Exiger une pièce d’identité aux mineurs : la fausse bonne idée

Est-ce une bonne idée d’exiger une preuve d’identité à tous ceux qui achètent du tabac? A priori, il peut sembler que oui. Mais cette mesure préconisée par l’industrie a bien des défauts.

L’un des grands objectifs de la lutte contre le tabagisme est de réduire le nombre de jeunes qui fument ou s’initient au tabac. Pour y arriver, la Loi sur le tabac interdit notamment de leur vendre des produits du tabac. Or, encore aujourd’hui, environ 15 % des détaillants dérogent à cette règle et vendent cigarettes, cigarillos et autres produits du tabac à des mineurs. Au final, environ un quart des jeunes qui fument des cigarettes les achètent habituellement dans un commerce, rapporte l’Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool, la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire, 2013 (ETADJES).

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Pour réduire ces infractions, des associations de commerçants demandent que la loi les oblige à exiger une preuve d’âge à tous les acheteurs du tabac. A priori, l’idée est bonne; dans les faits, c’est un moyen peu efficace de réduire le tabagisme chez les jeunes. Dans son Livre vert de l’allégement réglementaire 2015, l’Association québécoise des dépanneurs en alimentation (AQDA) revient sur cette idée et demande le « cartage obligatoire pour toute vente de produits réservés aux adulte  » (tabac, alcool et billets de loterie). L’Association des marchands dépanneurs et épiciers du Québec (AMDEQ) réclame la même mesure. Les deux organismes offrent même des formations à ce sujet. De son côté, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) recommande aux commerçants de carter toute personne souhaitant acheter du tabac qui semble avoir moins de 25 ans.

Peu efficace

Certes, il est nécessaire d’interdire la vente de tabac aux mineurs. En soi, toutefois, cette mesure ne suffit pas à les empêcher de fumer. Son efficacité « est entravée par le manque de mesures pour faire respecter les lois et la capacité des jeunes à obtenir du tabac de sources non commerciales », estime l’Institut national de santé publique du Québec dans une étude publiée en 2013.

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« Il suffit qu’un seul commerçant ne respecte pas la loi pour qu’il approvisionne en tabac tous les jeunes d’un quartier. » – Dre Geneviève Bois Porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac

En effet, 47 % des élèves du secondaire qui fument des cigarettes les obtiennent gratuitement… auprès de leurs amis. Par ailleurs, les données de Santé Canada sur le taux de conformité des commerçants n’indiquent pas de relation claire entre l’obligation de carter ceux qui achètent du tabac et la vente de ces produits à des mineurs. Ainsi, le Manitoba et la NouvelleÉcosse exigent tous deux une preuve d’identité des acheteurs de tabac, mais en 2009, ces deux provinces avaient les taux de conformité parmi les plus faibles au pays (respectivement 78 % et 80 %). Le taux de conformité du Québec était non seulement plus élevé (85 %), mais il dépassait la moyenne canadienne (84 %). Bref, d’autres facteurs entrent en jeu. Il y a d’autres solutions pour limiter les ventes de tabac aux mineurs : davantage d’inspections-surprises dans les commerces et des pénalités véritablement dissuasives. Et encore, ces solutions ne sont pas infaillibles. « Il suffit qu’un seul commerçant ne respecte pas la loi pour qu’il approvisionne en tabac tous les jeunes d’un quartier », note la Dre Geneviève Bois, porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. Le livre vert de l’AQDA, au contraire, laisse entendre que l’obligation de demander une preuve d’âge aux acheteurs de tabac remplacerait les inspections du MSSS.

Plutôt que d’exiger une carte d’identité à tous les acheteurs de tabac, il vaut sûrement mieux éduquer les adultes à ne pas fournir de produits du tabac aux jeunes et s’en tenir à des mesures qui ont fait leurs preuves pour rendre le tabac moins attirant, comme l’emballage neutre ou l’interdiction des saveurs et une hausse du prix.

Anick Perreault-Labelle