La France fait face avec humour aux enjeux du tabagisme
Septembre-Octobre 1999 - No 28
Entrevue avec Bernadette Roussille, déléguée générale et directrice du Comité français d’éducation pour la santé depuis 1994. Fonctionnaire du ministère de la Santé, elle est détachée à ce comité qui, de concert avec l’Assurance maladie, vise deux grands objectifs : augmenter le pourcentage de personnes qui envisagent d’arrêter de fumer et conforter cette intention chez les fumeurs.
Quelle est la participation de ce comité pour la lutte au tabagisme?
Bernadette Roussille : Ce comité qui est un organisme national placé sous la tutelle du ministère de la Santé, a pour but de développer des campagnes de communication, entre autres, celle relative à la prévention du tabagisme. D’une façon générale, il veille à l’évolution de l’éducation pour la santé en France. Il chapeaute un réseau de comités régionaux et départementaux qui sont indépendants, bien qu’animés par le Comité français d’éducation pour la santé. Cet organisme, quoique indépendant, est financé à 99 % par le ministère de la Santé et l’Assurance maladie.
Quel est votre mandat?
Mon mandat consiste à diriger cette institution, l’animer et mettre en oeuvre des campagnes de communication à la demande du ministère et de l’Assurance maladie. De plus, je dois développer des programmes afin d’améliorer la formation relative à l’éducation pour la santé. Outre cela, nous distribuons à chaque année entre 20 et 40 millions de documents concernant la prévention et l’éducation sur tous les thèmes de la santé publique. Les principaux destinataires sont les médecins, les enseignants et les fonctionnaires sociaux. Par ailleurs, des études en vue de préparer les campagnes et le suivi sont effectuées.
Quelle importance le dossier du tabagisme occupe-t-il à l’intérieur de votre mandat?
Nos programmes sont déterminés par les demandes du ministère de la Santé et de l’Assurance maladie. Et la moitié du budget, soit 10 millions de dollars canadiens, est allouée au tabagisme.
Comment employez-vous cette somme?
D’abord, notre but ultime est d’obtenir que les gens cessent de fumer ou, à tout le moins, augmenter le pourcentage de personnes qui envisagent d’arrêter de fumer. Pour cela, nous travaillons sur les représentations du tabagisme et essayons de faire évoluer la norme sociale par différentes campagnes « très françaises ». Si nous nous comparons à l’Angleterre ou aux États-Unis, par exemple, nous avons un style « français » qui privilégie des campagnes teintées d’humour plutôt qu’axées sur la peur.
Certains nous critiquent de travailler trop en empathie, sauf que toutes les études que nous avons effectuées démontrent le faible impact de la peur. En effet, une campagne basée sur la peur renforce, chez le destinataire du message, soit le déni ou l’impuissance. Un message qui prône la reconnaissance des difficultés et l’existence de solutions s’avère plus positif. Et mieux encore, s’il est présenté avec humour.
Nos campagnes axées sur l’humour ont un très bon impact. Toutefois, il n’est pas dit qu’elles amènent les gens à changer leurs comportements. Notre but se situe davantage à faire bouger les normes sociales. Pour cela, il faut faire tout un travail à la base auprès des parents, des enseignants et des médecins. Nous avons compris que l’approche fructueuse ne se résume pas uniquement à informer et à parler de tabagisme. D’élever, par divers moyens, les compétences psychosociales des jeunes s’avère tout autant efficace.
Quel véhicule utilisez-vous pour faire passer votre message?
Concrètement, nos campagnes de publicité destinées à la prévention du tabagisme et à la promotion des moyens d’aide à l’arrêt utilisent la télévision et privilégient la radio. Ce média rejoint beaucoup les jeunes qui écoutent énormément la radio. De plus, il est interactif; les jeunes interviennent, font des témoignages, des reportages, etc. D’ailleurs certaines stations de radio sont entièrement consacrées aux jeunes.
Outre cela, la presse écrite ou encore le cinéma servent de véhicules à nos messages mais de façon moins importante. Quant aux affiches, elles sont très peu utilisées.
Nous produisons aussi des documents pédagogiques tels que des coffrets destinés aux écoles afin d’aider les enseignants à parler du tabagisme. De la même façon, des documents s’adressant aux professionnels de la santé sont offerts afin qu’ils puissent introduire ce thème dans leur consultation et apporter une aide au sevrage tabagique.
Par ailleurs, nous travaillons de plus en plus avec les pharmaciens. Nous avons produit un livret d’aide à l’arrêt, expressément pour eux, qu’ils ont la charge de distribuer à leur comptoir.
Outre ces campagnes qui sont financées par l’État en presque totalité, comment les intentions politiques ou législatives concernant la lutte au tabagisme se manifestent-elles?
