Le Canada tarde à ratifier la Convention-cadre pour la lutte antitabac
Juin 2004 - No 52
Après avoir joué un rôle de leader lors des négociations qui ont mené à l’approbation du texte final de la Convention-cadre pour la lutte antitabac, le Canada, en tardant à la ratifier, amenuise son image de nation avant-gardiste. Adopté à l’unanimité lors de l’Assemblée mondiale de la santé de mai 2003, ce traité international entrera en vigueur 90 jours après que 40 pays l’auront ratifié.
Bien qu’il ait manifesté son intention de se conformer aux règles édictées par la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en la signant le 15 juillet 2003, le Canada ne semble pas pressé de l’entériner.
Cet outil législatif fixe les normes minimales à adopter afin de réduire l’usage du tabac. Les pays qui le ratifient doivent entre autres interdire la publicité et la promotion des produits du tabac, rendre obligatoire les avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes et encourager l’augmentation des taxes et la mise en place de mesures efficaces pour contrer la contrebande.
« Actuellement, le Canada satisfait la plupart des exigences de la Convention-cadre, affirme Carole Saindon, agente de relations avec les médias à Santé Canada. Toutefois, avant de ratifier, on envisage de faire certaines modifications afin de surpasser les normes qu’elle prescrit. »
Questionnée par Info-tabac sur le moment auquel le gouvernement canadien prévoit ratifier le traité, Mme Saindon indique qu’« à l’heure actuelle, il n’y a pas de date prévue. Une fois que tous les changements réglementaires auront été apportés au niveau politique, on les soumettra à un comité interne du Cabinet qui autorisera la ratification. »
Puisque le domaine de la santé relève aussi des provinces, le ministre fédéral, Pierre Pettigrew, a sollicité l’appui de ses homologues provinciaux avant d’approuver définitivement l’entente, signale le coordonnateur de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, Louis Gauvin, qui s’est renseigné auprès de l’attaché politique du ministre.
Alors que la Colombie-Britannique, la Saskatchewan, le Manitoba, les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon ont déjà répondu positivement à la requête de M. Pettigrew, certaines provinces (dont le Québec) doivent faire autoriser la motion par leur assemblé législative, ce qui retarde le processus en cours.
« Aucune raison pour retarder la ratification »
« À toute fin pratique, le Canada est déjà conforme avec la Convention-cadre, confirme Neil Collishaw, directeur de la recherche à l’organisme Médecins pour un Canada sans fumée. Il y a peut-être quelques petits points où notre pays n’est pas entièrement en harmonie avec les principes du traité, mais ces exceptions sont tellement mineures que nous considérons qu’il n’y a aucune raison pour retarder la ratification. »
Parmi ces quelques points où le Canada n’est pas tout à fait en règle, on retrouve notamment les avertissements de santé sur les emballages de cigares et de tabac à pipe qui devraient être agrandis. Toutefois, les mises en garde qui recouvrent 50 % de la surface des paquets de cigarettes excèdent les demandes de la Convention qui exige un minimum de 30 %. Pour ce qui est des appellations trompeuses telles « douces » et « légères », M. Collishaw précise que le traité recommande fortement de les interdire mais il n’est pas obligatoire de le faire avant d’y adhérer.
Analyste pour l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF) à Ottawa, Francis Thompson considère que la Convention-cadre laisse beaucoup de place à l’interprétation. « En ce qui concerne, par exemple, la protection des non-fumeurs contre la fumée de tabac dans l’environnement, le Canada est en avance sur la très grande majorité des pays, observe-t-il. Cependant, il ne respecte pas tout à fait l’esprit de l’article qui prévoit une protection adéquate dans les lieux de travail intérieurs, les transports publics et les endroits publics intérieurs. Mais qu’est-ce qu’une « protection adéquate », si ce n’est de bannir complètement l’usage du tabac dans l’ensemble des lieux publics intérieurs? »
Pour expliquer l’hésitation du Canada à ratifier la Convention-cadre, M. Thompson jette le blâme sur les circonstances politiques particulières (deux changements de gouvernement en moins de six mois) qui ont ralenti les procédures au niveau fédéral. « Quand on considère que des pays moins développés qui disposent d’un système politique beaucoup plus complexe que le nôtre s’apprêtent à ratifier la Convention-cadre, c’est un peu scandaleux de constater que le Canada ne l’ait pas encore fait », regrette-t-il, faisant allusion au Brésil. Malgré cela, l’analyste de l’ADNF espère, tout comme son homologue de Médecins pour un Canada sans fumée, que le Canada sera parmi les 40 premiers pays à ratifier ce traité mondial de santé publique.
« Même si seulement une quinzaine de pays ont entériné la Convention, le processus pourrait aller très vite, prédit Neil Collishaw. Lorsque l’Union européenne endossera le traité, environ 25 pays s’ajouteront, d’un seul coup, à la liste des ratifications, ce qui accélérera son processus d’entrée en vigueur. »
Conférence des Parties
« Si le Canada n’a pas ratifié le traité lors de la réunion du groupe de travail intergouvernemental sur la Convention-cadre qui se tiendra à Genève à la fin juin, il devra se contenter d’un rôle d’observateur alors qu’auparavant, il jouait un rôle de décideur », prévient Francis Thompson. Puisque cette rencontre abordera les mécanismes de fonctionnement au sein de la Conférence des Parties, seuls les pays ayant déjà entériné l’entente auront un pouvoir décisionnel. La Conférence des Parties est l’organe de surveillance qui veillera à l’application de la Convention; elle se rassemblera pour la première fois un an après l’entrée en vigueur du traité.
La Convention-cadre pour la lutte antitabac demeure ouverte à la signature jusqu’au 29 juin, après quoi, les pays ne pourront y adhérer qu’au moment où ils seront conformes avec toutes les mesures qui y sont contenues. Même si elle aura théoriquement force de loi lorsque 40 pays l’auront ratifiée, son respect repose essentiellement sur la bonne volonté des nations.
Les États-Unis signent
Les États-Unis ont finalement signé la Convention le 12 mai dernier. Ils avaient été accusés à maintes reprises d’avoir freiné les pourparlers menant à l’adoption du texte définitif du traité. Bien que ce geste soit encourageant, il soulève encore des questions. « En signant, les États-Unis sous-entendent qu’ils ont l’intention de ratifier la Convention, expose M. Collishaw. Or, vont-ils vraiment la ratifier ou n’auront-ils fait que la signer… seul l’avenir nous le dira. »
Josée Hamelin