Plusieurs fumeurs sont revenus au marché des cigarettes taxées

Recul de la contrebande au Québec et au Canada

Dans une mise à jour du cadre financier du gouvernement du Québec parue avec le budget de 2010-2011, le ministre des Finances, Raymond Bachand, a affirmé que « les revenus provenant de la taxe spécifique sur les produits du tabac sont revus à la hausse de 65 millions de dollars en raison de l’augmentation du nombre de cigarettes vendues légalement. Un meilleur contrôle à la frontière et la mise en place d’une nouvelle équipe de la Sûreté du Québec dans la région de Valleyfield ont entravé l’approvisionnement en tabac des contrebandiers. L’offre réduite des produits illicites a eu pour effet d’augmenter les ventes légales des produits du tabac. »

L’exercice budgétaire 2009-2010 devrait donc s’être soldé par 748 millions $ provenant de l’impôt sur le tabac, soit 14,4 % de plus que ce que le ministère du Revenu a effectivement encaissé en 2008-2009. Le montant de taxe par cigarette ou par gramme de tabac haché est resté inchangé durant les deux exercices financiers, comme il l’est depuis une loi budgétaire votée en décembre 2003.

Parole de cigarettiers

En 2009, c’est au Canada dans son ensemble que le marché noir a décliné, selon de grands cigarettiers. Philip Morris International (PMI), dans son rapport annuel pour 2009, signale qu’« Au Canada, le marché total des cigarettes dont les taxes ont été payées a augmenté de 3,4 %, reflétant principalement l’application plus rigoureuse de mesures pour réduire les ventes en contrebande. » Propriétaire de Rothmans Benson & Hedges et d’une usine de cigarettes à Québec, PMI est le deuxième plus gros fournisseur légal du marché canadien.

British American Tobacco, premier fournisseur des fumeurs canadiens à travers sa filiale Imperial Tobacco Canada, déclare dans son rapport aux actionnaires que le profit de ses activités au pays s’est accru durant l’année 2009, « bénéficiant d’une certaine réduction dans le commerce illicite » du tabac et de l’appréciation du dollar canadien (une fois changé en livres sterling).

Dans son dernier rapport trimestriel, sorti le 22 avril, PMI célèbre une nouvelle augmentation (+10,4 %) des ventes légales de cigarettes au cours des trois premiers mois de 2010 et l’attribue de nouveau au succès des mesures prises pour réduire les ventes au noir.

Données périmées des dépanneurs

La firme GfK Research a jadis tenté de mesurer l’ampleur du marché noir au pays, pour le compte du Conseil canadien des fabricants des produits du tabac (CMTC). Des résultats pour 2006, 2007 et 2008 ont été publiés, et amplement diffusés par l’Association canadienne des dépanneurs en alimentation (ACDA).

Or, depuis septembre 2008, ni le CMTC, ni l’ACDA, ni personne n’a publié de mise à jour de ces estimations.

Le 10 mai 2010, lors d’une conférence de presse à Québec, puis de nouveau à Montréal le 13 mai, c’est l’étude GfK rendue publique en septembre 2008 qui a encore servi de référence au vice-président principal de l’ACDA, Michel Gadbois, pour prétendre que la contrebande fournirait aux fumeurs québécois 40 % de leurs cigarettes, et près de 50 % des leurs aux fumeurs ontariens. Ces chiffres ont été encore repris par des médias, dont la chaîne LCN.

Concurrence légale accru

Lors de ses répétitives tournées des régions du Québec, Michel Gadbois tente, avec un certain succès, d’attendrir la presse avec les fermetures de dépanneurs prétendument dues à la contrebande. Or, le nombre de points de vente légaux de produits du tabac n’a pas diminué, mais augmenté depuis 2008, comme l’a fait remarquer la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac.

Au moment de l’entrée en vigueur de l’interdiction des étalages de produits du tabac dans les commerces, en mai 2008, il y avait environ 7200 points de vente au Québec. Deux ans plus tard, il y en a environ 7500 dans le registre des entreprises tenu par le ministère du Revenu, selon ce que nous a déclaré en mai le Service de lutte contre le tabagisme.