En France, il y a une politique explicite concernant le tabagisme. La première loi sur le tabac est apparue en 1976. En 1991, une législation assez courageuse dictant des normes sur la publicité directe et indirecte de la cigarette a été votée. D’ailleurs cette législation a servi de modèle pour l’Union européenne.
Et dans les lieux publics et les lieux de travail, y a-t-il des interdictions de fumer?
Il est interdit de fumer dans les lieux publics et sur les lieux de travail. En ce qui concerne les lieux de travail, il est permis de fumer dans les fumoirs. Or, le problème c’est que cette interdiction peut demeurer essentiellement théorique puisque le contrevenant n’est pas sanctionné. D’ailleurs, plusieurs personnes ont manifesté la crainte que l’employeur utilise éventuellement l’argument du tabagisme pour effectuer un licenciement injustifié.
Toutefois, le problème le plus important se situe dans les écoles. En France, on fume dans les écoles, les lycées et les universités. C’est la catastrophe. Le taux de tabagisme déclaré est de 34 %. Chez les jeunes entre 18 et 24 ans, le taux est de 60 % et légèrement plus important chez les filles.
Face à ce taux élevé, comment orientez-vous vos campagnes?
Depuis la première loi sur le tabac, il y a eu des campagnes sur les dangers du tabagisme presque à chaque année. Par ces campagnes, nous avons essayé de dévaloriser l’image du fumeur tout en soulignant les dangers. Cela a porté fruit et vers les années 1990, l’image du fumeur est moins bien perçue. Par contre, l’image du non-fumeur n’est pas suffisamment valorisée.
Alors, que faites-vous pour valoriser l’image du non-fumeur?
Nous avons orienté nos campagnes (télé, radio, presse) vers la valorisation de l’image du non-fumeur et ciblé particulièrement les jeunes et ce, toujours sur un mode humoristique. Par exemple, un de nos messages exprime que le non-fumeur, du point de vue de la musique, du sport ou encore de la sexualité, a plus d’énergie. D’ailleurs, un des slogans est : « L’énergie, c’est pas fait pour partir en fumée. »
Présentement, nous nous attaquons à une autre étape soit celle de la cessation. Nous avons d’abord rassemblé toutes les études sur les comportements sociaux et avons dégagé notre stratégie de communication. Elle s’oriente principalement sur l’arrêt du tabagisme selon une approche bien précise qui tient compte du stade du fumeur. Divers supports sont mis en place tels qu’une ligne téléphonique « Tabac Info Service » pour aider les fumeurs à arrêter de fumer, un guide d’aide à l’arrêt, de la publicité télévisuelle et radiophonique, des émissions pour jeunes et des coffrets pédagogiques.
Mais croyez-vous que vous puissiez faire ces campagnes antitabac dans un environnement qui est cohérent avec le message véhiculé?
Du point de vue de la publicité ou des commandites, l’environnement est assez cohérent avec les campagnes. Toutefois, du point de vue des avertissements sur les paquets de cigarettes, ils ne sont certainement pas assez grands. Mais, la dimension des caractères relève dune réglementation européenne et française. Quant au taux de goudron ou de nicotine, il y a des directives européennes.
Par ailleurs, le tabagisme en France a beaucoup diminué cette dernière décennie. Une des mesures qui a été très efficace est l’augmentation considérable des prix en 1991. La consommation de cigarettes a alors chuté de 11 %. L’effet des prix sur la consommation est indéniable surtout auprès des jeunes.
Existe-t-il des organismes antitabac?
En France, il existe le Centre national contre le tabagisme qui est un organisme spécialisé dans la lutte au tabagisme. Outre cela, il existe des organismes non spécialisés tels que des groupes de lutte contre le cancer. Il y a aussi deux ou trois associations qualifiées d’extrémistes terroristes. Malheureusement, il y a beaucoup de querelles entre les divers groupes antitabac.
Est-ce que l’image du tabagisme s’est transformée ces dernières années en France?
Oui, l’image du tabagisme a complètement changé. À preuve, lorsque l’on interroge les gens sur leur désir d’arrêter de fumer, 30 % des répondants souhaitent arrêter de fumer immédiatement et 70 % ont l’intention d’arrêter plus tard. D’ailleurs, nous jouons sur ces volontés dans nos campagnes.
Si l’on parle d’améliorations souhaitables, que suggérez-vous?
Les consultations antitabac sont insuffisantes ainsi que la formation aux médecins relatives aux conseils ou à l’aide à la cessation. Là, il y a beaucoup de travail à faire parce que les médecins français fument presque autant que le reste de la population.
S’il est possible de comparer la situation du tabagisme en France à celle au Québec, que diriez-vous?
Au Québec, le taux de prévalence du tabagisme est inférieur à celui de la France. La situation québécoise est meilleure.
Lucie Desjardins