Un enjeu complexe : des logements sociaux sans fumée au Québec

logement fumée secondaire

Face à la prévalence du tabagisme dans les logements sociaux, le Québec doit jongler avec trois grands facteurs : la santé publique, l’équité sociale et le respect des droits des résident·es. Cette situation complexe interpelle divers acteurs, appelés à élaborer des stratégies intégrées pour améliorer la qualité de vie des occupant·es et réduire leur exposition à la fumée secondaire.

logement sociaux sans fumée

Le Québec est aujourd’hui confronté à une problématique de santé publique qui s’inscrit au croisement de plusieurs enjeux sociaux, environnementaux et économiques : la prévalence du tabagisme dans les logements sociaux. Ce phénomène, longtemps considéré comme relevant uniquement de la sphère privée, est désormais analysé sous l’angle des inégalités de santé et de la qualité de vie.

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La situation actuelle dans les logements sociaux au Québec

Actuellement, la Loi concernant la lutte contre le tabagisme au Québec interdit à toute personne de fumer ou de vapoter dans les espaces communs des bâtiments résidentiels comprenant deux logements ou davantage.

Les logements sociaux au Québec connaissent souvent une forte présence de tabagisme, et les personnes qui y vivent sont exposées de façon quasi quotidienne à la fumée secondaire. Cette réalité met en évidence le double fardeau des locataires : d’une part, ils vivent l’inconfort lié à la présence constante de l’infiltration de la fumée de leurs voisins, et d’autre part, ils en subissent les répercussions sur leur santé, notamment en matière de maladies respiratoires, cardiovasculaires et d’affections chroniques. Dans un sondage réalisé par Ipsos en 2022, 35 % des locataires ont signalé être exposés au moins une fois par mois à des infiltrations de fumées, et près de 20 % les subissent tous les jours.

La situation est d’autant plus préoccupante que, pour une grande partie des locataires, les logements sociaux constituent souvent la seule option d’hébergement, les rendant ainsi vulnérables aux risques liés à l’exposition continue à un environnement enfumé. En fait, le taux de tabagisme est plus élevé chez les clientèles défavorisées qui, elles aussi, comptent sur le logement social comme lieu où vivre. L’instauration de logements sans fumée soulève donc des défis, mais offre également une belle occasion aux autorités, au milieu communautaire et aux intervenants de santé de faire converger les politiques publiques et les leviers économiques liés aux habitations afin de réduire simultanément les inégalités sociales de santé et les impacts environnementaux attribuables à la fumée.

Mais en revanche, il faut empêcher que la mise en œuvre de politiques sans fumée ait pour effet de compromettre l’accès à l’hébergement de clientèles déjà vulnérables. Car la crainte d’une réduction des offres de logements et la stigmatisation accrue des locataires qui fument demeurent des arguments prévalents dans le débat public.

Une stratégie intégrée pour un Québec sans tabac dans les logements sociaux

La stratégie pour un Québec sans tabac 2020-2025  dans les logements sociaux repose sur une double approche. D’une part, il importe d’instaurer des mesures optimales pour réduire l’exposition à la fumée secondaire dans les environnements résidentiels. D’autre part, il est avantageux d’accompagner les personnes qui fument vers une réduction tabagique progressive, si ce n’est, idéalement, un arrêt complet de leur consommation. Cette approche intégrée permet de concilier les impératifs de santé publique et le respect des réalités sociales, souvent difficiles, que vivent les populations concernées.

La stratégie vise à assortir les politiques sans fumée dans les logements à une offre de services d’arrêt tabagique sachant s’adapter aux besoins des différentes clientèles et aux lieux qu’elles fréquentent.

incendie logement fumée

La stigmatisation des personnes qui fument et les enjeux jurisprudentiels

L’un des aspects particulièrement sensibles de ce débat est la stigmatisation des personnes qui fument dans les logements sociaux. En effet, la présence de fumée dans les espaces communs conduit souvent à la marginalisation des locataires qui fument, perçus comme responsables d’un environnement nuisible à l’ensemble des occupants. Cette stigmatisation est d’autant plus problématique que la jurisprudence récente n’a pas toujours été favorable aux victimes de la fumée secondaire. Le manque de recours juridiques clairs complique la situation, ce qui crée un terrain propice aux conflits entre les résidents et les gestionnaires d’habitations.

