Conférence internationale sur le tabac ou la santé

Des milliers de personnes se sont rassemblées dans la capitale des Émirats arabes unis à la fin mars pour échanger sur la lutte contre le tabagisme. Aperçu des moments forts de cette rencontre à travers les yeux des Canadiens qui y étaient.

Emballage neutre, interférence de l’industrie, cigarettes électroniques, chicha, recours collectifs : le tabac est une réalité avec d’innombrables facettes. Depuis 1967, la World Conference on Tobacco or Health (WCTOH) [Conférence internationale sur le tabac ou la santé] rassemble tous les trois ans des milliers de militants, de chercheurs, de responsables gouvernementaux et de professionnels de la santé. Cette année, la rencontre s’est tenue à Abu Dhabi à la fin mars sous le thème des maladies non transmissibles.

Le succès de l’emballage neutre a occupé beaucoup de place à la conférence d’Abu Dhabi. On voit ici le professeur-chercheur David Hammond (photo de droite), spécialiste canadien de cette question à l’Université de Waterloo.
Le succès de l’emballage neutre a occupé beaucoup de place à la conférence d’Abu Dhabi. On voit ici le professeur-chercheur David Hammond (photo de droite), spécialiste canadien de cette question à l’Université de Waterloo.
Le tabac : bien plus qu’une question de santé

C’est la première fois que cette conférence débordait du tabagisme au sens strict avec comme thème principal les maladies non transmissibles (MNT). Avec raison : le tabac est un facteur de risque dans les quatre plus importantes MNT : le cancer, les maladies cardiovasculaires, les maladies respiratoires chroniques et le diabète.

La 16e édition de la WCTOH a aussi porté son regard sur le développement durable. « Les délégués se sont notamment arrêtés au fait que la culture du tabac est dommageable pour l’environnement et qu’elle nuit à la santé des populations, affirme la Dre Geneviève Bois, porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, présente à la conférence. En effet, cette culture est particulièrement gourmande en eau et en pesticides tandis qu’elle prend souvent la place de plantes alimentaires, ce qui exacerbe l’insécurité alimentaire. » Sécher le tabac exige aussi de grandes quantités de bois, ce qui nuit également à l’environnement et à la santé.

Beaucoup de discussions ont aussi porté sur la responsabilité des gouvernements. « Le ministère de la Santé n’est pas le seul à être concerné par le tabac, note Yvona Tous, conseillère en matière de politiques à la Framework Convention Alliance, un regroupement qui soutient la mise en œuvre mondiale de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. Le ministère de la Justice l’est aussi, par les procès que l’industrie intente aux États; le ministère des Finances, par les taxes sur les produits du tabac; le ministère du Commerce, par les traités commerciaux dont l’industrie se sert pour combattre les politiques de santé publique; le ministère de la Sécurité publique, par le tabac de contrebande, etc. » La conférence a réitéré l’importance de sensibiliser l’ensemble des élus à cette question.

Un Canadien honoré

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Geoffrey Fong, professeur de psychologie à l’Université de Waterloo, a reçu un des prix Luther L. Terry à Abu Dhabi pour sa contribution exceptionnelle à la recherche. En 2002, le Canadien a fondé l’International Tobacco Control Policy Evaluation Project, un réseau de chercheurs d’une vingtaine de pays qui mesurent l’impact de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac sur les fumeurs. Ce prix honore le Dr Luther Terry, le Surgeon General américain (médecin-chef) qui, en 1964, a signé le premier rapport fédéral reliant le tabagisme à différentes maladies.

