Au revoir, Jean Rochon

Dr Jean Rochon, ministre de la Santé et des Services Sociaux

En octobre dernier, les Québécois ont dit adieu au père de la Loi sur le tabac. Médecin, expert en santé publique et homme politique, le DJean Rochon a marqué le système de santé du Québec par ses connaissances, son savoir-faire et son désir de protéger la santé. Voici un rappel des grands pas qu’il a réalisés dans la lutte antitabac au Québec.

Né en 1938, Jean Rochon a grandi dans un quartier de l’est de Montréal, près du parc Lafontaine. Il a fait ses études classiques, puis, attiré par les sciences sociales et le monde du travail, il a obtenu une licence en droit à l’Université de Montréal. Or, le droit ne correspondait pas à son idéal professionnel. Il poursuivit donc ses études à l’Université Laval, en médecine, cette fois. Après avoir obtenu son titre de médecin, il s’est rendu à la prestigieuse Université Harvard, aux États-Unis, pour réaliser une maîtrise et un doctorat en santé publique.

Évènements marquants Dr Jean Rochon

 

À l’œuvre pour améliorer la santé de la population

Mobiliser les ressources d’une communauté pour améliorer la santé de la population : cette définition de la santé publique a toujours poussé Jean Rochon à s’investir professionnellement pour les Québécoises et les Québécois. Ainsi, dès 1970, il a fondé le Département de médecine sociale à l’Université Laval, département qu’il dirigea pendant neuf ans. Il devint aussi directeur du Département de santé communautaire au Centre hospitalier de l’Université Laval. En parallèle, il enseignait aux étudiants en médecine et poursuivait des recherches en épidémiologie.

Après plusieurs années à évoluer dans les milieux universitaire et hospitalier, le Dr Rochon accepta de présider la Commission d’enquête provinciale sur les services de santé et les services sociaux. Son rapport, déposé en 1987, plaidait notamment pour la régionalisation du système de santé et l’intégration de services communautaires à la population afin de juguler les augmentations des coûts hospitaliers. C’est dans son rôle de commissaire qu’il se fit éventuellement reconnaître par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

« C’était évident sur le plan non seulement de la santé publique, mais de la santé tout court, qu’on ne pouvait pas ne pas contrôler le tabac » !

D’abord à Copenhague, puis à Genève, il occupa à l’OMS les postes de directeur adjoint et de directeur de la Division de la protection et de la promotion de la santé jusqu’en 1993. Pendant son passage à l’organisme mondial, le médecin se révéla très actif dans la lutte antitabac. Il se trouvait alors aux premières loges pour constater les ravages de la cigarette sur la santé à l’échelle planétaire.

Lors d’une entrevue accordée à John Grant dans le cadre de l’émission Mémoires de députés, le Dr Rochon lui confia que son expérience à l’OMS avait confirmé chez lui l’importance de la lutte contre l’industrie du tabac. Il affirma de plus que « c’était évident, sur le plan non seulement de la santé publique, mais de la santé tout court, qu’on ne pouvait pas ne pas contrôler le tabac! ». Il en ferait d’ailleurs son cheval de bataille pour les années à venir.

Un saut en politique couronné de succès

De retour au Québec après ses postes à l’OMS, le Dr Rochon s’engagea en politique. Il fut élu député en 1994, sous la bannière du Parti Québécois. Vu son expérience en matière de santé publique et de lutte contre le tabac, on le nomma rapidement ministre de la Santé et des Services sociaux. Le nouvel élu se lança dès lors dans une croisade pour améliorer la santé de la population.

De 1994 à 1998, en tant que ministre de la Santé et des Services sociaux, il a réalisé plusieurs tours de force : le virage ambulatoire, la création d’Héma-Québec, la naissance de l’Institut national de santé publique du Québec et, évidemment, l’adoption de la toute première Loi sur le tabac, laquelle fut révisée en 2005 et en 2015.

