Ottawa va bannir des additifs au tabac de même que la publicité visible par les mineurs

Quand le Sénat canadien aura approuvé le projet de loi C-32, voté à l’unanimité par la Chambre des communes le 17 juin, et que le texte aura été contresigné par la gouverneure générale, la Loi restreignant la commercialisation du tabac auprès des jeunes bannira les annonces de produits du tabac dans les journaux et magazines accessibles aux mineurs.

Le vote final du projet de loi présenté le 26 mai au Parlement d’Ottawa par la ministre fédérale de la Santé, Leona Aglukkaq, aura aussi pour effet de réduire l’attrait des cigarillos, en interdisant d’y incorporer certains aromates et autres additifs, ainsi qu’en forçant la vente des « petits cigares » en emballages d’au moins vingt unités. Ces règles sur l’incorporation d’additifs et le nombre d’unités dans un emballage toucheraient aussi les « feuilles d’enveloppe ». Les feuilles d’enveloppe sont composées de tabac naturel ou reconstitué, et souvent aromatisé, et elles sont destinées à être remplies de tabac ou de cannabis par le fumeur, au même titre que du papier à cigarette.

La nouvelle règle sur les additifs s’appliquerait aussi aux cigarettes, mais pas au tabac à pipe ou aux (gros) cigares.

Additifs et quantité : des normes

Certains des additifs qui seraient prohibés, et certains autres qui ne le seraient pas, sont nommés dans une annexe au projet de loi C-32. Les additifs produisant des arômes de fruits, de légumes, d’épices ou de café figurent parmi ceux que la Loi bannirait; le menthol serait parmi les exemptés.

Jusqu’à présent, les seuls additifs bannis par la législation canadienne sont ceux qui y augmentaient jadis l’inflammabilité des cigarettes, et du même coup, même si ce n’était pas le but des fabricants, le risque d’incendies déclenchés par des mégots mal éteints.

Une fois le projet de loi C-32 voté sans aucun amendement par les sénateurs, la nouvelle règle sur les additifs prohibés s’appliquerait 275 jours après la sanction royale par la gouver­neure générale, alors que la nouvelle règle qui interdit la vente d’emballages de moins de vingt unités entrerait en vigueur 180 jours après cette même sanction royale, laquelle se fait habituellement dans les jours suivant un vote final par les parlementaires.

Quant à l’actuel article 22. (1) b) de la Loi sur le tabac qui autorise les annonces de produits du tabac dans des publications dont au moins 85 % des lecteurs sont adultes, il serait immédiatement caduc avec la sanction royale.

Publicité : une vitrine de moins

C’est en vertu de ce fameux article de la loi fédérale de 1997 que des tabloïds gratuits sur papier journal, comme l’hebdomadaire Voir, publié dans différentes villes du Québec, ou Eye, à Toronto, peuvent encore vendre de l’espace publicitaire aux fournisseurs de tabac.

Les cigarettiers s’étaient abstenus d’utiliser ce véhicule publicitaire pendant la décennie qui avait suivi l’adoption de la Loi, parce qu’ils voulaient appuyer par un comportement logique leur prétention devant les tribunaux : la prétention que la Loi brimait leur liberté d’expression garantie par la Constitution canadienne. L’industrie a cependant perdu sa cause le 28 juin 2007, lorsque la Cour suprême du Canada a reconnu comme valide la totalité de la loi fédérale sur le tabac. La juge en chef, Beverley McLachlin, faisait notamment valoir que « lorsque l’expression commerciale est utilisée pour inciter les gens à adopter un comportement préjudiciable et toxicomaniaque, sa valeur devient faible ».

L’automne suivant, la compagnie JTI-Macdonald, empruntant la voie laissée ouverte par la Loi sur le tabac de 1997, recommençait à annoncer dans certains journaux, suivie par les autres cigarettiers à l’hiver 2008.

Quelques réactions

Dans l’industrie, les réactions à la future loi sont diverses. « Nous sommes obligés de vendre nos produits par paquet d’au moins vingt cigarettes, il nous semble logique que les petits cigares soient soumis à la même réglementation », a dit le vice-président aux affaires corporatives et aux communications de JTI-Macdonald, André Benoit, au magazine en ligne Marketing au quotidien.  Au quotidien en ligne RueFrontenac.com, publié par les journalistes en lock-out du Journal de Montréal, le vice-président d’Imperial Tobacco Canada, Donald C. McCarty, a souligné qu’« interdire les saveurs de cerise et de gomme balloune dans les cigarillos est correct, nous sommes d’accord avec ça ».

