Une nouvelle loi sur le tabac pour le Québec!

Début mai, le gouvernement du Québec a enfin déposé un projet de loi qui renforcera la Loi sur le tabac et contribuera à réduire le taux de tabagisme de la province.

Les chiffres sur le tabagisme sont accablants. Chaque année, les cigarettes, cigarillos et autres produits du tabac coûtent au Québec environ quatre milliards de dollars en frais directs et indirects, et entraînent le décès de 10 000 Québécois. Il s’agit de la première cause de mortalité évitable. On ne peut que le constater : il est essentiel d’agir contre cette dépendance. Quant aux 1,5 million de fumeurs que compte la Belle Province, la majorité d’entre eux souhaitent se libérer du tabac. Pour se rapprocher d’un Québec sans fumée, Lucie Charlebois, ministre déléguée à la Santé publique, a donc déposé le 5 mai dernier le projet de loi n° 44, Loi visant à renforcer la lutte contre le tabagisme.

Le projet de loi no 44 a été bien accueilli par les
partis d’opposition et la majorité de la population.

La ministre déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse et à la Santé publique, madame Lucie Charlebois, a présenté en mai un projet de loi qui renforcera la Loi sur le tabac.
La ministre déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse et à la Santé publique, madame Lucie Charlebois, a présenté en mai un
projet de loi qui renforcera la Loi sur le tabac.

Les groupes de santé ont bien réagi à ce projet de loi très attendu. La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac l’a qualifié de geste « important pour la santé des Québécois » et le Conseil québécois sur le tabac et la santé, d’« importante avancée pour la santé publique ». La Société canadienne du cancer – Division du Québec a rappelé que cette loi « sauvera des milliers de vies » tandis que l’Association pour les droits des non-fumeurs a salué « le courage de Mme Lucie Charlebois ». Le directeur de santé publique de Montréal, enfin, a félicité la ministre au nom de Montréal sans tabac. « Je suis très fière du projet de loi que nous avons déposé », dit Mme Charlebois à Info-tabac, en rappelant que celui-ci été bien accueilli par les partis d’opposition et la majorité de la population.

Des mesures importantes et attendues

La loi s’articule autour de trois axes principaux, explique la ministre : favoriser la cessation tabagique, protéger la santé des non-fumeurs et prévenir l’initiation des jeunes au tabac. Concrètement, elle actualise une loi qui n’avait pas été revue depuis 2005. Plusieurs des mesures proposées étaient demandées de longue date par les groupes de santé et presque toutes sont déjà en vigueur dans d’autres provinces ou villes canadiennes (par exemple : l’interdiction de fumer dans les véhicules en présence d’un enfant ou sur les terrasses). Avec la mise à jour de sa Loi sur le tabac, le Québec rattrape donc le retard qu’il avait accumulé. Concrètement, le projet de loi n° 44 propose d’interdire l’usage du tabac dans un plus grand nombre de lieux, incluant :

  • les terrasses des bars et des restaurants;
  • les véhicules en présence d’enfants de moins de 16 ans;
  • un rayon de neuf mètres autour des portes extérieures de tout lieu fermé accueillant le public, incluant les restaurants, les bibliothèques ou les centres commerciaux;
  • les aires communes des immeubles d’habitation comportant deux logements ou plus.

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Une loi plus complète et plus sévère

Le projet de loi resserre aussi les règles entourant la vente et l’usage des produits et des accessoires du tabac. Par exemple, il :

  • définit la cigarette électronique comme un produit du tabac;
  • interdit l’ajout de tout arôme, incluant le menthol, dans les produits du tabac, sauf dans les cigarettes électroniques et les produits destinés exclusivement à l’exportation;
  • pénalise les mineurs qui achètent du tabac (ou les adultes qui le font pour eux) plutôt que seulement les commerçants;
  • interdit l’étalage de tout accessoire des produits du tabac dans les commerces.
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Le projet de loi a été bien accueilli par ceux qui luttent contre le tabagisme, comme Mélanie Champagne, directrice, Questions d’intérêt public de la SCC – Division du Québec.