10e anniversaire de la Convention

Les délégués ont aussi souligné le 10e anniversaire de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. « À ce jour, 180 pays ont signé la convention, ce qui représente presque tous les pays à travers le monde », ajoute Rob Cunningham, analyste principal à la Société canadienne du cancer, également présent à Abu Dhabi. Son entrée en vigueur a accéléré l’adoption de lois sur le tabac et contribué à la baisse du tabagisme. « Les vétérans de la lutte contre le tabac sont sidérés des progrès accomplis et appellent les groupes en santé publique à poursuivre leur lutte en faveur de la protection de la santé », a confié à Info-tabac le Dr Ehsan Latif, directeur du Département du contrôle du tabac à l’Union internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires, l’organisme responsable de la conférence.

En effet, les maladies non transmissibles comme le cancer et le diabète font de plus en plus de ravages. Certes, venir à bout du tabagisme sera difficile. « Mais nous ne devrions pas abandonner avant d’être assurés de la faillite de l’industrie du tabac », a insisté la directrice générale de l’Organisation mondiale de la Santé, la Dre Margaret Chan, lors de la conférence d’ouverture. Cela est d’autant plus important, a-t-elle ajouté que « le tabac est à la fois le plus gros facteur de risque des maladies non transmissibles et celui qui répond le mieux à des mesures de contrôle. » (notre traduction)

Le Canada à la traîne

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« Nous ne devrions pas abandonner la lutte contre le tabagisme avant d’être assurés de la faillite de l’industrie du tabac. » – Margaret Chan, Directrice générale de l’Organisation mondiale de la Santé

C’est la sixième fois que Cynthia Callard assiste à cette conférence internationale. « Contrairement aux années précédentes, le Canada n’était pas un leader ni un pionnier dans le contrôle du tabac, dit la directrice de Médecins pour un Canada sans fumée. Nous étions moins présents et nous n’avions rien de neuf à dire. » Certes, le Canada progresse dans la lutte contre le tabac – notamment avec l’interdiction des saveurs par certaines provinces –, mais d’autres pays sont plus audacieux. Par exemple :

  • l’Écosse, la Nouvelle-Zélande et la Finlande qui se sont engagées à éliminer le tabagisme (endgame) en visant un taux de tabagisme de moins de 5 %;
  • l’Australie, la France, la Grande-Bretagne et l’Irlande qui ont adopté l’emballage neutre tandis que la Norvège, Singapour et l’Afrique du Sud considèrent l’adoption de cette mesure.

D’ailleurs, le succès de l’emballage neutre a occupé beaucoup de place à la conférence d’Abu Dhabi. Les délégués discutaient notamment de la baisse du tabagisme australien à la suite de l’adoption de ces paquets et de leur adoption en Irlande et en Grande-Bretagne quelques jours à peine avant la conférence. « Ce fut une occasion incroyable d’apprendre comment ces gouvernements ont défendu cette mesure, sensibilisé le public et déjoué les tactiques de l’industrie », dit Lesley James, présidente de la Coalition canadienne pour l’action sur le tabac, aussi présente à la conférence. Le combat continue.

Un nouveau fonds pour défendre les politiques de santé publique
Les philanthropes milliardaires Michael Bloomberg et Bill Gates ont créé un fonds pour aider les États à livrer bataille contre l’industrie du tabac devant les tribunaux.
Les philanthropes milliardaires Michael Bloomberg et Bill Gates ont créé un fonds pour aider les États à livrer bataille contre l’industrie du tabac devant les tribunaux.

Un des moments forts de la conférence a été l’annonce d’un fonds visant à soutenir les pays qui livrent bataille contre l’industrie du tabac devant les tribunaux : l’Anti-tobacco Trade Litigation Fund. Ce fonds, créé par la Bloomberg Philanthropies et la Fondation Bill & Melinda Gates, bénéficie présentement de quatre millions de dollars. Il aidera les gouvernements à répondre aux procédures engagées contre eux par les cigarettiers et à rédiger des politiques publiques plus imperméables aux tribunaux. « Les actions des principales compagnies de tabac ont reculé à la suite de cette annonce », se félicite Rob Cunningham, analyste principal à la Société canadienne du cancer.

Anick Perreault-Labelle