Des brigades policières additionnelles participeront à la lutte contre le marché noir

Budget du Québec 2011-2012
Le registre des produits du tabac d’Yves Bolduc semble mort-né
Le gouvernement du Québec accordera 3 millions $ additionnels aux corps de police pour lutter contre les réseaux de contrebande de quartier, de façon à ce que sept nouvelles équipes policières s’ajoutent à celles qui sont en place à Laval et sur l’île de Montréal. Cette mesure apparaît dans le plan budgétaire 2011-2012 présenté par le ministre des Finances Raymond Bachand à l’Assemblée nationale le 17 mars.

Le gouvernement libéral a aussi annoncé son intention de modifier de nouveau la Loi concernant l’impôt sur le tabac pour faciliter les poursuites lors d’infractions. Grâce à des amendements à la Loi votés à l’unanimité en 2009, les municipalités ont actuellement le droit d’intenter des poursuites pénales devant une cour municipale et de conserver les amendes et les frais perçus. Toutefois, jusqu’à présent, ce pouvoir n’a pas été dévolu aux administrations municipales dans les cas où un contrevenant à la taxation du tabac est l’exploitant d’un point de vente ayant pignon sur rue, lequel ne peut être poursuivi que par le ministère du Revenu. Le gouvernement Charest voudrait maintenant donner aux municipalités plus de dents et plus à mordre, et motiver les autorités locales à faire mieux respecter la fiscalité du tabac sur leur territoire.

M. Raymond Bachand, ministre des Finances

Durant son exercice financier 2010-2011, le gouvernement du Québec a perçu un total de plus de 12,85 milliards $ de taxes à la consommation.  Avec 848 millions $ de revenu provenant de la taxe spécifique sur les produits du tabac, l’exercice de 2010-2011 est le deuxième d’affilée à se solder par une augmentation des entrées de fonds à ce titre, après cinq années consécutives de baisse. Le ministère des Finances estime que les pertes fiscales dues à la contrebande du tabac se sont tout de même élevées à encore 225 millions $ pour la seule année 2010. Le gouvernement croit qu’environ 20 % des cigarettes et autres produits du tabac consommés au Québec échappent encore à la taxation, ce qui « compromet les efforts de lutte contre le tabagisme ». Le plan budgétaire souligne aussi que « le commerce illicite du tabac entraîne une concurrence déloyale envers les commerçants légaux et finance des organisations criminelles ».

Taxation dissuasiveLe Québec de plus en plus distinct

Pour la première fois depuis décembre 2003, le Québec a augmenté le taux de sa taxe sur les produits du tabac le 1er janvier dernier. Le Nouveau-Brunswick a fait de même le 23 mars.  Une cartouche de 200 cigarettes coûte désormais 0,60 $ de plus au fumeur québécois et 10,50 $ de plus dans la province atlantique voisine.

Le Québec puis l’Ontario ont les plus basses taxes, suivis par le Nouveau-Brunswick, malgré la récente hausse dans cette province, la première depuis 2002.

Au Québec, l’augmentation de 0,60 $ par 200 cigarettes équivaut au relèvement du taux de 7,5 % à 8,5 % de la taxe de vente (TVQ) opéré le même jour. La TVQ ne s’applique pas aux produits du tabac.

De son côté, le fisc fédéral ajoute le montant de la taxe d’accise touchant le tabac au prix majoré de la taxe sur les produits et services (TPS). Ottawa a augmenté la taxe d’accise à deux reprises depuis 2002, mais tout juste assez pour que le prix des produits du tabac ne baisse pas au moment où le taux de la TPS était abaissé, soit en juillet 2006 puis en janvier 2008.

Les hausses des prix des produits du tabac survenues au Québec entre décembre 2003 et janvier 2011 sont donc exclusivement dues aux décisions des cigarettiers et de leur réseau de vente, ce qui n’a pas empêché certains dépanneurs de dénoncer les « taxes excessives » et de les rendre responsables de la contrebande des trois dernières années, alors même que la contrebande a semblé à son plus haut niveau dans les provinces et territoires où les taxes étaient et restent les moins élevées.

S’il ne profite pas d’un programme de rabais par l’industrie, l’acheteur qui se procure au Québec une cartouche de 200 cigarettes la paie en moyenne 70,81 $ toutes taxes comprises, dont environ 41,20 $ en taxes provinciale (impôt sur le tabac) et fédérales (TPS et taxe d’accise). C’est donc environ 58 % du prix de vente des cigarettes qui sert à financer les dépenses publiques, dont les dépenses pour les soins de santé. Dans les neuf autres provinces et les trois territoires du Canada, la proportion du prix des cigarettes qui va au trésor public (tous paliers de gouvernement confondus) est plus élevée, allant de 62 % en Ontario à 71 % dans les Territoires du Nord-Ouest.

Ces calculs sont basés sur les compilations de Trevor Haché de l’Association pour les droits des non-fumeurs à partir de données sur les prix moyens de Statistique Canada, et de Rob Cunningham de la Société canadienne du cancer à partir de données fournies par les ministères des Finances du pays.

Attentes déçues

En août 2009, le directeur général adjoint de l’Association des directeurs de police du Québec, Richard McGinnis, dans une longue lettre au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), fournissait une estimation des dépenses nécessaires à l’implantation et l’application d’un programme de lutte contre les réseaux locaux de contrebande étendu à une vingtaine de villes du Québec et bâti sur le modèle du programme VITAL (pour Ventes Illégales de Tabac À Laval), déjà soutenu par le MSSS. À ce moment, VITAL était un projet en marche à Laval depuis mai 2008. Le programme a été ensuite en opération dans la ville de St-Jérôme durant plus d’un an en 2009-2010, ainsi qu’implanté en novembre 2009 sur l’île de Montréal, où il est encore en place. En août 2009, M. McGinnis calculait que le gouvernement devrait prévoir un budget annuel récurrent de 10,8 millions $, une fois un programme comme VITAL implanté partout, plus des frais non récurrents, principalement associés à la formation des policiers.

