Stephen Harper prié de freiner la contrebande de cigarettes

Un milliard en taxes perdues
Deux des trois grands fabricants canadiens de cigarettes ont plaidé coupables d’activités reliées à la contrebande de tabac qui a fait rage, surtout au Québec, au début des années 1990. Ils ont écopé de pénalités totalisant 1,15 milliard $ payables aux gouvernements fédéral et provinciaux. Ottawa récoltera 575 millions $ sur quinze ans alors que la part destinée à Québec est de 210 millions $.

Dans un communiqué émis le 15 janvier, à la veille du budget fédéral, la Coalition canadienne pour l’action sur le tabac (CCAT) a pressé le premier ministre Stephen Harper de préserver les progrès durement acquis dans la lutte contre le tabagisme, en amenant son gouvernement à agir, mieux et davantage, contre le marché noir du tabac. Selon les évaluations, qu’elles proviennent du milieu de la santé ou bien de l’industrie, entre 20 % et 30 % des cigarettes usinées transiteraient maintenant par des réseaux criminels au pays, sans qu’aucune taxe ne soit acquittée.

C’est en traitant surtout de pertes fiscales que les défenseurs de la santé ont tenté cette fois-ci d’attirer l’attention du gouvernement conservateur, reporté au pouvoir en octobre 2008 et confronté tant à une crise économique qu’à une opposition parlementaire capable de le renverser. « Des groupes de santé indiquent au premier ministre Harper une façon de recouvrer un milliard en taxes », titre la version française du communiqué. « En ces temps de récession économique, période durant laquelle les gouvernements recherchent désespérément des sources de revenus, il est essentiel qu’Ottawa récupère plus d’un milliard de dollars, un manque à gagner dû aux taxes sur le tabac impayées », avance Garfield Mahood, directeur de l’Association pour les droits des non-fumeurs.

La Coalition canadienne pour l’action sur le tabac, qui comprend les principaux organismes de lutte contre le tabagisme au pays, de même que la plupart des associations philanthropiques ou médicales directement concernées (poumon, cœur, cancer, santé dentaire, etc.), a insisté moins que de coutume sur la propagation de maladies causée par l’expansion ou le maintien du tabagisme. Elle a plutôt rappelé que, selon le vérificateur général de l’Ontario, cette province perd chaque année 500 millions $ en raison du marché noir du tabac. Quant à Ottawa, son manque à gagner est d’environ un milliard. En fait, précise la CCAT, les pertes sont beaucoup plus élevées puisque les gouvernements fédéral, ontarien et québécois ont cessé d’augmenter leurs taxations du tabac depuis longtemps, par crainte de la contrebande.

Rob Cunningham, analyste principal de politique de la Société canadienne du cancer, un des organismes de la CCAT, indique que le prix élevé des cigarettes est largement reconnu comme étant le moyen le plus efficace de réduire le tabagisme. « En raison d’une grande disponibilité du tabac de contrebande à bas prix, la prévalence stagne à 19 % depuis trois ans au Canada », déplore-t-il. Les Canadiens sont pénalisés sur le plan de la santé. « Plus de jeunes commencent à fumer, et moins de personnes arrêtent, ce qui se traduit par des coûts de soins de santé plus élevés à court, moyen et long termes », ajoute-t-il.

La Coalition canadienne pour l’action sur le tabac rappelle que la Gendarmerie royale du Canada a déjà déterminé les principales sources d’approvisionnement de la contrebande de cigarettes. En premier lieu, il y a le côté américain de la réserve mohawk d’Akwesasne, près de Cornwall (ON). Les autres sources importantes sont les réserves mohawks de Kahnawake, près de Châteauguay (QC), et de Tyendinaga, près de Belleville (ON), de même que la réserve des Six Nations, près de Brantford (ON). En fait, l’ampleur du marché noir est proportionnelle à la proximité de ces réserves autochtones, et non pas liée au montant des taxes sur le tabac. Il n’y a presque pas de contrebande dans les provinces de l’Ouest, alors que la taxation provinciale y est presque le double de celle de l’Ontario ou du Québec.

Le gouvernement canadien doit accroître ses efforts contre le marché noir du tabac, insiste la Coalition. En conclusion de son communiqué du 15 janvier, elle énumère une série de sept mesures s’articulant autour du contrôle des manufactures situées en territoire autochtone, dont une caution minimale de 5 millions $ par fabricant, le retrait des permis des firmes illégales et l’interdiction de fournir des matières premières à celles-ci.

Bannière pour Obama

Le 19 février, à l’occasion de sa brève visite à Ottawa, le président des États-Unis Barack Obama a été accueilli devant le parlement par une bannière géante l’invitant à arrêter la contrebande de cigarettes venant de son pays vers le Canada.

« Nous pressons le président Obama de prendre immédiatement des mesures pour fermer les usines illégales qui violent ouvertement les lois fédérales américaines », de dire Bob Walsh, directeur du Conseil canadien pour le contrôle du tabac, responsable de l’initiative.

Denis Côté