Pour les professionnel·les de la santé, il est donc impératif de promouvoir une approche qui, tout en reconnaissant les dangers de la fumée secondaire, évite d’accentuer la marginalisation des personnes qui fument et les préjugés à leur endroit. La lutte contre le tabagisme doit s’accompagner d’un travail de sensibilisation afin d’inciter des comportements sains, sans tomber dans l’exclusion ni la moralisation, puisque, rappelons-le, la nicotine est avant tout une dépendance.

tabac et santé mentale

Enjeux de sécurité dans les logements sociaux

Au-delà des risques sanitaires qu’occasionne la fumée secondaire dans les logements sociaux, elle soulève des enjeux de sécurité notables. La présence de cigarettes et d’articles de tabagisme (qui figurent au deuxième rang des causes d’incendies) ainsi que la fumée présente dans les couloirs et dans certaines aires communes augmentent les risques d’incendie, notamment dans des immeubles où cohabitent des personnes âgées et celles dont la mobilité est réduite. Ces risques, souvent exacerbés par l’utilisation inappropriée des fumoirs, justifient l’urgence d’instaurer des mesures de prévention robustes visant à protéger l’ensemble des occupants.

Bien qu’ils fassent souvent l’objet d’enquêtes et demeurent peu médiatisés, des incidents tragiques ont néanmoins été signalés, tels des décès survenus dans des fumoirs ou dans des zones de consommation non surveillées. Ces événements illustrent concrètement les dangers du tabagisme dans des environnements confinés. Dans un tel contexte, les recommandations du Bureau du coroner revêtent une importance capitale : elles peuvent servir de levier pour renforcer les politiques de logement sans fumée et aiguillonner des réformes réglementaires plus strictes.

Les professionnel·les de la santé, en collaboration avec les autorités judiciaires et les gestionnaires de logements sociaux, doivent veiller à ce que ces recommandations soient mises en place de manière proactive. La prise en charge des incidents liés au tabac et l’instauration de mesures correctives rapides peuvent non seulement sauver des vies, mais également servir d’exemple pour l’ensemble des logements.

Programmes systématiques d’aide au sevrage

Bon nombre d’hôpitaux et d’organismes communautaires ont déjà adopté des programmes systématiques visant à aider les personnes qui fument à abandonner le tabagisme. Ces initiatives combinent des conseils médicaux, un suivi psychologique et l’accès à des aides pharmacologiques (thérapies de remplacements de la nicotine ou médication). L’efficacité de ces programmes démontre qu’un accompagnement structuré favorise la cessation tabagique et, par conséquent, améliore la qualité de vie des résident·es des logements sociaux. Étendre ces programmes à l’ensemble du Québec pourrait représenter une avancée significative de la lutte contre le tabagisme.

sphère de l'arrêt tabagique

Vers des politiques de logements sociaux sans fumée?

Le projet Habitations sans fumée du Québec vise justement à présenter de l’information pour mieux accompagner et favoriser l’implantation de politiques sans fumée dans les immeubles à habitations multiples. Un examen des précédents législatifs et juridiques est en cours afin de déterminer les divers leviers et les différentes stratégies qui ont été employés ailleurs pour contrer l’exposition involontaire à la fumée dans les logements sociaux. Il faut retenir que l’enjeu du tabagisme dans ces milieux de vie au Québec traduit une complexité qui dépasse le cadre de la consommation individuelle et doit tenir compte des réalités quotidiennes des résidents. Un tel enjeu s’inscrit dans une dynamique plus vaste d’inégalités sociales de santé, de sécurité environnementale et de pressions économiques. Les multiples facettes de cette problématique, qu’il s’agisse de l’exposition chronique à la fumée secondaire, des risques d’incendie, de la stigmatisation des personnes qui fument ou de l’ingérence de l’industrie, nécessitent une approche intégrée et collaborative adoptée par plusieurs acteurs issus de différents milieux, et non seulement celui de la santé.

Si elle est réalisée avec bienveillance dans une perspective de santé publique, la transformation des logements sociaux en environnements sans fumée pourrait représenter non seulement une avancée en santé publique, mais aussi une occasion de réduire les inégalités sociales. Ce sujet, assurément, est à suivre!

Caroline Normandin, Ph. D.