Il faut remarquer que JTI-Macdonald, Imperial Tobacco Canada ainsi que Rothmans Benson & Hedges, qui sont les trois grands fournisseurs de cigarettes du marché canadien, n’offrent pas de cigarillos. Par contre, ces trois compagnies vendent certaines de leurs cigarettes aromatisées au menthol, un additif que le projet de loi C-32 envisage de maintenir parmi ceux qui sont autorisés. Le préambule du projet de loi précise d’ailleurs que le texte vise à « mieux protéger les jeunes ». Déranger les habitudes ou croyances de fumeurs plus âgés n’est pas le but.

Quant à la restriction additionnelle des possibilités de publicité des produits du tabac prévue par le projet de loi, les grands cigarettiers la considèrent comme une atteinte à leur liberté d’expression commerciale.

Casa Cubana, le distributeur des cigarillos Prime Time, a émis en mai un communiqué où son porte-parole, Luc Martial, reproche à la ministre Aglukkaq de n’avoir « absolument aucune compréhension du tabac et du contrôle du tabac », et fait valoir que les cigarillos comptent pour moins d’un pour cent du marché des produits du tabac au Canada.

Comme l’a rappelé la Fondation des maladies du coeur (FMC), les ventes de cigarillos ont cependant été multipliées par huit entre 2001 et 2007. (Santé Canada n’a pas encore rendu public le montant des ventes de 2008.)

Au surplus, les cigarillos servent à recruter les fumeurs de cigarettes des prochaines décennies, comme l’ont souligné la Société canadienne du cancer (SCC) et la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT).

La FMC, la SCC et la CQCT, de même que l’Association pulmonaire canadienne, les Médecins pour un Canada sans fumée et l’Association pour les droits des non-fumeurs, six groupes qui luttent contre le tabagisme, ont appuyé le projet législatif de la ministre Aglukkaq.

Tout en se réjouissant des effets probables de la future loi, la CQCT a déploré que le menthol demeure permis, rappelant que l’industrie ajoute cet aromate au tabac pour dissimuler l’effet irritant de la fumée sur la gorge, ce qui encourage des fumeurs à sous-estimer les méfaits du tabac. La CQCT a aussi souhaité l’interdiction des « saveurs » dans des produits de tabac non combustible tels que le tabac à chiquer ou le tabac à sucer.

Tout en interdisant expressément plusieurs types de publicité des produits du tabac, ainsi que certains usages des marques de commerce, l’actuelle loi fédérale sur le tabac en autorise la publicité en cinq lieux : premièrement, sur les emballages eux-mêmes; deuxièmement, aux points de vente; troisièmement, sur des affiches placées là où l’accès est interdit aux mineurs par une loi, par exemple dans les bars; quatrièmement, dans des publications expédiées par courrier et adressées à un adulte désigné par son nom (publicité directe); et cinquièmement, dans des publications dont au moins 85 % des lecteurs sont adultes.

Avec l’élimination de ce cinquième canal par l’adoption du projet de loi Aglukkaq, la publicité des produits du tabac au Québec ne sera désormais visible que sur leurs emballages, ou aux points de vente, des points de vente où la publicité est sévèrement limitée, notamment par le règlement de juillet 2008 qui a imposé le noir et blanc ainsi qu’une dimension maximale aux affiches publicitaires en ces lieux.

La raison pour laquelle le Québec est la juridiction où la sollicitation pro-tabac est la plus faible au Canada est la suivante : en 1998, l’Assemblée nationale a aussi voté une Loi sur le tabac, laquelle avait retranché la publicité directe des moyens autorisés pour le promouvoir. Plus précisément, la loi québécoise de 1998 (loi Rochon) ne retenait comme légale qu’un des trois moyens mentionnés à l’article 22 de la loi fédérale de 1997 : la publicité dans des journaux et magazines écrits dont au moins 85 % des lecteurs sont majeurs. La loi Rochon autorisait aussi implicitement les annonces dans les bars du Québec, non parce que ce sont des endroits interdits aux mineurs, mais parce que les bars étaient des points de vente à l’époque. Or, la loi québécoise de 2005 (loi Couillard) est venue à son tour soustraire les bars du nombre des points de vente autorisés, en même temps qu’elle en faisait des espaces protégés pour les non-fumeurs.

Pierre Croteau