La Loi sur le tabac n’est pas toujours appliquée

Le mouvement antitabac a l’habitude de consacrer ses énergies à l’adoption de nouvelles lois pour protéger les non-fumeurs, éliminer la publicité de tabac et limiter l’accès des mineurs aux cigarettes. On oublie parfois que les lois restent lettre morte à moins de veiller à leur application.

Dans le cas de la Loi sur le tabac, adoptée en avril après des débats mouvementés, on attend toujours le dépôt de la réglementation qui donnera vie à l’ensemble des nouvelles dispositions, et le ministre Allan Rock affirme vouloir présenter des amendements à la loi elle-même avant le congé des Fêtes.

Mais qu’en est-il de la mise en oeuvre des dispositions qui sont, du moins en principe, déjà en vigueur? Dans le dernier numéro de son bulletin semestriel, l’organisme canadien anglais Médecins pour un Canada sans fumée donne un aperçu des premiers mois d’application de la loi C-71. Nous reprenons ici, en traduction libre, les éléments essentiels de son enquête.

Les cigarettes Dunhill sont encore en vente

La Loi sur le tabac est censée mettre fin à la vente de marques de cigarettes dont on fait la publicité sur des vêtements ou sur d’autres produits de consommation. La marque de commerce Dunhill se retrouve tant sur des cigarettes que sur des produits de luxe. Dans une lettre en date du 17 avril 1997, Santé Canada a écrit aux fabricants de cigarettes pour les informer de leur obligation de retirer les cigarettes Dunhill du commerce de détail. Six mois plus tard, les cigarettes Dunhill n’ont pas été retirées du marché, et le gouvernement n’a pas agi pour corriger la situation.

On ne sévit pas contre la promotion par les personnalités connus

L’article 21 de la Loi sur le tabac interdit « de faire la promotion d’un produit du tabac… au moyen d’attestations ou de témoignages, quelle que soit la façon dont ils sont exposés ou communiqués ». À la lecture du texte anglais de la loi, on comprend qu’il s’agit d’interdire les campagnes publicitaires et promotionnelles qui se servent de la popularité d’une vedette pour mettre en valeur un produit.

Les pilotes de course automobile (dont Jacques Villeneuve et Greg Moore) continuent néanmoins de prêter leur nom et leur image et même d’exprimer activement leur appui aux produits de leurs commanditaires. En plus de porter les couleurs de leurs commanditaires lors de leurs sorties publiques, ils en parlent dans leurs interviews médiatiques. Lorsque Greg Moore a dit au public de l’émission Canada AM que « la vie est très, très belle, vous savez, et c’est bien grâce à Player’s », le gouvernement n’a même pas voulu lui envoyer un avertissement écrit.

Publicité trompeuse

L’article 20 de la Loi sur le tabac interdit de faire la promotion de cigarettes « d’une manière fausse ou trompeuse ou susceptible de créer une fausse impression sur les caractéristiques, les effets sur la santé ou les dangers pour celle-ci du produit ou de ses émissions ». On peut difficilement nier que le fait d’associer une marque de cigarettes à des activités de plein air comme le vélo de montagne, le kayak et le ski est susceptible de créer une fausse impression chez les jeunes canadiens au sujet des effets de la cigarette sur la santé. Le gouvernement refuse pourtant de sévir contre les annonces de Export ‘A’ qui utilisent cette tactique.

Contourner la loi

À quoi sert une interdiction de la publicité de tabac si celle-ci est tout simplement remplacée par de la promotion de commandite qui joue exactement le même rôle? Cette lacune dans la législation fédérale actuelle nuit gravement à l’efficacité des mesures adoptées au printemps.

Il faut aussi s’inquiéter des conséquences juridiques de l’incohérence de la Loi sur le tabac à cet égard. La Charte canadienne des droits et libertés permet au gouvernement de limiter certaines libertés fondamentales, dont la liberté d’expression, dans des circonstances particulières. Dans le cas du tabac, la Cour suprême a statué que l’objectif de réduction du tabagisme pouvait justifier de telles restrictions, dans la mesure où il existerait un « lien rationnel » entre les objectifs de la loi et les moyens adoptés pour y parvenir. Il y a clairement un lien rationnel entre la volonté de protéger les jeunes du tabagisme et le fait d’interdire la publicité style de vie.

Mais ce lien est rompu si on permet le remplacement de la publicité directe par la promotion de la commandite. (C’est un point que les avocats de l’industrie ont déjà fait valoir en Cour supérieure du Québec, où ils tentent de faire invalider la loi.) Le fait de permettre cette promotion compliquera la tâche au Procureur général lorsqu’il aura à défendre la constitutionnalité de la loi C-71 devant la Cour suprême.

On continue de vendre des vêtements aux allures de paquets de cigarettes

L’article 27 de la Loi sur le tabac interdit la commercialisation d’une marque de cigarettes dont le nom figure sur des articles autres que des produits du tabac, tels les casquettes et les T-shirts. Comme le disait l’ancien ministre de la Santé, « les jeunes ne devraient plus servir de pancartes ambulantes annonçant les produits du tabac en portant des casquettes ou des sacs à dos sur lesquels figurent des noms ou des logos de marques de cigarettes ».

Pourtant, Santé Canada n’a rien fait pour empêcher la vente de T-shirts et de casquettes Player’s ou Rothmans lors de courses automobiles.

Cynthia Callard, engagée dans le dossier du tabac depuis bien des années et actuellement directrice générale de Médecins pour un Canada sans fumée.