Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme : manque d’audace canadienne

La Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme 2012-2017 (SFLT) a été rendue publique en janvier dernier. Ses mesures sans envergure, ses budgets à la baisse et ses statistiques optimistes déçoivent à plusieurs niveaux.

La nouvelle SFLT le reconnaît elle-même : dans le dossier du tabac, « le défi persiste » puisque « des millions de Canadiens continuent à fumer ». En parcourant cette stratégie, on a toutefois l’impression que le Canada ne compte pas en faire beaucoup plus pour relever ledit défi. Rendue publique en janvier, la SFLT ne compte que quatre pages. À peine trois paragraphes abordent les nouvelles mesures qui seront mises en place.

Une stratégie sans audace

Pour les groupes qui luttent contre le tabagisme, cela saute aux yeux : la SFLT manque d’audace. « Elle manque de vision, ne donne pas d’objectif précis de réduction du tabagisme et ne propose aucune mesure législative additionnelle, dénonce Flory Doucas, porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT). Alors que d’autres pays vont de l’avant avec l’emballage générique et standardisé et s’engagent à réduire leur taux de tabagisme à 5 % ou moins dans des délais assez courts, le Canada reconduit les mêmes mesures, mise sur la cessation et écarte la prévention. »

La SFLT manquerait aussi de cohérence. Par exemple, Santé Canada veut cibler les jeunes fumeurs, mais elle traîne à interdire les saveurs dans les produits du tabac alors que les jeunes, justement, sont de grands consommateurs de petits cigares aromatisés. L’organisme fédéral applique également très inégalement son règlement sur les cigarettes électroniques, alors que ce produit est très en vogue et soulève certaines inquiétudes, notamment auprès des jeunes.

Un dossier renvoyé aux provinces

En fait, le tabagisme n’est pas une priorité pour Ottawa, reconnaît candidement une évaluation de 2012 sur la mise en oeuvre de la SFLT de 2001 à 2011. Ainsi, le budget annuel de la SFLT ne cesse de décroître. Il bénéficiait de 112 millions de dollars par année pour la période de 2001 à 2006 et de 57 millions de dollars par année de 2007 à 2010. La SFLT ne pourra plus compter que sur 46 millions de dollars par année de 2012 à 2017.

Subventions
Source : Santé Canada et l’Agence de la Santé publique du Canada, Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme 2001-2011 – Évaluation horizontale, 2012.

En somme, Ottawa se désengage du dossier tabac, qu’il renvoie aux provinces. « Les programmes de prévention ou de renoncement sont de plus en plus mis en oeuvre à cette échelle », note le rapport de 2012. Il rappelle que les dépenses provinciales consacrées aux stratégies de lutte contre le tabagisme « ont plus que doublé depuis 2001 ». Mais il ne mentionne pas que, parfois, ces budgets stagnent. Au Québec, par exemple, ils n’ont pas bougé depuis 2002. En somme, lentement mais sûrement, Ottawa se contente du minimum pour réduire l’usage de ce produit meurtrier.

Un portrait tronqué

Concrètement, la SFLT 2012-2017 nous informe d’abord que « les taux de tabagisme au Canada comptent parmi les plus bas au monde ». C’est vrai : selon les différentes enquêtes du gouvernement fédéral, de 16 à 20 % des Canadiens fumaient en 2012. C’est moins que dans presque tous les autres pays développés. Cette statistique réjouissante cache toutefois des zones d’ombre que la SFLT n’éclaire guère. Par exemple, la stratégie ne mentionne pas que le pourcentage de fumeurs canadiens n’a presque pas diminué depuis 2009 selon l’Enquête de surveillance de l’usage du tabac au Canada (ESTUC) et l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC). En clair : pour chaque fumeur qui se libère du tabac ou décède, un jeune commence à fumer.

