Pourquoi les francophones fument-ils plus que les anglophones? Comment réagir?

Selon un rapport remis à Santé Canada, des actions plus élaborées et plus soutenues en matière d’appui aux intervenants, aux programmes, à la communication et à la recherche, sont essentielles pour améliorer le portrait inquiétant du tabagisme chez les francophones au Canada.

Telles sont les principales conclusions d’un rapport1 réalisé par la firme Nadeau, Beaulieu et Ass. et présenté à Santé Canada par le Conseil canadien pour le contrôle du tabac et la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. Il dresse le bilan des activités effectuées entre 1994 et 1997 dans le cadre de la Stratégie de la réduction de demande de tabac (SRDT) et en dégage des pistes de travail pour l’avenir. Rappelons que cette Stratégie, de quelque 100 millions $, avait été lancée par le gouvernement fédéral comme mesure pour tenter de freiner les hausses appréhendées de l’usage du tabac, au lendemain de la baisse des taxes sur les cigarettes.

Une première série de recommandations portent sur la nécessité de disposer d’une banque bien fournie de programmes et de matériel en langue française. D’autres concernent les moyens de communication à mettre en place pour faciliter le contact permanent entre francophones de partout au pays qui travaillent à la réduction du tabagisme, particulièrement pour ceux qui oeuvrent en milieu minoritaire.

Matériel conçu en anglais

En fait, les ressources dont disposent les francophones vivant dans des provinces anglophones sont rares, et parfois tout simplement inexistantes. Lorsque du matériel est disponible, il est le plus souvent élaboré en anglais pour une clientèle anglophone, puis traduit en français avec toutes les distorsions qu’une pareille démarche rend possibles. Il y a donc une réelle exigence de matériel conçu et produit pour répondre aux besoins spécifiques de la population francophone.

De plus, dans de nombreux cas, les intervenants sont pratiquement coupés de tout contact avec ce qui se passe dans le domaine de la lutte au tabagisme ailleurs dans leur province ou au pays. C’est pourquoi, « si l’on doit intensifier les efforts, (…) l’on doit d’abord s’assurer de bien former et d’outiller les intervenants. L’accès à la formation, la diffusion d’information, le partage des leçons apprises et le réseautage sont des éléments essentiels au travail des intervenants engagés dans la lutte pour le contrôle du tabac ».

35 % de fumeurs

Le portrait de la consommation de cigarettes chez les francophones soulève beaucoup d’inquiétudes. Ces derniers présentent les taux de tabagisme les plus élevés au Canada (35 %). De plus, ils fument plus de cigarettes par jour que les anglophones et la teneur en nicotine de leurs cigarettes est en moyenne 20 % plus élevée.

Un autre aspect important des recommandations a trait à la recherche, car on sait finalement peu de choses du tabagisme chez les francophones. Seules quatre provinces, le Manitoba, l’Ontario, le Québec et le Nouveau-Brunswick, disposent de données fiables sur la consommation de cigarettes chez leurs concitoyens de langue française. Et encore! Les statistiques incluant des distinctions quant à la langue ne font pas partie des informations de base de toutes les enquêtes pancanadiennes. Pour les autres provinces, les prévalences regroupent l’ensemble des fumeurs sans particularité linguistique.

Quelles différences?

Et peut-être plus important, comment expliquer ces écarts dans la consommation entre les deux principaux groupes linguistiques : chez les jeunes, chez les femmes, dans l’ensemble de la population? On entend souvent dire qu’« avec les francophones, c’est pas pareil, la liberté et la joie de vivre sont plus importantes »! Qu’entend-on par là au juste? S’agit-il de différences liées aux niveaux d’éducation, aux types d’emplois et de revenus, à des différences culturelles et lesquelles précisément? Quelles sont les connaissances et les attitudes des francophones à l’égard du tabagisme et de la santé? Sur quelles cordes sensibles miser pour prévenir et réduire l’usage du tabac?

À ce jour, aucune étude, pas plus que l’ensemble des recherches faites sur le sujet, ne fournit de solution satisfaisante. Pourtant, les réponses à ces questions sont déterminantes puisqu’elles procureront le savoir nécessaire au développement de programmes et de matériel vraiment adaptés aux conditions et aux particularités des francophones en regard du tabagisme, dans chacune des provinces.

De fait, la population francophone au Canada n’est pas homogène. Elle est composée de communautés distinctes avec leurs traits et caractéristiques propres. C’est pourquoi on ne s’adresse pas aux Québécois, aux Acadiens, aux Franco-Ontariens ou aux Franco-Manitobains selon le modèle du moule unique. Ils ont bien des traits en commun, dont la langue et le partage d’une certaine culture. Mais, l’histoire et le milieu qu’ils habitent les rendent également très différents les uns des autres.

Moment propice

Le moment semble particulièrement propice au lancement d’initiatives de fond concernant la réduction du tabagisme chez les francophones. Le Canada a réalisé des pas de géant dans la lutte au tabac au cours des dernières années. Au niveau fédéral, le gouvernement pose actuellement des gestes qui vont créer des précédents mondiaux : nouveaux avertissements percutants, poursuites contre un manufacturier pour cause de contrebande.

La Colombie-Britannique, l’Ontario et Terre-Neuve sont engagées elles aussi dans des poursuites contre l’industrie du tabac, et d’autres provinces songent à suivre leur exemple. L’ensemble des provinces canadiennes dispose de mesures législatives anti-tabagiques. Certaines comme l’Alberta, l’Ontario et le Québec ont vu émerger d’importants réseaux d’intervenants actifs et très bien structurés.

Le fait de se doter des moyens nécessaires en termes de matériel et programmes, de communication, de support aux intervenants et de recherche qui vont permettre d’associer formellement l’ensemble de la communauté de langue française à ces initiatives, ne pourra que bénéficier à toute la collectivité canadienne dans sa lutte pour un meilleur contrôle du tabac.

  1. Les francophones et le tabagisme au Canada : le chaînon manquant. Document de travail produit en juin 1999. Figure désormais sur le site de Santé Canada sous le titre de : Le tabagisme chez les francophones du Canada : leçons à retenir de la Stratégie de lutte contre le tabagisme 1994-1997. On peut le trouver à : http://www.hc-sc.gc.ca/hppb/tabac/bureau/bureau1.html
  2. Georges Létourneau, Les francophones et le tabagisme, Santé et Bien-être social Canada, 1989.
  3. Santé Canada, Enquête sur le tabagisme au Canada, Quartier 1 et 4, 1994.
  4. Santé Canada, Enquête de 1994 sur le tabagisme chez les jeunes,1996.
  5. Les langues officielles au Canada, Commissariat aux langues officielles à partir de données de Statistique Canada, recensement de 1996, première langue officielle parlée.
  6. Statistique Canada, recensement 1996.

Louis Gauvin et Heidi Rathjen, coordonnateur et directrice de campagne de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac.