Montréal s’attaque au tabac
Avril-Mai 2013 - No 96
L’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal rend public un ambitieux plan de lutte contre le tabagisme. Une première pour un organisme de ce type.
À Montréal, le taux de tabagisme a quasiment diminué de moitié en 25 ans. N’empêche que 22 % des adultes y fument encore, contre environ 15 % à Vancouver et à Los Angeles. Et que, dans les écoles secondaires, plus d’un élève sur cinq consomme la cigarette ou le cigarillo.
Le Plan de lutte contre le tabagisme 2012-2015 de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal (ASSSM) entend lutter contre cet important problème de santé. Paru en février, ce document d’une cinquantaine de pages répond à deux priorités : les maladies chroniques et les inégalités sociales de santé. « Le tabac est un facteur de risque pour les deux, avec la mauvaise alimentation et la sédentarité », explique le Dr Richard Massé, directeur de santé publique de l’ASSSM. Bref, il faut agir : entre 2005 et 2009, presque 75 % des décès des 20 ans et plus de la métropole ont été causés par des maladies chroniques comme le cancer et les maladies respiratoires!
Un plan pour faire le point
Pourtant, il existe déjà des plans de lutte contre le tabagisme, dont le Plan québécois de prévention du tabagisme chez les jeunes 2010–2015. Qu’apporte celui-ci de plus?
« Il fait la lutte contre le tabac afin de revoir nos priorités et de nous assurer des actions plus efficaces et mieux ciblées », répond le Dr Massé. L’ASSSM collabore déjà avec les écoles sur la question du tabac, par exemple. Mais elle pense cibler les écoles professionnelles et techniques puisqu’elles comptent beaucoup plus de fumeurs que les écoles régulières. De même, moins de 2 % des Montréalais ont utilisé en 2011-2012 les services d’aide à la cessation, comme le site Web j’Arrête. Le plan de l’ASSSM prévoit donc les promouvoir davantage. « Pour gagner la lutte contre le tabac, nous devons imiter les cigarettiers en nous renouvelant sans cesse », résume le Dr Massé. Ce plan se base sur une importante consultation des partenaires et une recherche sur les meilleures pratiques à adopter.
Concrètement, l’ASSSM s’est fixé sept grands objectifs : réduire de 22 % à 13 % le nombre de fumeurs adultes, de 22 % à 16 % le nombre de jeunes fumeurs et de 12 % à 7 % le nombre d’enfants exposés à la fumée secondaire au domicile et en voiture; augmenter de 8 % à plus de 10 % le nombre de fumeurs qui essaient d’arrêter au cours d’une année; maintenir à moins de 7 % la proportion de femmes enceintes qui fument et diminuer l’écart tabagique entre milieux favorisés et défavorisés.
L’ASSSM a aussi déterminé 70 cibles d’action. Parmi elles : développer un espace Web où partager des données et des initiatives prometteuses; accompagner les centres jeunesse élaborant une politique sur l’usage du tabac; développer une formation en cessation tabagique destinée aux professionnels de la santé et documenter les caractéristiques tabagiques des écoles, dont le nombre de points de vente de tabac dans leur voisinage.
Pour y arriver, l’organisme compte sur la collaboration d’une cinquantaine de partenaires. Mentionnons le ministère de la Santé et de Services sociaux, les écoles, les organismes communautaires, les ordres professionnels, l’Institut national de santé publique du Québec, les milieux de travail et… Info-tabac!
Un plan ambitieux, mais réaliste
On le voit : le Plan de lutte contre le tabagisme de l’ASSSM est ambitieux. L’est-il trop? « L’important, c’est de se comparer aux meilleurs comme Los Angeles ou Vancouver, c’est-à-dire regarder leurs objectifs et comment ils les ont atteints », répond Richard Massé. Bref, il est convaincu que ses cibles sont réalistes. Mais il reconnaît qu’il faudra peut-être plus que trois ans pour les atteindre. « Le délai va dépendre de l’intensité de nos efforts et de celle de nos partenaires », dit-il. Les quelque 50 partenaires de l’ASSSM sont donc appelés à mettre l’épaule à la roue. Le Dr Massé interpelle notamment le MSSS en appelant de ses voeux une révision de la Loi sur le tabac afin qu’elle interdise l’exposition des enfants à la fumée du tabac dans les voitures et l’usage du tabac sur les terrasses. Un dossier définitivement à suivre.
Un plan inspirant… pour certains
Sylvio Manfredi est critique face au Plan de lutte contre le tabagisme de l’ASSSM. « C’est d’abord une activité de communication dont je ne suis pas certain de l’utilité pour diminuer le tabagisme », dit le coordonnateur par intérim, Promotion et prévention à la Direction de santé publique (DSP) de Laval. Pour lui, le plan n’annonce rien qui ne se fait déjà.
« C’est vrai : toutes les actions prévues dans le Plan sont déjà appliquées », confirme Ann Royer, responsable de l’évaluation à la DSP de la Capitale-Nationale. N’empêche : elle juge celui-ci bien fait et complet. « Il nous donne de nouvelles perspectives de lutte contre le tabagisme en focalisant notre attention sur des questions plus critiques, comme le taux de tabagisme élevé des populations défavorisées. »
M. Manfredi regrette aussi que le Plan mette l’accent uniquement sur le tabac. « À Laval, nous adoptons l’approche ″des habitudes de vie″ qui est plus globale et aborde à la fois le tabagisme, l’alimentation et la sédentarité, dit-il. C’est utile quand nos partenaires souhaitent traiter d’autres problèmes que le tabac : alors qu’on y va officiellement pour leur parler d’alimentation ou d’exercice, on parle aussi de tabagisme. »
« La santé se travaille de manière globale, mais il y a aussi un travail spécifique à faire sur le tabac, nuance Danielle Léveillé, agente de programmation, de planification et de recherche sociosanitaire à la DSP de l’Outaouais. Ce produit entraîne une forte dépendance et tue un utilisateur régulier sur deux! »
Au final, elle juge le plan de Montréal « très cohérent avec ce qui existe déjà » et « très positif ».
Anick Labelle