Au Québec, la publicité des cigarettes et des cigarillos devra être discrète et terne

En noir et blanc; toutes regroupées  dans les mêmes pages de chaque publication; exclues de la première et de la dernière page; limitées en superficie sur chaque page de la publication de même que sur les panneaux d’affichage aux points de vente; toujours flanquées de sévères mises en garde contre les méfaits du tabagisme : voilà comment devront être les publicités de produits du tabac au Québec à partir du 31 mai 2008.

La nouvelle réglementation québécoise imposera des restrictions à la publicité et au marketing de tous les produits du tabac, qu’ils se fument ou non, et même à la publicité et au marketing de tout ce qui se fume.

Les projets de règlements du ministère québécois de la Santé, rendus publics en mars, font en sorte que les cigarillos ne pourront pas davantage que les cigarettes être vendus à l’unité. Chaque emballage devra contenir un minimum de dix portions unitaires du produit, à moins que ledit emballage ou ladite portion unitaire se vende à un coût supérieur à 5 dollars.

L’un des deux règlements projetés par le gouvernement québécois précise qu’aux fins d’application de la loi, « tout produit qui ne contient pas de tabac et qui est destiné à être fumé » sera assimilé à du tabac, et soumis à la réglementation. C’est ainsi que la réglementation pourrait servir à contrecarrer la banalisation de divers autres produits légaux, intoxicants et fumés, comme la chicha sans tabac. Et même si la loi fédérale canadienne devait un jour autoriser le commerce de la marijuana, un certain cadre réglementaire serait déjà en place.

Des restrictions bien accueillies

Les groupes engagés dans la lutte contre le tabagisme ont tout de suite fait bon accueil à la nouvelle réglementation sur la publicité et le marketing des produits du tabac.

Tout en restant préoccupée du fait qu’il soit encore possible aux fabricants d’ajouter des saveurs agréables aux produits du tabac, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac s’est montrée ravie de l’intérêt du gouvernement québécois pour les cigarillos. La Coalition coordonnée par Louis Gauvin estime que la nouvelle réglementation empêchera la publicité d’avoir des effets visuels attrayants par le biais du graphisme, des couleurs ou du lettrage. S’étant plainte au cours des dernières années du fait que le commerce du tabac faisait fi de l’esprit de la loi en profitant du « caractère imprécis des libellés de certaines dispositions », la Coalition a applaudi les nouveaux règlements proposés, jugeant qu’ils permettront de mieux faire appliquer la Loi sur le tabac.

Le Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS) a appuyé fortement les mesures projetées, affirmant que cela favorisera une diminution du tabagisme juvénile. Le CQTS, dirigé par Mario Bujold, souhaiterait que le gouvernement interdise l’utilisation, sur les emballages de cigarettes et de cigarillos, de termes faisant référence à des arômes de fruits, alcools ou autres produits de consommation. M. Bujold soutient que des produits aromatisés, placés à côté de friandises, sont perçus par les jeunes comme moins nocifs pour leur santé.

Neil Collishaw, des Médecins pour un Canada sans fumée, a exprimé le regret que la majorité des Canadiens demeurent sans protection contre les formes diverses de marketing du tabac, et il a fait valoir que tous ses compatriotes mériteraient la protection bientôt offerte aux Québécois.

Des cigarettiers sur la réserve

À la fin de mars, les grands cigarettiers n’avaient encore émis aucun communiqué pour réagir à l’annonce des projets de règlements du ministère de la Santé.

Questionnée pour savoir si la compagnie Imperial Tobacco Canada (ITC) avait été étonnée de la teneur de la réglementation québécoise projetée, la directrice des communications corporatives, Catherine Doyle, a admis qu’elle ne l’était pas vraiment, mais s’est empressée d’ajouter qu’ITC allait, avant l’entrée en vigueur des nouveaux règlements, en étudier sérieusement les implications. ITC respectera la nouvelle réglementation mais s’accordera du temps pour décider, parmi plusieurs options, si une contestation en justice est une option pertinente.

Une prudence et une réserve semblables régnaient chez JTI-Macdonald, où le porte-parole André Benoît s’est quand même dit « déçu de la précipitation » à réglementer du gouvernement du Québec, attitude qu’il croit causée par la récente campagne publicitaire des marques de cigarettes de sa compagnie dans certains périodiques québécois, et surtout par la réaction subséquente des groupes antitabac.

Québec prend le relais d’Ottawa

Sitôt adoptée par le Parlement canadien au printemps 1997, la loi fédérale sur le tabac avait été contestée en justice par les grands manufacturiers de produits du tabac.

Ceux-ci prétendaient notamment que cette législation les empêchait de faire la moindre publicité dans des journaux et magazines, et qu’elle représentait donc une brimade à leur liberté d’expression. Un amendement à la loi fédérale, voté en 1998 et prévoyant l’interdiction des commandites d’événements, puis un autre amendement, voté en 2000 et concernant la taille des mises en garde sur les emballages, furent aussi contestés par l’industrie du tabac devant les tribunaux.

Dix années de procédures judiciaires passèrent et la cause fut finalement entendue par la Cour suprême du Canada, laquelle rendit à la fin de juin 2007 son jugement sans appel : toutes les restrictions que la législation fédérale impose à la promotion et à la publicité des produits du tabac sont justifiées, essentiellement parce que le tabac n’est pas un produit comme un autre. L’industrie peut faire de la publicité, mais dans les étroites limites fixées par la loi.

Après dix ans à agir en concordance avec ses allégations, en s’abstenant de faire de la publicité dans les journaux et magazines, l’industrie du tabac décida à la lumière du jugement d’envisager d’autres pratiques, d’où les annonces de JTI-Macdonald à partir de décembre 2007.

Mais entre-temps, les provinces avaient voté des lois, et notamment le Québec, lequel désire se montrer actif dans un champ de compétence qu’il considère comme le sien.

En 1998, l’Assemblée nationale adoptait à l’unanimité une première mouture de la Loi sur le tabac, où étaient prévues une protection étendue des non-fumeurs ainsi que des restrictions dans la vente au détail des produits du tabac. En ce qui a trait à la promotion et la publicité de ces derniers, la loi québécoise reprenait les dispositions de la législation fédérale canadienne.

La loi de juin 2005 modifiant la Loi sur le tabac, elle aussi adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, a accordé un pouvoir réglementaire étendu au ministre de la Santé et programmé l’interdiction après mai 2008 des étalages chatoyants dans les points de vente. En janvier 2005, la Cour suprême du Canada avait confirmé la légalité d’une interdiction similaire appliquée par le gouvernement de la Saskatchewan.

C’est dans cette veine que le ministère québécois de la Santé a publié en décembre 2007, à l’intention des commerçants, des directives concernant les étalages de produits du tabac, et qu’il vient de dévoiler ses projets de règlements sur la publicité et les mises en garde.

Pierre Croteau