Oui aux cigares, non aux Mohawks, disent les dépanneurs
Juillet 2006 - No 64
L’entrée en vigueur du renforcement de la Loi sur le tabac, le 31 mai, n’a guère changé la vie des quelque 8 200 dépanneurs du Québec. D’une part, l’élimination de milliers de points de vente, surtout dans les restaurants et dans les bars, augmentera un peu leurs chiffres d’affaires. Par contre, les ventes aux mineurs seront davantage réprimées par Québec.
Ce n’est qu’en mai 2008 que les commerçants seront réellement touchés par le changement législatif, alors que l’étalage des produits du tabac sera défendu. Cette mesure va modifier l’apparence de ces petits magasins du coin qui devront cacher les cigarettes (avec notamment des rideaux ou des armoires).
Pour observer les tendances de cette industrie, Info-tabac a visité le 1er salon Votre dépanneur, qui se tenait en avril à Laval. Deux faits sont à signaler : la progression importante du marché des cigares, de même que l’exaspération des détaillants devant l’alimentation de la contrebande de tabac par les Mohawks.
Atelier sur la contrebande
Lors d’un atelier destiné aux représentants des chaînes de dépanneurs, des fonctionnaires des ministères du revenu (fédéral et provincial) ont expliqué ce qu’ils font pour prévenir et pénaliser la contrebande du tabac. Toutefois, malgré leurs efforts d’identification des produits illicites et leurs perquisitions chez les contrebandiers « Blancs », ils demeurent impuissants devant l’origine autochtone de la majorité du marché noir.
À cause de « contraintes politiques », les corps policiers ne peuvent pas intervenir dans les réserves Mohawks, ni même autour de celles-ci. « Cela serait contre les droits civiques des Amérindiens et même des Canadiens ordinaires d’arrêter systématiquement toutes les voitures qui sortent de Kanesatake. Nos patrons nous l’interdisent », a révélé Michel Laflèche de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).
Les représentants des dépanneurs sont sceptiques au sujet des efforts gouvernementaux et policiers. Ils estiment la part du marché clandestin entre 20 et 30 %. Contrairement à ce qui prévalait durant les années 1990, les commerçants ne blâment pas tant les gouvernements pour les taxes sur le tabac, mais surtout pour son impuissance devant l’alimentation autochtone du marché noir.
Quant aux porte-parole étatiques, ils ont aussi rapporté une émergence des produits de contrefaçon; de fausses du Maurier et Player’s (les deux principales marques canadiennes), originaires de Chine, traversent maintenant le pays. Auparavant, ces imitations étaient surtout écoulées en Colombie-Britannique. Ces contrefaçons s’ajoutent aux emballages de type Ziploc (sans paquets) et aux marques autochtones non taxées.
Relance du cigare
En parcourant les dernières éditions de la revue Votre dépanneur, de même qu’en visitant le salon éponyme, une conclusion saute aux yeux : on assiste à une relance majeure du commerce du cigare. Le tiers de la publicité (et donc des revenus) de la revue est composé d’annonces de cigares, en particulier de cigarillos. Une demi-douzaine de kiosques du salon étaient consacrés aux cigares. « Nos affaires sont très bonnes, nous atteignons nos objectifs mensuels de vente vers le 15 ou le 20 du mois », se réjouissait un représentant. La principale activité sociale du salon, un casino avec argent fictif, était d’ailleurs commanditée par Casa Cubana, un importateur de cigares.
Conseils d’un transfuge
Luc Martial signe la chronique « tabac » de la revue Votre dépanneur. Auparavant de l’Association pour les droits des non-fumeurs, du Conseil canadien pour le contrôle du tabac et même de Santé Canada, M. Martial a changé de camp en 2001 et gravite depuis dans le commerce du tabac. Voici quelques extraits de la chronique du transfuge, rédigée à l’intention des détaillants de tabac.
« Pourquoi ont-ils [les « groupes d’extrémistes antitabac »] tant de succès? C’est simple : ils continuent à faire pression à tous les niveaux du gouvernement, de l’intérieur et de l’extérieur, 24 heures par jour, sept jours par semaine, sous l’égide d’organismes de santé de bonne réputation, en s’affichant comme des experts sur la santé et l’industrie, et tout cela avec votre argent (vos taxes). »
Votre dépanneur, hiver 2005
« Après des années d’attaques constantes et victorieuses contre l’industrie de la cigarette, le gouvernement fédéral et les groupes lobbyistes antitabac se préparent maintenant pour leur prochaine bataille : le cigare. […] La crédibilité et la légitimité des groupes antitabac, payés avec des fonds publics, font d’eux de solides et intrépides adversaires des dépanneurs. »
Votre dépanneur, automne 2005
« Même si vos inquiétudes économiques légitimes peuvent être des plus pertinentes et précises, elles ne font pas le poids face à la question « santé ». Changez d’approche. »
Votre dépanneur, février 2006
M. Martial se souvient ici d’une rencontre entre l’industrie du tabac et le gouvernement du Québec… « On m’a rapidement répondu que les nouvelles taxes généreraient 300 millions $, tout en satisfaisant les groupes de pression antitabac et le gouvernement de l’Ontario qui poussent sans relâche le gouvernement du Québec à hausser les taxes. Ils ont ajouté que l’industrie du tabac ne jouait tout simplement pas un rôle de contrepoids, ce qui aurait pu aider le Québec à résister à ces pressions. »
Votre dépanneur, avril 2006
- D’après le président d’Imperial Tobacco Canada, Benjamin Kemball, la contrebande occupe entre 15 et 20 % du marché québécois des cigarettes.
- En comptant les cigarettes, l’argent et les véhicules, la valeur des saisies liées au marché noir dépasse déjà 6 millions $ pour l’année fiscale en cours.
- Environ 67 % des cartouches de cigarettes saisies l’ont été dans la région de Vaudreuil (près d’Akwesasne), à l’Ouest de Montréal.
Denis Côté