Vers une première loi sur le tabac au Québec

À la fin des années 1990, Heidi Rathjen faisait partie de ceux et celles qui militaient pour l’adoption d’une loi antitabac au Québec. Elle avait cofondé, en 1996, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQTC), au moment où Jean Rochon venait de recevoir le rapport de la Consultation sur une législation québécoise contre le tabagisme qu’il avait lancée en 1995. Il faut dire qu’à l’époque, les non-fumeurs n’avaient aucun droit, on respirait à pleins poumons la fumée de cigarette dans les lieux publics et dans les entreprises, et les cigarettières comptaient quantité « d’amis », grâce notamment à leurs généreuses commandites et campagnes philanthropiques. La tâche s’avérait colossale!

L’une des solutions pour protéger la population des ravages de la cigarette passait par l’adoption d’une Loi sur le tabac. Mais la partie était loin d’être gagnée. Pour faire adopter une loi à l’Assemblée nationale, deux étapes doivent être franchies. D’abord, on doit convaincre le ministre en poste du bien-fondé de ladite loi ou des mesures qui en feraient partie. Ensuite, une fois que l’adoption éventuelle de ces mesures est inscrite à l’agenda gouvernemental, il faut faire approuver celles-ci par le Conseil des ministres et concrétiser leur mise en œuvre après leur adoption.

« En temps normal, la première étape de l’adoption d’une loi est de loin la plus difficile et la plus longue », explique Heidi Rathjen. « On parle souvent de plusieurs années de plaidoyer et de mobilisation pour convaincre le ministre. Mais Jean Rochon était déjà convaincu de la science portant sur les méfaits de la cigarette et il connaissait très bien les mesures efficaces éprouvées ailleurs dans le monde pour protéger la population du tabac. » Nul besoin, donc, de le persuader de la nécessité d’encadrer l’usage du tabac au Québec. Toutefois, il lui faudrait beaucoup d’effort pour convaincre d’autres élus.

Un projet de loi ambitieux

Le projet de loi 444 visant à adopter la première Loi sur le tabac au Québec fut donc rapidement rédigé par le Jean Rochon et son équipe. Le document prévoyait, entre autres, l’interdiction de fumer dans les grandes entreprises et les établissements publics, la création de sections non-fumeurs dans les restaurants, et l’abolition des commandites d’événements par les cigarettières. Devant le caractère ambitieux du projet de loi, le Conseil des ministres n’avait pas l’intention de laisser le champ libre au ministre de la Santé et des Services sociaux. Le projet fut donc repoussé à plusieurs reprises. Néanmoins, Jean Rochon revenait constamment à la charge, convaincu de la nécessité de protéger la population des méfaits du tabac.

Après plusieurs mois de revers, le projet de loi 444 fut finalement déposé au Conseil des ministres en mai 1998. Jean Rochon venait de réussir un tour de force. En juin de la même année, au moment où le tabac constituait la première cause de décès évitable au Québec et où les cigarettières avaient carte blanche pour vendre leurs produits, la toute première Loi sur le tabac fut adoptée à l’unanimité.

« La politique n’a pas affecté sa personnalité ou sa façon de se présenter aux autres. C’était un homme généreux, accessible et sincère qui ne voulait qu’une chose : la santé de la population. »

Un homme de principes

Après l’adoption de la Loi sur le tabac, Jean Rochon fut réaffecté au poste de ministre de la Science et de la Technologie. Il deviendrait plus tard ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, toujours sous un gouvernement péquiste. Il quitta la vie politique en 2003, mais demeura très actif en santé publique, notamment à l’INSPQ et dans le milieu universitaire, jusqu’à son décès, le 16 octobre 2021.

Dans le milieu de la lutte antitabac, on se souviendra du « Dr Rochon » comme d’un homme de principes. « C’est l’un des rares politiciens que j’ai eu l’occasion de côtoyer qui n’acceptait pas de jouer le jeu de la politique aux dépens de la santé publique », explique Heidi Rathjen. D’une grande gentillesse, il n’était pas un politicien en quête de pouvoirs. « La politique n’a pas changé sa personnalité ou sa façon de se présenter aux autres. C’était un homme généreux, accessible et sincère qui ne voulait qu’une chose : la santé de la population. »

Katia Vermette