L’ajout de 3 millions $ en 2011-2012 pour financer sept nouvelles brigades de lutte contre la revente locale du tabac est un développement positif mais très modeste, aux yeux de Flory Doucas de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac et de François Damphousse de l’Association pour les droits des non-fumeurs.

Par ailleurs, le gouvernement Charest ne donne pas l’impression d’être pressé de créer un registre des produits du tabac, comme l’espérait encore le 13 janvier dernier le sous-ministre adjoint à la santé publique du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), le Dr Alain Poirier. L’idée d’un registre, financé par l’industrie, et qui viserait à faciliter le travail des enquêteurs de police et la confiscation des objets de contrebande, figurait dans l’ébauche d’un projet de loi préparée par le MSSS et dont le quotidien Le Soleil a révélé l’existence et les grandes lignes le 8 novembre dernier. C’est dans le cadre de la refonte quinquennale de la Loi sur le tabac que le ministère du Dr Yves Bolduc envisageait alors de se mêler plus qu’il le fait actuellement de la lutte contre le marché noir. Cette esquisse de la nouvelle Loi sur le tabac prévoyait des amendes aux personnes trouvées en possession de produits du tabac n’apparaissant pas dans le registre, et même l’interdiction pour ces contrevenants de conduire un véhicule automobile pendant un an. Tant les marchands de tabac que les partisans d’une taxation dissuasive avaient vu ces dispositions pénales d’un bon oeil.

Le principe d’un registre des produits du tabac financé par l’industrie avait reçu en décembre l’appui du Réseau du sport étudiant du Québec, de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, du Conseil québécois sur le tabac et la santé, de la division québécoise de la Société canadienne du cancer, et de l’Association pour les droits des non-fumeurs.

Le double discours d’une multinationale

Dans un rapport préliminaire de ses résultats financiers de l’année 2010, paru le 24 février, British American Tobacco (BAT) de Londres déclare à ses actionnaires que : « Le profit au Canada est plus élevé, avec les effets de la réduction de la contrebande, de hausses de prix et d’un taux de change favorable qui font plus que compenser un mouvement continu vers les marques plus économiques. » Le numéro 2 mondial du tabac précise que le volume de ses ventes canadiennes a crû en suivant une « réduction significative du commerce illicite attribuable aux activités d’application des lois par les autorités ».

Ce même 24 février, dans une conférence téléphonique avec des analystes financiers de banques, le nouveau chef de la direction de BAT, Nicandro Durante, a déclaré que la part du marché des cigarettes prise par la contrebande, qui « atteignait les 33-34 % » du volume « il y a 18 mois », est maintenant « aux alentours de 18 % ». M. Durante a ajouté que « le gouvernement du Canada travaille très fort contre le commerce illicite, et a obtenu de très bons résultats, le diminuant de moitié au Canada ».

Imperial Tobacco Canada (ITC), la filiale de British American Tobacco, fait entendre un tout autre son de cloche dans ses communiqués à la presse canadienne.

Quand la ministre fédérale de la Santé Leona Aglukkaq a dévoilé le 30 décembre dernier quatre des 16 nouvelles mises en garde sanitaires plus grandes que les fabricants devront apposer sur les emballages de cigarettes à un moment donné en 2011 ou 2012, le vice-président aux affaires corporatives d’ITC, John Clayton, a commenté : « Voilà une autre loi qui sera ignorée et un autre exemple qui prouve que le gouvernement du Canada ferme les yeux sur cette activité illégale [la contrebande de cigarettes] ».

Quand le gouvernement du Nouveau-Brunswick, après deux années de sensibles augmentations du volume des ventes dans la province, a relevé sa taxe sur les cigarettes le 23 mars, ITC a émis un communiqué de presse titré : « Les taxes élevées sur le tabac au Nouveau-Brunswick sont une invitation au crime organisé. »

Moins de saisies en 2010 après le sommet de 2009
La contrebande occupe 20 % du marché du tabac au Québec, selon le gouvernement.

D’importantes saisies de cigarettes réalisées par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et la Sûreté du Québec en janvier dernier dans le secteur du Haut Saint-Laurent québécois montrent que les corps de police ne relâchent pas leur vigilance et que les contrebandiers tentent encore de rejoindre les fumeurs.

Il est tout de même vraisemblable que plusieurs des fumeurs qui s’approvisionnaient régulièrement sur le marché noir soient revenus, en 2009 ou l’année dernière, sur le marché des produits taxés. Voilà qui pourrait expliquer que la GRC, par exemple, n’ait saisi qu’environ 782 000 cartouches et sacs refermables de 200 cigarettes au Canada en 2010, alors que ce nombre, en diminution de 1994 à 2001, n’avait pas cessé de croître de 2001 à 2009, atteignant 966 000 en 2008 puis 976 000 en 2009.

Rappelons qu’en 2009, le volume des ventes de cigarettes taxées a augmenté au Québec et au Canada, pour la première fois depuis 1996.

Le 10 février, la multinationale Philip Morris International, propriétaire de Rothmans Benson and Hedges, a rapporté à ses actionnaires une nouvelle expansion au 4e trimestre de 2010 de son volume des ventes au Canada, et elle parle derechef d’un résultat « reflétant principalement l’application plus rigoureuse de mesures pour réduire les ventes en contrebande depuis le milieu de 2009 ».

Pierre Croteau