Des propriétaires de bars attaquent la Loi sur le tabac du Québec

La nouvelle Loi sur le tabac québécoise n’est pas encore en vigueur que déjà, elle est contestée. Toutefois, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce ne sont pas les cigarettiers qui s’y opposent, mais plutôt une poignée de gens d’affaires et de propriétaires de bars, avec à leur tête l’avocat Julius Grey. Le 13 septembre, ces derniers ont déposé une requête pour faire invalider plusieurs dispositions de la loi devant la Cour supérieure.

Ardent défenseur des libertés individuelles et spécialiste des questions constitutionnelles, Me Grey a longtemps enseigné le droit à l’Université McGill et à l’Université de Montréal. Au cours des dernières années, il s’est entre autres illustré en défendant le port du kirpan – un symbole religieux sikh – en milieu scolaire.

Les principaux signataires de la requête sont Peter Sergakis, propriétaire des Placements Sergakis et du Complexe Sky, et Voula Demopoulos, une femme d’affaires de Laval qui possède Les Billards Skratch. Tous deux considèrent que plusieurs articles (2, 2.2, 3, 6, 8, 11, 22, 23 et certaines de leurs sous-sections) de la Loi sur le tabac, telle qu’amendée par le projet de loi 112 en juin, sont trop restrictifs et devraient être jugés inopérants.

Parmi les dispositions législatives contestées, on retrouve évidemment celle qui interdira de fumer dans les bars et restaurants du Québec à compter du 31 mai 2006. La section qui permet aux employés et aux propriétaires de bars et de restaurants d’utiliser un fumoir fermé et ventilé jusqu’en 2008 est à leurs yeux « injuste », puisque les clients n’y ont pas accès.

Me Grey compte bâtir son argumentaire sur les droits individuels que la plupart des articles en litige sont accusés de brimer. Jugeant la nouvelle législation « excessive », ses opposants prétendent qu’elle entraînera la fermeture de plusieurs entreprises légales où les fumeurs ont l’habitude de se rassembler pour boire un verre et griller quelques cigarettes. « Fumer constitue une activité légale mais la Loi sur le tabac empêche les fumeurs de s’y adonner ensemble, excepté à l’intérieur de leurs domiciles », se plaignent-ils.

Jusqu’en Cour suprême

Prêts à se battre jusqu’en Cour suprême s’il le faut, les propriétaires de bars font totalement fi des risques associés à la consommation de tabac, « cela n’étant pas l’objet de cette requête ». Ils veulent aussi que la loi ne soit pas appliquée tant et aussi longtemps que la cause sera devant les tribunaux.

La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac trouve déplorable qu’on s’attaque à une mesure de santé publique aussi importante que la Loi sur le tabac, au nom d’enjeux économiques discutables. Son coordonnateur, Louis Gauvin, espère que le gouvernement ne se laissera pas intimider par cette manoeuvre.

En conférence de presse, à la mi-septembre, Julius Grey a indiqué que la bataille s’annonce longue et coûteuse, mais que les plaignants ne veulent s’associer à aucune compagnie de cigarettes. Dans leur tentative pour faire invalider la Loi sur le tabac, les requérants sont supportés par Daniel Romano, le président de l’organisme C.A.G.E. (Citoyens anti-gouvernement envahissant). Monsieur Romano entretient pour sa part des liens étroits avec le groupe de défense des fumeurs monchoix.ca, qui lui est financé par le Conseil canadien des fabricants de produits du tabac.

La Loi sur le tabac

Adopté à l’unanimité le 16 juin dernier, le projet de loi 112 renforce la Loi sur le tabac de 1998. Dès le 31 mai 2006, il interdira l’usage du tabac à l’intérieur des restaurants, salles de bingo, bars, brasseries et tavernes.
Les fumoirs ventilés ne seront plus accessibles aux clients des établissements dans lesquels ils sont aménagés. De plus, la nouvelle législation empêche la consommation de cigarettes lors de réceptions privées, à moins qu’elles aient lieu dans une demeure.

Victoire manitobaine

Au Manitoba, la Loi sur la protection de la santé des non-fumeurs a été jugée constitutionnelle par la Cour provinciale, le 29 septembre. La législation était contestée par un propriétaire de bar, Robert Jenkinson, qui la considérait discriminatoire, parce qu’elle ne s’applique pas aux territoires autochtones. M. Jenkinson faisait face à 13 chefs d’accusation pour avoir permis la cigarette dans son établissement. Depuis le 1er octobre 2004, il est interdit de fumer à l’intérieur des lieux publics manitobains.

Josée Hamelin