Duluth Est, qui n »a que 35 places, a choisi cette voie originale.

L’autre perle rare n’est cependant ouverte que de juin à septembre, et ce pour le dîner seulement (de 11h à 14h). Il s’agit de La Mousson, opéré par Sodexho Marriott au Biodôme du parc Olympique.

« Nous n’avons pas de difficultés à faire respecter l’interdiction de fumer, puisque nous sommes situés dans un environnement qui respecte la nature et les animaux », signale Benoit Bussières, directeur du service alimentaire.

Tennis sans fumée

Les amateurs de tennis sont parmi les premiers Québécois à goûter à la restauration sans fumée. Au moins deux clubs intérieurs interdisent l’usage du tabac dans leurs lieux, sans exclure le bar et la salle à manger. Il s’agit de la Sporthèque de Hull, depuis septembre 1997, et du Multisport Carrefour à Laval, depuis septembre 1998.

Un café à Sherbrooke

Après avoir travaillé 15 ans dans des bars enfumés, Jacques Lemieux a lancé à Sherbrooke, en novembre 1998, un sympathique établissement sans fumée offrant des déjeuners-santé et un menu du jour équilibré. Le Café du Globe, ouvert de 8h à 23h, sept jours par semaine, est situé au 2230 rue Galt Ouest, près de la Cité universitaire.

M. Lemieux rapporte n’avoir vu, depuis un an, que deux ou trois clients vraiment fâchés de ne pouvoir fumer dans son café. Contrairement à ce que plusieurs personnes de son entourage avaient craint, l’interdiction de fumer est bonne pour les affaires, estime-t-il. « Souvent, mon restaurant est plein, alors que le Subway, juste à côté, qui permet de fumer, est à peu près vide », dit-il, fier de son audace.

McDonald’s depuis mars 1994

Même si notre recherche était limitée aux restaurants offrant le service aux tables, nous devons signaler certains autres endroits offrant des repas sans fumée, la principale étant la chaîne McDonald’s. Depuis le 7 mars 1994, il y a plus de cinq ans, une soixantaine de restaurants McDonald’s du Québec interdisent l’usage du tabac dans leurs lieux, en respect d’une politique interne nord-américaine.

Presque toutes les succursales qui appartiennent à la chaîne sont sans fumée (31 sur 34). Toutefois, la grande majorité des 194 établissements franchisés du Québec ont préféré maintenir une section fumeur.

Aires de restauration

Dans la région de Montréal, plusieurs aires de restauration au sein d’édifices à bureaux et de centres commerciaux osent également interdire la cigarette.

Le premier fut la Place Ville-Marie en juin 1994, suivi du Complexe Desjardins en janvier 1996. Cinq centres de Cadillac Fairview ont ensuite donné un grand coup en mars 1998 (Galeries d’Anjou, Carrefour Laval, Promenades Saint-Bruno, Fairview Pointe-Claire et Centre Eaton). Les principaux autres braves sont Les Promenades de la Cathédrale en juin 1998, le Mail Cavendish en mai 1999 (par règlement municipal) et le Centre de commerce mondial en septembre 1999.

Le Québec compte sans doute plusieurs épiceries, pâtisseries ou boulangeries sans fumée qui disposent de quelques tables de restauration. Même si elles offrent le service aux tables, nous ne les avons pas considérées comme des restaurants, leurs menus étant très limités. Elles se spécialisent davantage dans les aliments pour emporter.

Nous n’avons pas cherché les cafétérias de maisons d’enseignement, de compagnies, d’hôpitaux ou autres qui ont réussi à faire disparaître leurs cendriers. Le Québec étant en retard sur ses voisins anglophones en ce qui concerne l’appui aux mesures antitabac, les gestionnaires de cafétérias ont encore certains problèmes à bannir la cigarette, et ce même dans les hôpitaux.

Un autre monde aux États-Unis

Aux États-Unis, de nombreuses villes et cinq États interdisent l’usage du tabac dans les restaurants, sans que cela ne leur ait causé d’ennuis financiers. C’est le cas de l’Utah, de la Californie, du Maryland, du Vermont (depuis juillet 1995) et du Maine (depuis le 19 septembre dernier).

Les villes de New York et de Boston ont aussi franchi cette étape. Au Canada, la Colombie-Britannique est à l’avant-garde : le tabac sera proscrit dans les restaurants et dans les bars à compter du 1er janvier 2000.

La région d’Ottawa fait aussi belle figure dans le domaine. Selon le site Internet du service de santé régional, on aurait dénombré par moins de 236 restaurants sans fumée, dont 44 avec service aux tables. Les Québécois désirant prendre un repas sans fumée ont donc un bon choix de menus… à Ottawa, dans le Vermont et dans le Maine!

Études concluantes pour l’interdiction

En juin dernier, l’Alberta Tobacco Control Centre a recensé les principaux articles spécialisés et les recherches les plus poussées traitant de l’impact économique des restaurants sans fumée en Amérique du Nord. Le volumineux document du centre albertain se résume en peu de mots : l’interdiction de fumer dans les restaurants entraîne généralement une légère hausse de la clientèle.

Ces expériences réussies de législation antitabac pour les restaurants ont lieu chez nos voisins anglophones. Qu’arriverait-il au Québec si le gouvernement avait raccourci le délai à quatre ans au lieu de dix, par exemple, pour l’érection des cloisons, ou si d’autres chaînes abolissaient la fumée?

Sondage encourageant

Réalisé au printemps 1997 par Léger & Léger auprès de 2305 répondants québécois, un sondage arrive à des conclusions encourageantes. Au sujet des restaurants à service rapide, 76 % des Québécois estiment qu’ils les fréquenteraient aussi souvent si le tabac y était interdit, 11 % plus souvent et 12 % moins souvent. Leurs réponses étaient presque identiques pour la fréquentation des centres commerciaux.

Si les premiers centres commerciaux québécois sans fumée font de très bonnes affaires, pourquoi n’en serait-il pas de même pour des restaurants à service rapide, alors que les opinions des consommateurs sont similaires? Pour les restaurants avec service aux tables, les intentions de fréquentation sont de 14 % plus souvent, 67 % aussi souvent et 18 % moins souvent. Cela offre tout de même un formidable marché, pas encore exploité, pour la restauration de qualité dans un environnement sans fumée.

Avec l’entrée en vigueur de la Loi sur le tabac, qui impliquera l’implantation d’une multitude de lieux sans fumée, les Québécois, fumeurs comme non-fumeurs, bénéficieront d’un air plus sain et plus agréable. Il est fort possible que cette évolution ouvre le chemin à la restauration québécoise sans fumée bien avant 2009.

Denis Côté