La SFLT 2012-2017 passe aussi sous silence son objectif (non atteint) de 2007 : arriver à 12 % de fumeurs en 2011. Pareillement, elle ne mentionne pas que 11 % de jeunes entre 15 et 19 ans fument, selon l’ESTUC : elle insiste plutôt sur le fait que 7 % des adolescents entre 15 à 17 le font.

Deux grands dossiers : les Premières nations et les jeunes

Malgré son ton positif, la SFLT reconnaît tout de même quelques problèmes sur le front canadien du tabac. En particulier, que 57 % des adultes vivant sur les réserves autochtones et les communautés nordiques fument. Pour mettre fin à cette tragédie, Santé Canada indique dans un courriel qu’elle financera des projets visant à comprendre comment « les interventions à facettes multiples réduisent les taux de tabagisme au sein de [ces] communautés. » Deux à trois projets seront choisis pour chaque région ou province. Les premiers seront sélectionnés en 2014-2015. Même si elle est intéressante, cette initiative révèle surtout la valse-hésitation du gouvernement fédéral. En effet, Ottawa relance la lutte contre le tabac chez les autochtones alors qu’il avait lancé en 2001 la Stratégie de lutte contre le tabagisme chez les Premières nations et les Inuits avant de lui couper les fonds… en 2006.

Près de 60% des adultes autochtones vivant sur des réserves fument, contre environ 20 % des Canadiens.

Autochtone

L’autre grand problème que reconnaît la SFLT, ce sont les jeunes adultes qui fument. Selon différentes enquêtes, entre 20 et 27 % d’entre eux seraient dépendants du tabac. Pour les inciter à écraser, la SFLT annonce « une campagne de marketing et de sensibilisation en partenariat avec la Société canadienne du cancer. » (voir l’encadré « Je te laisse »).

En dernier lieu, la SFLT s’engage à poursuivre ses programmes actuels et à lutter contre le tabac de contrebande. Elle vise aussi à « prévenir les maladies chroniques causées par des facteurs de risque comme le tabagisme. » Pour y arriver, elle compte notamment étendre l’usage du Modèle d’Ottawa pour l’abandon du tabac (MOAT) à des centres de consultation pour les maladies respiratoires et le diabète au Nouveau-Brunswick, en Ontario et en Colombie-Britannique. Le MOAT aide les professionnels de la santé à soutenir leurs patients qui fument à se libérer du tabac.

Anick Perreault-Labelle

 

Je te laisse
La campagne Je te laisse invite les jeunes à expliquer en une phrase pourquoi ils fument, pourquoi ils veulent arrêter et ce qu’ils feraient avec une vie sans fumée. Les jeunes pouvaient être photographiés avec l’une de leur réponse. L’objectif était de les « engager dans une expérience personnalisée au sujet d’une rupture avec le tabac », explique Santé Canada dans un courriel (notre traduction).

Je te laisse : une campagne nationale limitée aux jeunes

Je te laisse propose aux fumeurs entre 20 et 24 ans de regarder le tabac comme un partenaire amoureux ne correspondant plus à leurs attentes. Entre janvier et mars, une tournée promotionnelle de la campagne a rejoint près de 52 000 jeunes dans une dizaine de villes canadiennes. Je te laisse, c’est un site Web qui propose notamment des renseignements sur la dépendance et les méthodes pour rompre. Les fumeurs y trouvent aussi une application gratuite pour leur téléphone intelligent leur permettant notamment de comptabiliser leur consommation de tabac et d’obtenir de l’aide auprès de leurs proches pendant les moments difficiles.

Par le passé, des campagnes de sensibilisation fédérales sur les dangers du tabagisme étaient plus ambitieuses et visaient un public plus large. Mentionnons, par exemple, les publicités sur les dangers de la fumée secondaire mettant en vedette la regrettée Heather Crowe : une serveuse qui n’avait jamais fumé, mais qui, ayant travaillé pendant des années dans des restaurants et des bars enfumés, avait eu un cancer du poumon.