La conférence de Chicago s’attaque à la pandémie du tabac

Constatant à quel point la pandémie du tabagisme se répand dans les pays en développement, la communauté médicale mondiale considère urgent et hautement prioritaire de doter les régions pauvres de stratégies antitabac inspirées de celles qui ont fait leurs preuves dans quelques pays avantagés. Cette préoccupation s’est reflétée lors de plusieurs sessions de la 11e Conférence mondiale sur le tabac OU la santé, tenue à Chicago du 6 au 11 août dernier.

Coprésidente d’honneur de la Conférence, la directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Gro Harlem Brundtland, a comparé, dans son discours d’ouverture, la propagation du tabagisme et de ses méfaits à celle du sida. Rappelant qu’une récente conférence mondiale sur le sida avait pour thème « Brisons le silence », Mme Brundtland a déclaré qu’il fallait également briser le silence autour de l’hécatombe du tabac. « Nous ne pouvons plus demeurer impassible devant une pandémie qui tue déjà quatre millions d’êtres humains par année et qui menace d’en tuer dix millions en 2030 », a-t-elle lancé.

Prenant acte du consensus général pour prévenir le tabagisme juvénile, un objectif partagé en principe par l’industrie du tabac, Mme Brundtland propose à cette dernière de ne plus séduire les populations par sa publicité, ses commandites et ses cadeaux. Très diplomate, elle invite les fabricants à soutenir une convention-cadre mondiale qui entraînerait l’ensemble des pays et des peuples à contrer les « risques découlant de l’usage du tabac ».

Une session de navigation

La cérémonie d’ouverture devait comporter une session de navigation, tellement la Conférence fourmillait de réunions, d’assemblées et d’activités diverses. La responsable de la programmation, Nancy J. Kaufman, a entretenu l’auditoire de l’élaboration d’un agenda type de la semaine, face au choix de plus de 500 sessions, animées par 2500 personnes. Le programme, les résumés des sessions, et les statistiques sur le tabagisme constituaient les cinq volumes de base remis aux délégués, pour un total de 1736 pages faisant 10 centimètres d’épaisseur. On comprendra que ce survol est bien incomplet…

La Conférence a attiré 5200 délégués venus de 160 pays. La grande salle de bal de l’Hôtel Hilton ne pouvant contenir l’ensemble des congressistes, le tiers d’entre eux devaient assister aux assemblées plénières dans une seconde salle, par l’entremise d’écrans géants. Seulement neuf événements principaux disposaient de la traduction simultanée (en espagnol, en mandarin et en français), l’anglais étant la langue officielle de la Conférence.

Cette forte participation était le double de celle de Beijing en 1997, laquelle avait aussi largement surpassé les 900 délégués de Paris en 1994. Il serait toutefois surprenant que la prochaine conférence, à Helsinki en Finlande, en août 2003, attire autant de personnes que cet été, puisque les deux tiers provenaient des États-Unis.

Des Américains bien en vue

Avec une telle présence, les Américains ont bien sûr occupé une place prépondérante. Hôtes et bailleurs de fonds de la Conférence, ils sont également les meneurs de la lutte contre le tabagisme, avec leurs collègues de certains autres pays anglophones, dont la Grande-Bretagne, l’Australie et le Canada. En plus de pouvoir exposer des réalisations et des programmes d’avant-garde, les représentants de ces pays sont davantage portés à prendre la parole car ils maîtrisent la langue des échanges. En outre, les inscriptions des délégués ne constituant que 15 % du budget de 10 millions $ US de la Conférence, l’organisation devait offrir une certaine visibilité à ses commanditaires et leurs représentants, pour la plupart américains.

Dans l’ensemble et même dans les détails, cette onzième conférence fut un grand succès. Les réunions, les expositions parallèles, le service Internet, la salle de presse, les cérémonies protocolaires, les activités récréatives, les services aux délégués, l’audio-visuel, tout dénotait un professionnalisme hors-pair. Un journal interne de huit pages en couleur, le Daily News, attendait même les délégués chaque matin.

Peu de médias

Malgré l’inscription de plus de cent journalistes au service de presse, la Conférence n’a pas occasionné une vigoureuse couverture médiatique en Amérique du Nord. Par contre, grâce à la présence assidue de Francis Temman de l’Agence France-Presse, des quotidiens francophones du Québec ont rapporté certaines des séances les plus intéressantes. Les textes de M. Temman ont même inspiré trois éditoriaux québécois en appui à la lutte mondiale au tabagisme, soit ceux de Brigitte Breton dans Le Soleil, de Frédéric Wagnière dans La Presse, et de Paule des Rivières dans Le Devoir.

Participation canadienne

Le présence canadienne à la Conférence s’est hautement distinguée dans deux domaines : par nos futurs avertissements illustrés, lesquels font figure de première mondiale, et par le prix remporté par l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF). Le ministre fédéral de la Santé, Allan Rock, est venu en personne présenter les avertissements qui orneront les paquets de cigarettes à compter de décembre prochain. Une session entière fut consacrée à cette initiative canadienne, qui sera bientôt imitée par la Thaïlande.

