Comment se porte la lutte antitabac dans le monde?
Octobre 2021 - No 153
De plus en plus de pays se mobilisent pour lutter contre le tabagisme. Voilà ce qu’on peut conclure du rapport 2021 de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) sur l’épidémie mondiale de tabagisme publié en juillet dernier (en anglais seulement). Or, de nouveaux produits menacent de changer la donne.
Mars 2020. La COVID-19 frappe de plein fouet le monde entier. Un peu partout, on impose le confinement pour tenter de limiter la propagation du SARS-CoV-2, le coronavirus à l’origine de cette nouvelle pandémie. Alors que la planète tourne au ralenti, la lutte antitabac, elle, poursuit doucement sa progression. Mais la popularité de la cigarette électronique et l’ingérence de l’industrie du tabac viennent nuire aux efforts déployés jusqu’à maintenant pour réduire le tabagisme et protéger la santé de la population.
Le nombre de pays investis dans la lutte antitabac ne cesse d’augmenter
La lutte antitabac progresse sur la planète, quoique lentement. En 2020, seulement deux pays (le Brésil et la Turquie) avaient adopté l’ensemble des six mesures MPOWER, qui constituent un outil d’aide à la mise en œuvre de la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLA).
Les mesures MPOWER :
- Monitoring : surveiller la consommation du tabac et les mesures de prévention;
- Protecting : protéger la population contre la fumée du tabac;
- Offering : offrir à la population une forme d’aide pour arrêter de fumer;
- Warning : alerter la population quant aux dangers du tabac;
- Enforcing : faire respecter les interdictions de publicité, de promotion et de parrainage des produits du tabac;
- Raising : augmenter les taxes sur le tabac.
La bonne nouvelle, c’est que le nombre de pays ayant adopté au moins une mesure MPOWER a triplé, passant de 44 en 2007 à 144 en 2020 (soit 75 % des pays du monde). De son côté, la population mondiale tombant sous au moins l’une de ces mesures a quintuplé depuis 2007, pour atteindre 5,3 milliards de personnes en 2020. Néanmoins, encore 2,4 milliards de personnes ne sont pas touchées par la moindre mesure MPOWER visant les meilleures pratiques cliniques.
Il faut savoir que ces mesures ont démontré leur efficacité dans la lutte contre le tabagisme. Ainsi, l’OMS estime qu’elles auraient permis de sauver plus de 37 millions de vies à ce jour sur la planète.
La mise en œuvre des mesures MPOWER au Canada
En 2020, le Canada avait adopté trois de ces mesures au niveau des meilleures pratiques cliniques. Il s’agit de la surveillance de la consommation du tabac et des mesures de prévention (Monitoring), de la protection de la population contre la fumée du tabac (Protecting) et de l’offre à la population d’une forme d’aide pour arrêter de fumer (Offering).
Des stratégies sont également en place pour les autres mesures MPOWER, quoique ces dernières n’atteignent pas encore les plus hauts niveaux fixés par l’OMS. C’est le cas, par exemple, pour la taxation des produits du tabac (Taxing) qui, au Canada, atteignait 61,7 % en 2020, ce qui se situe sous le seuil de 75 % fixé par l’OMS. Notons que la prévalence du tabagisme au pays atteignait 9 % de la population en 2020.
L’incidence de la COVID-19 sur la lutte antitabac
On aurait pu croire que la pandémie ralentirait la progression de la lutte antitabac. Or, le rapport de l’OMS indique qu’entre 2018 et 2020, pas moins de 24 pays ont adopté une ou plusieurs mesures MPOWER au plus haut niveau.
Dans certains endroits, on a même profité de la pandémie pour mettre en place des mesures supplémentaires de lutte contre le tabagisme. Par exemple, depuis mars 2020, certains pays comme l’Espagne ont restreint l’usage des produits du tabac dans les endroits publics. D’autres, comme l’Afrique du Sud, sont allés plus loin en resserrant l’encadrement des produits du tabac et en les intégrant à la liste des produits non essentiels qui sont devenus inaccessibles pendant les périodes de confinement de la population.
