Imperial Tobacco n’a plus de comptes à rendre aux Canadiens

Après avoir annoncé la fermeture de ses usines canadiennes et le déménagement de sa production de cigarettes vers le Mexique en octobre dernier, Imperial Tobacco Canada (ITC) vient d’être déchargée, par l’Autorité des marchés financiers, de son obligation de diffuser ses bilans économiques. La compagnie, qui est entièrement détenue par British American Tobacco, en avait fait la demande le 16 décembre car elle n’a presque plus d’actionnaires au pays.

Pour les groupes antitabac, les documents financiers des cigarettiers constituent une mine d’informations, dans la mesure où ils permettent de suivre l’évolution de l’industrie. On y retrouve entre autres des renseignements sur leurs profits, leurs ventes ainsi que sur les principaux enjeux économiques et politiques auxquels ils sont confrontés.

Parmi les grandes sociétés de tabac établies au Canada, seule Rothmans Benson & Hedges est encore cotée à la bourse de Toronto et doit émettre des rapports à l’intention des investisseurs canadiens. Quant à JTI-Macdonald, qui appartient à Japan Tobacco, certaines informations la concernant sont diluées dans le volumineux rapport annuel de sa société-mère. Pour ITC, les documents publiés avant le 30 mars 2006 demeurent accessibles sur Internet au www.sedar.com, une base de données destinée aux intervenants du marché financier.

Des profits imposables

Au Canada, les profits des entreprises sont convenablement taxés. De plus, ceux des fabriquants de cigarettes sont l’objet d’une surtaxe. « Est-ce que, pour sauver des impôts, la maison-mère d’ITC, British American Tobacco, pourrait fonder une compagnie de transit dans les Antilles, à qui elle vendrait ses produits mexicains à prix dérisoire, avant de les revendre au Canada à prix élevé? » C’est la question qu’Info-tabac a demandé à la fiscaliste et auteure du livre Ces riches qui ne paient pas d’impôts, Brigitte Alepin.

« Presque toutes les grandes sociétés canadiennes emploient des stratégies similaires, a indiqué Mme Alepin. Pas besoin de déménager sa production dans un autre pays ou de ne plus émettre de rapports pour cela. C’est une pratique fiscale populaire que nos gouvernements sanctionnent et que nos lois actuelles permettent. »

En 2004, Imperial Tobacco a réalisé un bénéfice net de 424 millions $, après avoir payé 251 millions $ d’impôts. Surtout grâce à ses marques du Maurier et Player’s, elle détenait 55 % du marché canadien des cigarettes usinées. À compter de 2006, seuls quelques fonctionnaires des ministères du revenu sauront ce qu’il advient des ventes, des impôts et des profits du fabricant.

Imperial largue les grossistes

À compter de la fin août, les cigarettes vendues par Imperial Tobacco Canada ne seront plus distribuées par les grossistes, comme cela avait toujours été le cas jusqu’à présent. La compagnie qui l’a annoncé le 16 mai, soutient qu’en livrant directement ses cigarettes aux détaillants, elle pourra mieux gérer ses produits et renforcer sa position face à la concurrence.

En théorie, les détaillants pourront continuer à s’approvisionner auprès de leur grossiste mais s’ils choisissent cette avenue, ils paieront leurs cigarettes plus cher. Imperial estime que le changement de son mode de livraison contribuera à créer environ 1 000 nouveaux emplois. L’Association nationale des distributeurs aux petites surfaces alimentaires croit plutôt que cette décision mettra plusieurs PME en péril. « La livraison de produits du tabac représente une part importante du chiffre d’affaires de nos distributeurs, a signalé son président Marc Fortin. Certains d’entre eux auront donc du mal à compenser les pertes provoquées par cette décision. »

Pour le directeur du bureau québécois de l’Association pour les droits des non-fumeurs, François Damphousse, cette décision – possiblement prise pour rationaliser les coûts d’opérations de la compagnie – confirme en quelque sorte le déclin observé au cours des dernières années : « Alors qu’autrefois Imperial Tobacco se servait de ses nombreux partenaires (employés, détaillants, distributeurs, tabaculteurs) pour faire pression sur les gouvernements et neutraliser les mesures législatives, on s’aperçoit qu’elle n’est plus tellement écoutée par les politiciens et qu’elle a recours à d’autres stratégies pour augmenter ou maintenir ses profits. »

Josée Hamelin