Trois fois plus de films québécois que de films étrangers montrent des acteurs en train de fumer
Mai 2011 - No 87
On fume plus souvent dans les dramatiques visibles à Radio-Canada qu’à TVA et à V
Parmi les 15 films produits à l’étranger qui ont été les plus vus dans les salles de cinéma au Québec en 2010, une équipe de recherche québécoise a dénombré 185 plans ou scènes où apparaissent soit du tabac (ou un de ses accessoires), soit un acteur en train de fumer.
Quatre des 15 longs métrages en question (27 %) comportaient au moins une occurrence de tabac ou de tabagisme à l’écran. Par comparaison, l’examen de 12 des 15 longs métrages québécois les plus populaires en salles durant l’année 2010 a donné un total de 743 occurrences de tabac ou d’acteurs en train de fumer, soit quatre fois plus. Neuf sur 12 des films québécois examinés (75 %) incluaient au moins une telle scène.
Voilà des faits qui ressortent d’un tout premier portrait de l’utilisation du tabac dans les films québécois au grand écran, un portrait livré par trois professeurs-chercheurs du département de marketing de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (ESG-UQAM), Anik St-Onge, Lilia Boujbel et François Marticotte.
Moins de fumée à la télévision qu’au cinéma
À la demande du Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS), l’équipe d’universitaires a examiné tout aussi méthodiquement l’usage du tabac dans les téléséries et dramatiques diffusées aux heures de grande écoute (19h à 22h) par Radio-Canada (RC), TVA et V. Avec une programmation aux heures de grande écoute qui se compose de davantage de dramatiques américaines doublées en français que la programmation de TVA, V a montré un peu plus d’images de tabac ou d’acteurs en train de fumer que TVA (où il y avait eu une seule et unique scène durant la période étudiée), mais beaucoup moins que RC, la championne du contenu québécois. En gros, la recherche de St-Onge, Boujbel et Marticotte a permis d’estimer qu’aux heures de grande écoute en 2010, 87 % des scènes où on voyait du tabac ou un acteur en train de fumer étaient visibles dans des émissions de télévision à l’antenne de Radio-Canada.
35 % des dramatiques à la télévision québécoise à l’automne 2010 montraient du tabac ou des acteurs en train de fumer, contre 75 % des films québécois sortis en salles en 2010. Un tableau dans le rapport de recherche permet aussi d’observer que les téléséries et dramatiques les plus vues par les téléspectateurs, lorsqu’on considère les cotes d’écoute au moment de l’enquête (octobre 2010), présentaient soit très peu ou aucune image de tabagisme.
Les données de la recherche indiquent que c’est avec un succès moins grand en général, et très inégal, que le cinéma québécois est arrivé à raconter des histoires sans multiplier les scènes où un acteur fume. Dans le long métrage québécois qui a vendu le plus de billets d’entrée en 2010, Piché : Entre ciel et terre, le spectateur voit apparaître un cendrier ou un acteur muni d’une cigarette à toutes les 66 secondes en moyenne. Lance et compte, le 3e film le plus populaire en salles en 2010, ne contient aucune occurrence de tabac ou d’acteur en train de fumer, alors que Les amours imaginaires, numéro 11 au box-office, en contient une à toutes les 59 secondes, et Cabotins (numéro 14), une à toutes les 18 secondes en moyenne. Avec leur visa G, ces quatre films sont également accessibles à un auditoire de tous âges (voir note 1). Cabotins a cependant été vu par 12,5 fois moins de cinéphiles en salles que Piché : Entre ciel et terre; les impressions laissées sur le public ne sont pas aussi nombreuses.
Fumeurs mis en scène
En visionnant un échantillon de quatre épisodes de chacune des dramatiques et téléséries diffusées aux heures de grande écoute à RC, TVA et V, l’équipe de recherche de l’UQAM a observé que le personnage qui fume tient le rôle principal dans 83 % des cas et que c’est une femme dans 75 % des cas. On voit ce personnage fumer seul dans 11 % des cas, et dans le reste des situations, en présence d’un ou de plusieurs non-fumeurs d’âges divers. Dans une fiction de Radio-Canada telle que La Galère, dont l’action se déroule de nos jours, il y avait, durant les semaines où s’est réalisée la cueillette d’observations, une occurrence de tabac ou d’un acteur en train de fumer à toutes les 2 minutes 33 secondes d’émission, en moyenne, ce qui est aussi élevé que dans Les rescapés, une fiction dont l’action se passe dans les années 1960. Il y avait, à l’époque où les observations ont été recueillies, davantage de téléspectateurs en une semaine pour regarder une émission comme La Galère qu’il y a eu de spectateurs durant toute l’année 2010 pour voir sur grand écran un Piché : Entre ciel et terre. Il est cependant vrai que la carrière d’un film se continue en DVD et autrement.
Dans la plupart des films québécois analysés, les personnages qui fument sont plus fréquemment masculins que féminins. Comme à la télévision, la forme de tabac la plus vue est la cigarette.
L’impact des images
Lors du dévoilement des résultats de la recherche de St-Onge, Boujbel et Marticotte, la chargée de projet du CQTS, Marie-Soleil Boivin, a mentionné les résultats de l’étude Tobacco Vector de 2010 réalisée pour le compte des Médecins pour un Canada sans fumée et qui a estimé que les scènes de tabac à l’écran avaient été la cause d’initiation de 44 % des jeunes fumeurs canadiens âgés de 15 à 19 ans. Environ 36 000 des 82 000 adolescents fumeurs au Québec auraient donc été initiés à la dépendance tabagique par leur exposition au tabac sur des écrans. Marie-Soleil Boivin a aussi rappelé les résultats d’une recherche auprès d’une cohorte de jeunes parue en 2003 dans la revue médicale anglaise The Lancet et qui a calculé que les jeunes exposés fréquemment à des scènes de consommation de tabac voient tripler leur risque de commencer à fumer.
Trophées Oxygène et Cendrier
Le Conseil québécois sur le tabac et la santé a décerné son prix Oxygène de 2010 au film Lance et compte, réalisé par Frédérik D’Amours d’après un scénario du journaliste sportif Réjean Tremblay. Le prix Cendrier a été attribué au film Les amours imaginaires, écrit et réalisé par Xavier Dolan, « parce que la cigarette, en plus d’être présente en quantité excessive, est montrée de façon à valoriser le tabac », de l’avis du CQTS. L’organisme déplore que le film associe la cigarette à la rébellion et au caractère sexy des personnages, alors que le tabagisme est une dépendance qui rend malade.
Marie-Soleil Boivin a tenu à répéter que l’objectif des prix Oxygène et Cendrier n’est pas d’obtenir le bannissement de toutes les scènes de tabagisme au cinéma, mais d’obtenir plus de vraisemblance et moins de stéréotypes dans les fictions à l’écran.
On peut remarquer que le CQTS ne demande pas non plus à l’industrie québécoise de s’auto-réglementer, ce que réclame d’Hollywood le groupe californien Smoke Free Movies.
Le quotidien Métro, l’agence Presse Canadienne et même la télévision de Radio-Canada, qui ont assisté à la divulgation de l’étude de l’UQAM et au dévoilement des lauréats des prix Oxygène et Cendrier, ont rapporté avec simplicité et nuance ce qu’ils avaient entendu ou lu de la professeure St-Onge et du CQTS. La chroniqueuse Nathalie Petrowski de La Presse a plutôt évoqué les ayatollahs en Iran, le voile, la censure et la persécution des cinéastes, comme si de louanger tous les films était la seule critique permise quand on n’appartient pas au quatrième pouvoir.
Pierre Croteau