Dépendance à la nicotine : vaut-il mieux viser la modération ou l’arrêt complet de sa consommation?
Décembre 2024 - No 171
Logiquement, pour éviter l’établissement d’une dépendance à la nicotine ou pour s’en défaire, une personne devrait viser la non-consommation ou l’arrêt complet du tabagisme ou du vapotage. Néanmoins, dans la réalité, des nuances s’imposent.
Comme toutes les drogues, la nicotine présente un potentiel toxicomanogène, c’est-à-dire qu’elle peut créer une dépendance. Elle laisse des traces dans le cerveau et modifie son fonctionnement, ce que l’on appelle la plasticité, en plus d’activer le système de récompense. Ainsi, plus une personne consomme de nicotine, plus elle a envie d’en consommer. Et avec le temps, il devient de plus en plus difficile de résister à la tentation.
Les particularités de la dépendance à la nicotine
Le mode de consommation de la nicotine se distingue de celui des autres drogues, comme la cocaïne ou l’héroïne. « C’est la seule substance que les gens consomment à une fréquence aussi élevée chaque jour », explique Anne-Noël Samaha, professeure au département de pharmacologie et physiologie à l’Université de Montréal.
La chercheuse, qui étudie la neurobiologie de l’addiction aux drogues stimulantes incluant la nicotine, précise par ailleurs que la substance est aussi largement accessible à la population, contrairement aux autres drogues, ce qui favorise sa consommation et, parfois, l’installation d’une habitude et d’une addiction.
Une autre particularité de la nicotine vient du fait que sa consommation est souvent contextuelle. « Les personnes fument ou vapotent après le repas, avec le café, pendant la pause au travail, explique la chercheuse. Il y a des moments dans la journée, des contextes, qui sont très associés à la consommation de nicotine. » Et une fois l’habitude installée, il devient difficile de la modifier sans changer d’abord le contexte.
Consommer modérément pour éviter la dépendance : une bonne idée?
« Il y a cette idée chez le grand public qui veut que prendre de la nicotine de façon irrégulière ou intermittente protège de l’addiction », constate Anne-Noël Samaha. La chercheuse a donc entrepris, avec son équipe, d’examiner la justesse de cette hypothèse.
Pour y arriver, l’équipe de recherche a permis à deux groupes de rats de s’administrer de la nicotine. Le premier groupe y avait accès de manière continue pendant plusieurs heures consécutives par jour, alors que le second y avait accès seulement de manière intermittente. L’idée était de représenter le plus fidèlement possible une consommation importante de nicotine (p. ex. une personne qui fume deux paquets de cigarettes par jour) et une consommation occasionnelle.
Au terme de l’étude, le groupe de rats ayant eu un accès en continu à la nicotine avait, sans surprise, consommé une plus grande quantité de la substance par rapport à l’autre groupe. Néanmoins, lorsque la nicotine était cessée, les deux groupes présentaient les mêmes comportements s’apparentant à ceux associés à une addiction à la nicotine chez l’humain, notamment en ce qui concerne la motivation à obtenir la substance et la vulnérabilité à la rechute.
« Nos résultats suggèrent que même une consommation irrégulière et intermittente de nicotine peut entrainer des changements dans le cerveau qui compromettent la capacité d’un individu à diminuer éventuellement sa consommation », conclut Anne-Noël Samaha.
Elle précise que la structure et le fonctionnement du cerveau sont largement conservés chez les mammifères et que, dans ce contexte, les résultats chez le rat pourraient éventuellement être transposés chez l’humain. Une addiction pourrait donc aussi bien s’installer que la personne consomme de la nicotine régulièrement ou sur une base occasionnelle.
Modérer sa consommation pour réduire les méfaits
Pour les personnes qui fument ou qui vapotent, la cessation constitue l’objectif ultime pour réduire, voire éliminer, les méfaits sur la santé associés au tabac et aux produits de vapotage. Or, la démarche de cessation peut constituer un défi de taille pour plusieurs personnes, alors qu’elle ne représente tout simplement pas une option pour d’autres, qui désirent continuer de fumer ou de vapoter ou qui, souvent, se considèrent comme incapables d’arrêter. Dans ce contexte, une modération de la consommation est parfois proposée.
Le principe de réduction des méfaits se base sur le fait qu’en diminuant sa consommation de tabac, de nicotine ou d’autres drogues, la personne serait exposée à moins de substances toxiques, ce qui réduirait les méfaits sur sa santé. L’efficacité de l’approche montre cependant des résultats incertains.
Des études sur le tabagisme ont par exemple démontré que le fait de diminuer le nombre de cigarettes fumées dans une journée réduirait le risque de développer un cancer du poumon chez les personnes qui fument. Une telle réduction n’exercerait cependant pas d’influence sur le risque de crise cardiaque ou de mortalité liée au tabagisme.
Ces résultats mitigés pourraient s’expliquer par le fait que les personnes qui réduisent leur consommation de tabac auraient aussi tendance à modifier leur façon de fumer, ce qui leur permettrait d’obtenir la même dose de nicotine et, donc, d’inhaler la même quantité de substances toxiques. Cette tendance a notamment été observée chez les femmes enceintes. Celles qui fumaient et qui décidaient de réduire leur consommation de tabac tendaient en effet à prendre plus de bouffées ou à inhaler plus profondément la fumée produite par la combustion de la cigarette.
Cela dit, la modération peut aussi entrainer des répercussions positives chez la personne qui fume ou qui vapote lorsqu’elle s’intègre dans une démarche de cessation tabagique soutenue par un·e professionnel·le de la santé.
Soutenir la modération et la cessation tabagique
Au cours des dernières années, les thérapies de remplacement de la nicotine (TRN) ont permis de proposer aux personnes qui fument ou qui vapotent une nouvelle avenue pour modérer leur consommation. Les données suggèrent d’ailleurs qu’en substituant progressivement la cigarette électronique ou de tabac à des TRN, il est possible de réduire les méfaits associés au tabagisme ou au vapotage, tout en augmentant les chances de progresser vers une cessation complète.
En somme, vaut-il mieux modérer sa consommation de nicotine ou viser l’arrêt complet pour se défaire de sa dépendance?
Évidemment, la non-consommation de produits nicotiniques constitue la recommandation à suivre pour les personnes n’ayant jamais fumé ou vapoté. Les démarches s’avèrent toutefois plus nuancées pour ceux et celles aux prises avec une dépendance à la nicotine.
Même si la cessation constitue le but à atteindre, la modération pourrait, chez certaines personnes, favoriser une réduction des méfaits et, qui sait, mener à un arrêt complet de la consommation de nicotine. Tout dépendra de la personne, de sa motivation à diminuer ou à cesser sa consommation, et de ses objectifs personnels. En effet, lorsqu’il est question de dépendance à la nicotine, les démarches de cessation se doivent d’être individualisées.
Katia Vermette, réd. a.