De manière plus générale, le rapport de l’OMS note qu’en 2020, 101 pays avaient imposé des avertissements pour la santé sur les emballages de cigarettes. Un total de 2,5 milliards de personnes dans 26 pays avait accès à des programmes d’aide à la cessation tabagique. Non moins de 67 pays avaient entièrement banni l’usage de la cigarette classique dans les endroits publics intérieurs, les lieux de travail et les transports en commun. Enfin, 57 pays avaient rendu totalement illégaux la publicité et la promotion des produits du tabac, de même que les programmes de parrainage par l’industrie.
Les inhalateurs électroniques de nicotine doivent être réglementés, selon l’OMS
Pour la première fois depuis 2007, l’OMS aborde dans son rapport biennal les produits nouveaux et émergents que sont les inhalateurs électroniques de nicotine. L’apparition des produits de vapotage et leur évolution rapide au cours des dernières années changent sans nul doute la donne de la lutte antitabac.
Le rapport de l’OMS confirme que 111 pays sur 195 réglementent actuellement, sous une forme ou une autre, les différents types d’inhalateurs électroniques de nicotine (incluant la cigarette électronique et les produits du tabac chauffés). Certains le font en interdisant la vente de ces dispositifs ou leur usage dans les lieux publics, les lieux de travail et les transports en commun. D’autres circonscrivent plutôt leur publicité et leur promotion.
Vu les risques associés à l’usage des inhalateurs électroniques de nicotine, l’OMS recommande à tous les pays d’encadrer ces dispositifs, leur vente et leur usage sur leur territoire, précisant que les mesures MPOWER, éprouvées dans la lutte antitabac, peuvent aussi convenir à ces produits. Selon l’OMS, l’absence de réglementation visant les inhalateurs électroniques de nicotine rend les pays « vulnérables aux activités de l’industrie du tabac et des industries connexes ».
L’OMS apporte cependant une nuance : même si le nombre de personnes qui utilise la cigarette électronique augmente, il s’agit toujours d’une fraction du million de personnes qui consomment actuellement du tabac dans le monde. Dans ce contexte, les efforts déployés pour encadrer ces nouveaux produits de nicotine ne doivent pas pour autant négliger la lutte antitabac, qui doit demeurer une priorité.
L’importance de limiter l’ingérence de l’industrie du tabac
Il est reconnu que l’industrie du tabac et les organismes protabac usent de stratégies pour contourner les mesures antitabac en place dans le monde. La problématique est d’ailleurs dénoncée par l’OMS, qui explique dans son rapport que « ces industries tentent d’apparaître comme partie à la solution à l’épidémie de tabagisme, par rapport aux instigateurs et aux responsables de l’épidémie ». En effet, chaque fois qu’ils font face à une menace de taille, les fabricants de produits du tabac répliquent en proposant de nouveaux produits soi-disant moins dangereux. De cette manière, ils trouvent de nouveaux moyens d’être profitables, tout en minant l’efficacité des stratégies de lutte antitabac en vigueur à l’échelle planétaire.
Dans le cas des cigarettes électroniques et des autres produits de nicotine qui ne sont pas encore homologués, les fabricants de tabac espèrent non seulement attirer de nouveaux consommateurs, mais aussi retenir ceux qui consomment déjà des produits du tabac plus conventionnels. Pour ce faire, ils n’hésitent pas à commercialiser des dispositifs et des arômes de plus en plus attrayants, notamment pour les jeunes, à produire et à diffuser des informations trompeuses, et à s’immiscer dans la recherche scientifique ou les mesures de contrôle du tabac afin de les discréditer.
L’intrusion de l’industrie du tabac dans la lutte contre le tabagisme a d’ailleurs fait couler beaucoup d’encre depuis le début de la pandémie. L’initiative STOP (pour Stopping Tobacco Organizations and Products), dont l’objectif est de lutter contre l’ingérence de l’industrie du tabac, notamment dans les pays à faibles revenus, a signalé plusieurs actions directes prises par les fabricants de tabac pour gêner les mesures de santé publique en vigueur partout dans le monde. Par exemple, sous le couvert de la responsabilité sociale, l’entreprise Phillip Morris International a fait don de plusieurs ventilateurs à la Grèce pendant la pandémie. Le but réel des fabricants consistait, en fait, à protéger leurs profits.
Au terme de son rapport, l’OMS conclut « que trop de pays demeurent vulnérables aux stratégies de l’industrie du tabac et des organismes protabac qui visent à étendre leur marché » [traduction libre]. Dans ce contexte, il importe pour l’avenir de maintenir et de déployer les efforts de lutte contre le tabac.
Katia Vermette