Taxation : discours ambivalent

Depuis plusieurs années, le numéro 2 de l’ACDA, Michel Gadbois, un ancien relationniste de l’industrie cigarettière, fait valoir auprès de petits commerçants du Québec sa contribution active à la baisse de taxe de 1994, et dénonce régulièrement les « taxes excessives » sur le tabac, dans ses communiqués.

Dans une annonce parue en juin dans The Hill Times, un journal d’Ottawa destiné à la colline parlementaire, une coalition financée par l’industrie légale du tabac réclame la fermeture des manufactures illégales. La nouvelle tournée de Michel Gadbois vise à réduire la contrebande à 10 % du marché au Québec et en Ontario. PHOTO ACDA

En revanche, le 27 avril à Ottawa, devant le comité sur la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes, le président de l’ACDA, l’Ontarien Dave Bryans, a affirmé que pour faire reculer le marché noir, l’ACDA ne réclamait pas, pour le moment, de réduction des taxes, ce qui a surpris François Damphousse, de l’Association pour les droits des non-fumeurs.

Dans la nouvelle liste de demandes que l’ACDA présente aux députés depuis le 10 mai, il n’est pas fait mention d’une baisse de taxes, comme l’ont fait observer Heidi Rathjen, de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT), et Rob Cunningham, de la Société canadienne du cancer. Aux directions d’écoles, administrations municipales et corps de police locaux, auprès de qui l’association de Michel Gadbois s’efforce de faire campagne, la CQCT a rappelé les propositions concrètes des groupes de santé pour lutter contre le marché noir du tabac au Canada, et a dénoncé l’hypocrisie de l’ACDA.

Taxe dissuasive et comparaisons

Avec moins de produits de contrebande offerts en 2010, les taxes auront sur les fumeurs un effet dissuasif restauré, et les gouvernements, notamment celui du Québec, pourront recommencer à envisager un alourdissement de l’incitation fiscale à décrocher du tabac, une incitation fiscale dont l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande fermement l’emploi par les États.

À partir du 1er janvier 2011, le taux de l’impôt sur le tabac au Québec sera relevé de 60 cents par cartouche de 200 cigarettes, en vertu d’une disposition du budget Jérôme-Forget du printemps 2009, hausse du taux qui fera monter le prix de 0,8 %. Selon une compilation réalisée en avril dernier par l’Association pour les droits des non-fumeurs, le Québec est, et restera le 1er janvier 2011, le lieu où il en coûte le moins cher de fumer, parmi les 13 provinces et territoires du pays.

Chez nos voisins du sud, avec la hausse majeure de la taxe fédérale sur les cigarettes votée par le Congrès au début de 2009, les fumeurs de l’État de New York doivent maintenant payer pratiquement autant de taxe sur le tabac que les fumeurs québécois. Le total des taxes s’appliquant aux produits du tabac est cependant sensiblement plus élevé au Québec qu’au Maine, au New Hamp­shire et au Vermont, malgré une hausse en 2009 dans ces deux derniers États. La compilation de mai de la Campaign for Tobacco-Free Kids, basée à Washington, permet aussi de noter qu’une cinquantaine de comtés et plus de 400 municipalités des États-Unis perçoivent aussi une taxe sur les cigarettes, ce qui fait qu’elles sont plus taxées dans les villes de New York et de Chicago qu’à Montréal, et même qu’à Toronto.

Les données de l’OMS montrent qu’une cinquantaine de pays appliquent une proportion de taxation sur le tabac qui est supérieure à la moyenne canadienne.

Selon l’OMS, plusieurs pays, dont l’Australie, la Finlande, l’Indonésie, le Pérou, la Pologne et le Portugal, au lieu de verser dans un fonds consolidé la totalité des taxes sur le tabac, affectent à l’avance une partie de l’argent recueilli à l’atteinte d’objectifs de santé publique en matière de tabagisme.  L’État de la Californie a aussi adopté cette politique.

Pierre Croteau