Sur YouTube, les annonces de cigarettes sont à la vue de tous

Les chefs de file de l’industrie du tabac savent trouver des façons astucieuses de contourner les restrictions juridiques, et une étude récente suggère qu’ils utiliseraient à présent l’Internet pour passer outre l’interdiction de la publicité sur le tabac.

En effet, dans une étude publiée en août 2010 sur le site web de la revue Tobacco Control, Lucy Elkin, George Thomson et Nick Wilson, de l’Université d’Otago, en Nouvelle-Zélande, révèlent que les compagnies de tabac utiliseraient des portails de vidéo en ligne pour cibler les jeunes.

Selon ces chercheurs, l’Internet, qui est utilisé par près d’un quart de la population mondiale, constitue le forum idéal pour la commercialisation du tabac en raison de l’absence de restrictions.

Plusieurs vidéos en ligne sont d’anciennes annonces télévisées de cigarettes, comme celle-ci, datant des années soixante, alors que les dessins animés Flintstones étaient commandités par Winston.

Les auteurs de l’étude ont cherché sur YouTube des vidéos présentant les cinq plus grandes marques de cigarettes au monde, à l’exception des marques chinoises : Marlboro, L&M, Benson & Hedges, Winston et Mild Seven. Ils ont affiné les premiers résultats de la recherche pour les limiter aux  vidéos en langue anglaise les plus regardées. Au total, 163 vidéos figurant dans les 20 premières pages de la recherche ont été analysées et 20 vidéoclips ont été qualifiés par les chercheurs de « réalisations professionnelles ». Toutes les vidéos examinées ont été classées selon le caractère positif, négatif, complexe, incertain ou neutre de leur contenu.

La plupart de ces vidéos mettaient en vedette des personnes fumant des cigarettes, et le nom de la marque figurait même dans le titre de quelques-unes d’entre elles. L’étude a porté sur les vidéos les plus regardées, notamment 40 pour chacune des marques Marlboro, Winston et Benson & Hedges, 24 pour la marque Mild Seven et 19 pour L&M. Sur les 40 vidéos associées à la marque Marlboro, 39 contenaient le nom de la marque dans le titre et 33 présentaient l’image associée à la marque, soit celle d’un homme à cheval. Les vidéos les plus fréquemment visionnées étaient celles qui présentaient la marque Marlboro, soit en moyenne près de 104 000 fois.

YouTube : comment ça marche
Cette annonce télé récente de Marlboro, offerte en haute définition, n’a été téléchargée que 3 300 fois en dix mois. Elle fut placée sur YouTube par un Suédois de 30 ans qui la trouve amusante.

YouTube est un site web d’hébergement de vidéos qui permet aux utilisateurs de télécharger, de partager et de visionner des films vidéo. Trois anciens employés du service de paiement en ligne PayPal ont créé YouTube en février 2005. Située à San Bruno, en Californie, l’entreprise utilise la technologie Adobe Flash pour présenter toutes sortes de vidéos envoyées par les utilisateurs, notamment des films d’amateurs, des extraits d’émissions télévisées, des vidéoclips musicaux, ainsi que le contenu de vidéoblogues et des vidéos inédites. La plupart des images publiées sur YouTube sont téléchargées par les internautes, bien que des chaînes de télévision comme CBS et BBC, entre autres, diffusent certaines de leurs productions sur le site en vertu d’un programme de partenariat offert par YouTube. Les utilisateurs non inscrits peuvent visionner les vidéos, alors que les utilisateurs inscrits ont le droit de télécharger un nombre illimité de vidéos vers le site. Les vidéos dont le contenu peut être offensant ne sont accessibles qu’aux utilisateurs inscrits qui ont 18 ans ou plus.

Elkin, Thomson et Wilson signalent une présence importante de vidéos pro-tabac sur YouTube. L’étude fait état d’une vidéo musicale pro-tabac visionnée plus de deux millions de fois, et mentionne que le nom de la marque de cigarettes était en évidence dans plus de 70 % de toutes les vidéos analysées. Seulement 4 % des vidéos examinées ont été classées « antitabac ».

Dénégations et précaution

Les compagnies de tabac nient l’utilisation d’Internet à des fins publicitaires. Catherine Armstrong, une porte-parole de British American Tobacco, qui est le fabricant de l’une des marques de cigarettes en vedette, Benson & Hedges, a affirmé à la BBC que « ce n’est pas notre politique d’utiliser les sites de réseautage social comme Facebook ou YouTube pour promouvoir nos marques de cigarettes », ajoutant que « même les auteurs du rapport ne prétendent pas que nous le faisons. L’utilisation de médias sociaux pourrait enfreindre les lois locales régissant la publicité ainsi que nos normes de commercialisation internationales auxquelles sont soumises nos compagnies partout dans le monde. Nos employés, nos agences et nos fournisseurs ne devraient jamais utiliser les médias sociaux pour promouvoir nos marques de cigarettes ».

YouTube a fait écho au rapport en affirmant qu’aucune publicité payée par les compagnies de tabac n’est acceptée dans aucun pays au monde.

Bien que les chercheurs ne prétendent pas posséder de preuves irréfutables de la participation de l’industrie du tabac, le rapport souligne que « le contenu de nombreuses vidéos fréquemment visionnées et susceptibles de plaire aux jeunes met en évidence des marques de cigarettes » et que « les compagnies de tabac ont beaucoup à gagner du potentiel de commercialisation du web 2.0 [ pages de réseautage et portails vidéo ] sans vraiment risquer de contrevenir à une loi ou au code de la publicité ». En conséquence, les chercheurs concluent que les restrictions actuelles imposées à la promotion du tabac devraient également s’appliquer au web2.0.

Coup d’oeil sur d’autres médias en ligne

Le quotidien britannique The Guardian a rapporté que des employés de la multinationale British American Tobacco (BAT) avaient créé des sites d’adeptes sur Facebook pour deux marques de la compagnie, Lucky Strike et Dunhill, à l’insu de la direction selon celle-ci. L’étude a révélé la présence de plus de 500 réseaux reliés à des employés de BAT tout en précisant qu’il n’y avait aucun moyen de vérifier s’il s’agissait d’une forme de promotion.

Toujours selon l’étude, le groupe de lutte contre le tabagisme Action on Smoking and Health a établi que BAT a engagé une firme de commercialisation en ligne, iKineo, pour faire la promotion de Lucky Strike en Afrique. La firme se vante sur son site web d’avoir « élargi la campagne publicitaire de Lucky Strike à l’espace numérique qu’elle utilise pour mobiliser un mouvement important de soutien en faveur de la marque.»

Joey Strizzi