Dernier sprint d’affichage sous prétexte de commandite

C’est le 1er octobre prochain qu’entrent en vigueur les dispositions provinciale et fédérale des lois sur le tabac ayant pour effet d’interdire la promotion des marques de cigarettes, sous prétexte de commandite, dans les points de vente et sur l’affichage extérieur, de même que sur les ondes.

On se doit de préciser « sous prétexte de commandite » car il est extrêmement rare que la promotion actuelle très vigoureuse des marques canadiennes, telles que Player’s, du Maurier ou Export‘A’, serve réellement à attirer des participants ou des spectateurs à un événement quelconque. Cette publicité n’est d’ailleurs quasiment jamais achetée par des organisateurs d’événements.

Les Canadiens d’un océan à l’autre sont présentement témoins de la promotion des Sports Extrêmes Export‘A’, sans qu’aucun événement particulier ne soit annoncé. Cette publicité se retrouve aussi à la télévision, dans deux messages montrant des originaux imitant des sports extrêmes, l’un en skiant sur son lit et l’autre au volant d’une tondeuse à gazon.

Alpinistes Player’s

Chez Imperial Tobacco, on ne veut pas perdre la course à la publicité de style de vie sans rapport tangible avec des commandites. Sa plus récente campagne d’affichage montre des alpinistes, avec le slogan « Un monde à ta mesure », signée : L’équipe Player’s. On découvre, en lisant les petits caractères, que ces alpinistes seraient des membres de l’équipe de course Player’s; la course dont il s’agit n’est pas précisée. Pour ajouter au sans-gêne, le lettrage de l’équipe Player’s est maintenant identique à celui des paquets; le marin et le slogan de la cigarette, « Player’s Navy Cut », complètent l’annonce.

Ces nouveaux alpinistes Player’s se retrouvent aussi notamment dans la plupart des journaux universitaires, ce qui touche les jeunes tout en tissant des liens entre les fabricants de cigarettes et l’élite de demain. Ces mêmes journaux étudiants, ainsi que les hebdomadaires culturels, qualifiés d’alternatifs, avaient été envahis auparavant par la promotion d’un tirage pour un concert tenu à Whistler en Colombie-Britannique le 25 mars, cette fois associé à la marque du Maurier.

Tirage du Maurier

En mars, les fumeurs québécois étaient la cible de deux tirages. Ceux qui voulaient écraser étaient conviés au « Défi J’arrête. J’y gagne! », lequel était doté d’une valeur de 40 000 $ en prix, dont deux voyages en Jamaïque. Quant aux Québécois préférant maintenir leur tabagisme, ils pouvaient prendre part à un tirage organisé par Imperial Tobacco, avec en prix deux voyages pour deux personnes pour le concert de Whistler, une valeur de 10 000 $ chacun. Malgré la débrouillardise des organisateurs du défi de cessation, force est d’admettre que le géant du tabac a pu s’offrir une publicité encore plus visible, dont des pages entières en couleur dans une foule de publications.

Plusieurs grands médias ont trouvé étrange que le tirage du Maurier soit réservé aux fumeurs et ils ont recueilli des réactions indignées d’organismes de santé. Cependant, presque personne n’a remarqué que, pour le Québec, ce tirage et sa promotion étaient en quelque sorte une nouvelle commandite, ce qui devrait être interdit par la loi québécoise, d’autant plus que le concert avait lieu à l’autre bout du pays.

Subventions record de 2 millions $

Par ailleurs, le 23 mars, le Conseil des arts du Maurier a annoncé l’octroi de subventions totalisant un record de deux millions $ à 258 organismes canadiens pour la saison 2000-01, soit une moyenne de 7750 $ pour chacun. Le communiqué n’énumère cependant pas la liste des engagements de reconnaissance publique envers la marque de cigarettes que doit respecter chacun de ces organismes (voir « Organismes asservis par du Maurier », Info-tabac, octobre 1997, pages 5 et 6), ni ne révèle le budget de publicité qu’Imperial Tobacco investira pour se vanter de cette aide.

En plus de signaler que les cigarettes du Maurier tuent environ 13 000 Canadiens par année, au prorata de leur part de marché actuelle, il est opportun de mettre en perspective les deux millions $ offerts par le Conseil des Arts du Maurier, en comparaison aux 5,6 milliards $ consacrés à la culture par les trois paliers de gouvernements au Canada (en 1997-98, selon Statistique Canada). L’aide publique est 2800 fois supérieure, et cela sans avoir à encenser infiniment les bailleurs de fonds.