Lors du gala honorifique de la Conférence, l’ADNF a mérité un prix Luther L. Terry dans la catégorie organisation remarquable, pour son leadership mondial dans la lutte contre le tabagisme. Directeur exécutif de l’Association depuis sa fondation en 1974, Garfield Mahood a remercié ses partenaires canadiens mais aussi sa propre mère présente à Chicago. M. Mahood serait décrit, dans un document confidentiel de l’industrie, comme l’une des trois personnes « les plus dangereuses au monde », a relaté son présentateur.

Le Dr Judith Mackay, oeuvrant dans une dizaine de pays asiatiques, et le Dr Prakit Vateesatokit, pionnier de la lutte antitabac en Thaïlande, ont partagé les honneurs de la catégorie individuelle. Le prix consacrant les réalisations d’un gouvernement fut remporté par l’Afrique du Sud, où les ventes de cigarettes ont baissé de 30 % entre 1991 et 1998. Quant au prix récompensant une carrière exceptionnelle, il a été lui aussi partagé par deux médecins, le Norvégien Kjell Bjartveit et l’Australien Nigel Gray.

Parmi les quelque 160 délégués canadiens, une trentaine provenait du Québec. Le mardi en soirée, tout ce monde fut invité par le ministre Allan Rock à une réception à la résidence du consul général du Canada à Chicago, Christopher Poole. Pour sa part, le gouvernement du Québec était représenté par Lise Bourcier, une des membres du Service de lutte contre le tabagisme.

Sessions d’affichage

La principale participation authentiquement québécoise à la Conférence a pris la forme d’un attrayant babillard illustrant les étapes ayant mis fin aux commandites du tabac chez nous, réalisé par Francine Hubert de la Direction de la santé publique de Montréal-Centre.

Les brèves sessions d’affichage, peu fréquentées malheureusement, furent l’outil de communication de nombreux pays en développement, certains tableaux étant écrits au crayon feutre et agrémentés de photos d’amateurs. Une affiche a relevé le fait que le budget de prévention du tabagisme d’une dizaine de pays populeux totalisait moins de 1 % de celui de la Californie dans ce domaine.

Contrebande

Collègues de M. Mahood à l’ADNF, David Sweanor et François Damphousse furent conférenciers lors d’une des sessions les plus courues, portant sur la contrebande, un sujet où le Canada constitue précisément un modèle à ne pas suivre. Les autorités canadiennes ont eu tort de couper les taxes en 1994, ont soutenu MM. Sweanor et Damphousse. Des efforts axés vers l’approvisionnement de la contrebande, soit l’industrie du tabac, permettent de l’endiguer sans nuire aux programmes de réduction du tabagisme, et cela en maintenant les recettes fiscales.

Leur collègue anglais Clive Bates, de Action on Smoking and Health, est devenu un redoutable pourfendeur de la contrebande du tabac, surtout celle visant les marchés européens. M. Bates a ajouté que des investissements dans les secteurs douaniers et fiscaux rapportaient facilement dix fois leurs coûts aux gouvernements, en considérant les revenus sauvegardés en taxation du tabac. L’Espagne et la Grande-Bretagne réussissent à garder élevé le prix des cigarettes en exerçant un contrôle sérieux sur les activités des fabricants, a-t-il précisé. M. Bates a exposé des documents de l’industrie illustrant à quel point celle-ci considère la contrebande comme une source normale de développement de marchés et de profits.

Quatre résolutions finales

Lors de la séance de clôture, le 11 août, les participants ont adopté quatre résolutions d’action, lesquelles soutenaient toutes la réduction du tabagisme dans les pays en développement. Ces quatre priorités, par ordre d’appui, sont :

  1. La convention-cadre mondiale de lutte antitabac doit être solide, axée vers des objectifs de santé publique, cela sans empêcher les pays de retenir des mesures plus sévères, et elle doit tenir compte des recommandations des organismes non gouvernementaux.
  2. La communauté internationale impliquée dans le contrôle du tabac doit agir énergiquement pour exclure ou retirer le tabac des ententes de commerce bilatérales ou multilatérales, de manière à ne pas nuire aux objectifs de santé publique.
  3. Chaque gouvernement doit, dans le cadre d’un programme complet de réduction du tabagisme, inclure des méthodes de cessation, et les rendre disponibles et abordables.
  4. Dans chaque pays, le ministère national de la Santé doit bénéficier d’un personnel à plein temps pour assumer la responsabilité d’un programme de lutte antitabac d’envergure.
Enregistrements

La Conférence mondiale sur le tabac OU la santé offre les enregistrements de 160 de ses séances (11 $ US chacune, en anglais). Le formulaire de commande, avec liste des séances, est disponible à www.wctoh.org. Ce site Internet diffuse également, sans frais et avec diapositives, les enregistrements des sept assemblées plénières suivantes :

  • Bâtir un mouvement apte à confronter les problèmes. Les défis qui nous attendent.
  • Le contrôle du tabac servira-t-il votre économie? Un débat interne au gouvernement.
  • La nicotine propre est-elle possible? Est-elle souhaitable?
  • Scénarios futurs. Le monde du tabac en 2015.
  • Les sonneurs d’alarme. Ces courageux déserteurs de l’industrie.
  • Le militantisme. Apprendre des autres mouvements tout en célébrant nos succès.
  • Cérémonie de clôture.

Denis Côté