Les cigarettiers devant la cour

Tribunal

Les recours collectifs se poursuivent devant la Cour supérieure du Québec. Aperçu des moments marquants des derniers mois.

Un important procès oppose depuis 2012 quelque deux millions de fumeurs québécois aux trois grands cigarettiers canadiens : Imperial Tobacco Canada (ITL), JTI-Macdonald (JTIM) et Rothmans, Benson & Hedges. Aperçu des développements au printemps.

Manigances comptables

L’honorable Robert Mongeon, de la Cour supérieure du Québec, a rendu un jugement sur un litige parallèle aux recours. Celui-ci pourrait affecter les indemnités destinées aux plaignants, advenant leur victoire.

Les plaignants voulaient obliger JTIM à conserver ses bénéfices au Canada. En effet, sur papier, cette firme peine à couvrir ses frais alors que, dans les faits, elle est rentable. Cela vient de la structure complexe de l’entreprise créée par la société mère de JTIM, Japan Tobacco International (JTI). Par exemple, JTIM paie à une autre filiale de JTI le droit d’utiliser ses propres marques de commerce. À cause de ce genre de stratagème, la firme canadienne verse presque tous ses bénéfices à sa société mère. Si elle est reconnue coupable, JTIM n’aura donc pas un sou à verser aux plaignants.

Une demande refusée

Le juge Mongeon a toutefois refusé d’obliger JTIM à conserver ses profits au Canada. Même s’il l’ordonnait, écrit-il, l’argent « restera assujetti à toutes les obligations contractuelles de JTIM [envers les autres filiales de JTI], à moins que la validité […] de ces transactions soit attaquée. » (notre traduction). Sans oublier qu’un tel jugement affecterait les filiales de JTI qui ne sont pas en cause dans les recours.

Le tabagisme : un risque bien compris?

Pendant ce temps, les recours collectifs se sont poursuivis devant le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec. L’industrie a appelé à la barre, entre autres, le Dr Sanford Barsky. Celui-ci a expliqué que le cancer du poumon a plusieurs causes possibles. Avant de reconnaître que le tabac cause… plus de 90 % des cas.

Les cigarettiers ont aussi fait témoigner Kip Viscusi. Selon le professeur d’économie, de droit et de gestion à la Vanderbilt University, les fumeurs connaissent très bien les risques associés à l’usage du tabac. Ils tendent même à les surestimer! En effet, selon les différentes études présentées par le professeur, les gens croient que près de 50 % des fumeurs contracteront un cancer du poumon. Or, dans la réalité, ce sont environ 10 % d’entre eux qui seront atteints de cette maladie, calcule Kip Viscusi.

Le tabac cause plus de 90 % des cas de cancer du poumon, selon un médecin embauché par… l’industrie du tabac.

Bref, pour M. Viscusi, les fumeurs sont des consommateurs rationnels qui choisissent de fumer. Suivant la théorie économique classique, ils ont évalué les risques et les bienfaits du tabac (dangers pour la santé, plaisir, acceptation sociale, etc.) et décidé qu’ils avaient plus à y gagner qu’à perdre.

Faux, répond Isabelle Éthier, coordonnatrice de la ligne j’Arrête, à la Société canadienne du cancer. « M. Viscusi oublie que les Canadiens commencent à fumer à 12,7 ans, en moyenne, c’est-à-dire à un âge où ils ne comprennent pas complètement les dangers du tabagisme. Il ne faut pas oublier non plus que les fumeurs sont dépendants de la nicotine, et que la dépendance n’a rien de rationnel. Enfin, même si les gens savent que le tabac cause des maladies, ils croient souvent, par la pensée magique, qu’ils y échapperont. »

À l’heure de mettre sous presse, les cigarettiers venaient tout juste d’annoncer qu’ils mettaient fin à la présentation de leur défense. La joute se terminera donc cet automne, avec les plaidoiries finales.

Anick Perreault-Labelle