Courses Player’s

Quant au Grand Prix Player’s de Trois-Rivières, il devra se trouver un nouveau bailleur de fonds pour l’été 2001, Imperial Tobacco ayant avisé les organisateurs qu’elle retirait ses billes face à l’entrée en vigueur des restrictions du 1er octobre 2000. « Il faut donc mettre le paquet pour intéresser de nouveaux amateurs et de nouveaux commanditaires », a déclaré Laurent Méthot, président du Grand Prix.

Le fabricant des cigarettes Player’s aurait décidé de ne retenir que la série de course automobile CART pour la promotion de cette marque; cette commandite serait déjà conclue jusqu’en 2003. Mettant en vedette les pilotes québécois Patrick Carpentier et Alexandre Tagliani, l’équipe Player’s-Forsythe est basée en Indiana. En 2000, la série CART comporte vingt courses dont la plupart sont disputées aux États-Unis; aucune n’a lieu au Québec. Les deux pilotes québécois ont d’ailleurs déménagé à Las Vegas.

La commandite de l’équipe Player’s, tout comme les courses de Formule 1, entraînent une forte couverture de presse écrite et télévisée, par laquelle les marques de cigarettes et leurs couleurs sont amplement diffusées.

L’organisme Médecins pour un Canada sans fumée, situé à Ottawa, a calculé la proportion de la diffusion de certains événements sportifs pendant laquelle on peut voir la marque de cigarettes du commanditaire; pour le tennis, cela monte à environ 40 % du temps de jeu; pour la course automobile, cela tourne autour de 25 %. Ces statistiques, de même que de nombreuses autres références pertinentes portant sur le marketing du tabac au Canada peuvent être consultées sur le site Internet de cet organisme, à www.smoke-free.ca.

Freinage en Formule 1

Malgré l’ambition publicitaire d’Im-perial Tobacco et de sa maison-mère, British American Tobacco, on peut noter un léger recul des cigarettiers en Formule 1. Dans La Presse du 24 mars, Pierre Trudel écrit : « Jadis responsables de 70 % des commandites, ils sont forcément et progressivement écartés du paysage. (…) Cinq des 11 écuries n’arborent aucune marque. C’est une de plus que l’an dernier. Mais leur départ ne provoquera pas l’annulation de plusieurs Grands Prix, comme le soutenaient les bonzes de la F1, d’autant qu’ils sont rapidement remplacés par des compagnies souvent reliées au monde des communications. »

Après le 1er octobre

Jusqu’à maintenant, les lois canadienne et québécoise sur le tabac n’ont pas encore réussi à diminuer réellement la publicité des marques de cigarettes. Au contraire diront certains, elles auront permis aux cigarettiers de raffiner leur promotion, au moyen de séduisantes commandites et d’une mise en marché encore plus apparente dans les points de vente.

Au 1er octobre, un changement important devrait survenir par la disparition de l’affichage de la publicité de commandite dans les points de vente et à l’extérieur. Mais la publicité du tabac sera-t-elle enfin vraiment réduite?

Pas nécessairement, à en juger par les propos de Michel Descôteaux, directeur des relations publiques d’Imperial Tobacco. La compagnie attend la réglementation de Santé Canada, avant de recentrer ses activités de stratégie commerciale. Il n’est pas prévu de réduire le personnel de marketing, ni même son budget, a-t-il dit en conférence de presse. La compagnie entend garder le contact avec le consommateur, et les moyens utilisés ne seront peut-être pas moins dispendieux qu’actuellement, prévoit M. Descôteaux.

Il faudra donc des règlements sérieux pour appuyer les lois et une volonté politique cohérente pour réduire les ardeurs des fabricants canadiens de cigarettes.

Programme québécois

Alors que l’approche du 1er octobre suscite encore des inquiétudes au Canada anglais concernant l’avenir des événements commandités par l’industrie du tabac, la situation semble beaucoup plus calme au Québec. Le programme d’abandon de la commandite du tabac, financé par le gouvernement du Québec, n’a, jusqu’à maintenant, soulevé guère d’intérêt ou d’appréhension de la part des organisateurs d’événements. Les modalités d’adhésion à ce programme n’ayant pas encore été dévoilées, aucun événement ne peut donc en avoir bénéficié.

Sans attendre la manne provinciale, la plupart des grandes manifestations ont déjà trouvé de nouveaux commanditaires principaux, tels le jazz montréalais (du Maurier remplacé par GM), le Festival Juste pour rire (Craven‘A’cédant la place à Loto-Québec), le Grand Prix de Formule 1 (Player’s éclipsé par Air Canada) et le tennis (du Maurier s’inclinant devant AT&T pour l’épreuve féminine et devant un consortium suisse chez les hommes).

Denis Côté