D’autres mesures sont également prévues, dont l’interdiction de louer une cigarette électronique et une pipe à eau (ou chicha). Info-tabac a demandé à la ministre à quoi pourrait servir cette mesure. Mme Charlebois a répondu : « Elle vise la prévention de nouveaux marchés, mais pourrait affecter certains cafés à chicha déjà en activité. » Le projet de loi n° 44 met aussi fin à l’harmonisation de la Loi sur le tabac québécoise avec la Loi sur le tabac canadienne. « Cela nous permettra d’adopter des mesures plus ambitieuses que le gouvernement fédéral si tel est notre souhait », explique Mme Charlebois. Enfin, la future Loi visant à renforcer la lutte contre le tabagisme augmenterait substantiellement les amendes prévues pour les contrevenants. La plupart de celles-ci sont multipliées par cinq, d’autres par 40 ou 62. Si la loi est adoptée, les récidivistes devront débourser jusqu’à 250 000 dollars, voire un million de dollars.

Un grand absent : l’emballage neutre

Comme l’ont souligné plusieurs groupes, il y a cependant un grand absent dans ce panier de mesures : l’emballage neutre. Les groupes demandent que cette omission soit corrigée à la suite des consultations parlementaires. « Ajouter l’emballage neutre à la loi ferait en sorte que le Québec reprenne véritablement sa place de leader dans la lutte contre le tabagisme, comme en 2005 lorsque le Dr Philippe Couillard était ministre de la Santé », affirme Mélanie Champagne, directrice, Questions d’intérêt public de la Société canadienne du cancer – Division du Québec.

Les groupes de santé demandaient aussi que le projet de loi de Mme Charlebois soit adopté à la mi-juin, avant la fin de la dernière session parlementaire. Cela aurait été possible puisque, en 1998 et en 2005, environ cinq semaines s’étaient écoulées entre le dépôt d’une loi sur le tabac et son adoption. Malheureusement, ces performances n’ont pas été au rendez-vous en 2015. Les consultations publiques sont prévues en août et en septembre. L’adoption du projet de loi se fera donc probablement en septembre, bien que la ministre refuse de s’engager à fixer un échéancier précis. À suivre!

5 % moins de fumeurs en cinq ans?

Mme Charlebois espère que son projet de loi fera chuter le taux de tabagisme du Québec d’environ 5 % (de 21 % à 16 %) au cours des cinq prochaines années. Cet objectif est similaire à celui proposé l’automne dernier par une cinquantaine de groupes de santé : ils demandaient au gouvernement de s’engager à réduire le taux de tabagisme de 10 % en 10 ans. À quel point la nouvelle Loi visant à renforcer la lutte contre le tabagisme contribuera-t-elle à atteindre ces objectifs? « Nous avons une très bonne base, mais il faut aller plus loin », répond Mario Bujold, directeur général du Conseil québécois sur le tabac et la santé.

Selon lui, le Québec pourrait s’inspirer des meilleures pratiques élaborées ailleurs. Aux États-Unis, par exemple, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) proposent un guide des meilleures pratiques pour élaborer et mettre en œuvre des programmes de lutte contre le tabac. Sans proposer de mesures précises, les CDC rappellent que la lutte contre le tabagisme doit comprendre à la fois des stratégies réglementaires, éducationnelles, cliniques, économiques et sociales. Et que celles-ci doivent toutes être menées en parallèle, afin de ne laisser aucune échappatoire à l’industrie.

Selon les CDC, par exemple, le gouvernement ne doit pas seulement mettre en place des programmes favorisant une vie sans fumée. Il doit aussi contrer l’image glamour que garde encore le tabac (notamment au cinéma) avec des campagnes de contremarketing de masse, soutenues et adéquatement financées qui s’adressent autant au grand public qu’aux professionnels de la santé. Au Québec, les campagnes de grande envergure sur le tabagisme sont rares. Le plus souvent, elles concernent malheureusement un événement précis et sont limitées dans le temps.

Les CDC recommandent que les montants annuels alloués à la lutte contre le tabagisme totalisent au moins 7,41 dollars par habitant. Au Québec, cela représente plus du double des fonds présentement investis!

Le guide des meilleures pratiques des CDC recommande aussi que les établissements de santé institutionnalisent leur soutien à la cessation tabagique et que l’impact des services d’aide à la cessation soit adéquatement mesuré. Deux domaines où le Québec pourrait améliorer sa performance. Enfin, les CDC recommandent que les montants annuels alloués à la lutte contre le tabagisme totalisent au moins 7,41 dollars par habitant. Au Québec, cela représenterait environ 61 millions de dollars : plus du double de ce qui est présentement investi dans la lutte contre le tabagisme (20 millions de dollars) et dans le remboursement des thérapies de remplacement de la nicotine (13 millions de dollars). Bref, le Québec est sur la bonne voie, mais peut certainement faire mieux!

Anick Perreault-Labelle