« Le plus gros problème, c’est la contrebande », dit Yves Bolduc

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, le Dr Yves Bolduc, croit que la taxation est la méthode « la plus efficace » pour combattre le tabagisme, et juge que « la contrebande, qui fournit des cigarettes à bas prix à toute une population », est au Québec le plus gros problème de la lutte contre le tabac.

D’autre part, le Dr Bolduc, qui est devenu ministre à la fin de juin 2008, poursuit sa réflexion sur les renforcements à la Loi sur le tabac qu’il pourrait proposer en 2010, au moment d’une mise à jour législative prévue par la loi elle-même, mais il n’est pas disposé à partager dès à présent les premiers fruits de cette réflexion. Même attitude provisoirement réservée du ministre au sujet d’une éventuelle disponibilité de la nicotine médicinale hors des pharmacies.

En revanche, le ministre québécois, et député de Jean-Talon depuis septembre 2008, n’a besoin d’aucune période de réflexion additionnelle avant d’exprimer son désaccord total avec le refus d’embaucher des fumeurs que pratiquent certains employeurs. Enfin, le Dr Bolduc conçoit que les futurs reculs du tabagisme au sein de la population québécoise et le progrès des saines habitudes de vie iront de pair avec la réduction des inégalités, particulièrement en matière d’éducation et d’emploi.

Yves Bolduc s’est ouvert sur ces questions lors d’une interview qu’Info-tabac lui avait demandée et qui a eu lieu le 6 février à son bureau de Montréal. Le ministre s’est révélé fort au courant des sujets couverts par la revue mais ne connaissait pas à l’avance les questions formulées ce jour-là par le coordonnateur d’Info-tabac, Denis Côté, et par le reporter.

Contrebande : terrain difficile

Le ministre québécois de la Santé explique ainsi « les stratégies » du gouvernement contre le marché noir : « Premièrement, c’est judiciaire. La contrebande n’est pas un acte légal. Au niveau de la Justice, et puis de la Sécurité publique, il faut voir ce qu’il est possible de faire pour diminuer le phénomène, et pour cela nous avons des contraintes particulières avec les réserves. La réalité, c’est celle-là. » Deuxièmement, on peut faire la promotion de la santé publique et « on avertit les gens qu’avec la contrebande, ils achètent un produit illégal ». Le ministre Bolduc ajoute de lui-même que « malgré tout ça, les gens sont capables de s’en procurer à bas prix », et considère que « la contrebande est aussi difficile à combattre que le tabagisme en tant que tel ».

Le ministre de la Santé est un homme de 51 ans qu’on ne surprendra pas en train d’imaginer des solutions rapides et faciles à de complexes problèmes de société.

Yves Bolduc assure que son ministère peut « informer les gens, essayer de les raisonner », et qu’il le fait. Au vu de médias régionaux qui parlent plus souvent des dépanneurs, dont les ventes sont réduites par la contrebande, que des maladies causées par la consommation accrue de tabac, le ministre de la Santé a cette réaction au sujet du marché noir : « Moi, je ne dirai pas que cela diminue le revenu des dépanneurs, parce que [ce type de revenu], j’aimerais l’éliminer. J’aimerais qu’il n’y ait pas de fumeurs au Québec. Mais une fois que tu as dit cela [et expliqué en quoi la contrebande est nuisible], je crois que tu as fait pas mal le maximum. Je pense que c’est surtout du côté judiciaire qu’il faut regarder, et des mesures en place pour diminuer la contrebande. »

Le ministre insiste sur trois éléments de stratégie anti-contrebande : empêcher ceux qui la font d’en profiter autant, agir pour que le simple revendeur cesse ses activités, et faire en sorte qu’il n’y ait plus d’acheteurs pour qu’il n’y ait plus de vendeurs. Ambitieuses missions, surtout la troisième, dont la réussite un jour dispensera le gouvernement de se soucier des deux autres.

Mais s’il pense volontiers en termes de stratégies, Yves Bolduc fait plus penser à un lieutenant qu’au général.

Quand le coordonnateur d’Info-tabac cherche à savoir si le gouvernement considère que les réserves indiennes, en tant que sources d’approvisionnement du marché noir, sont intouchables, sont un tabou, le ministre Bolduc répond que non et se fait modeste : « Il faut être pragmatique. Il y a des enjeux autres que le tabagisme là-dedans. Ce n’est pas mon dossier à moi. C’est à la Justice et à la Sécurité publique de regarder cela. Je n’ai pas l’intention de m’impliquer là-dedans comme ministre de la Santé. C’est à un autre niveau. »

Législation : le ministre réfléchit

Questionné sur la possibilité de bannir les arômes dans les cigarillos, d’interdire de fumer à la terrasse d’un restaurant, ou d’interdire d’enfumer les enfants à bord d’une automobile, le ministre québécois de la Santé dit vouloir continuer sa réflexion et dévoiler ses couleurs plus tard. Le ministre Bolduc ne sera pas étonné si des groupes s’ajoutent à l’Association pulmonaire du Québec pour réclamer en 2010 la protection des enfants à bord des véhicules contre la fumée secondaire, mais il reste curieux de savoir quels seront les résultats de l’expérience que l’Ontario a commencée en ce sens le 21 janvier.

Pour sa part, l’Association canadienne des dépanneurs en alimentation (NCSA/ACDA), un groupe de marchands de tabac animé par Dave Bryan et Michel Gadbois, réclame aux gouvernements fédéral et provinciaux qu’ils rendent illégale aux mineurs la possession de tabac. Le ministre de la Santé et des Services sociaux ne cache pas sa réticence envers cette approche. « Il faudrait que j’y pense, parce qu’il ne faut pas tout criminaliser. Je serais très prudent par rapport à cela. On a fait un grand pas par l’interdiction de la vente de tabac à des mineurs », souligne le ministre québécois. Le Dr Bolduc n’aime pas l’idée qu’on « créerait tout un mécanisme judiciaire » ou l’idée qu’on pourrait traiter un mineur de 15 ans en possession de tabac de la même façon que le possesseur d’une drogue qui est illégale pour tout le monde.

Inclusion et facteurs défavorables au tabagisme

Le ministre Bolduc n’est pas du tout d’accord avec le refus de certains employeurs d’embaucher des fumeurs. Aller dans cette voie signifie de gérer des affaires délicates, fait valoir le Dr Bolduc. « Des gens vont commencer à mentir pour avoir des emplois », prédit le député de Jean-Talon, qui estime que dans notre société, la tendance est plutôt à la recherche de moyens d’inclure des gens en emplois, dont ceux qui ont des handicaps physiques ou des difficultés d’employabilité. Le ministre s’oppose à une politique de pénalisation des fumeurs et de « ghetto ».

« Aux États-Unis, le système est différent », remarque Yves Bolduc, qui explique qu’outre-frontière « c’est un assureur privé qui assume les coûts de santé » et calcule les primes en fonction du risque de déboursés. Les employeurs « se disent que si les gens ne fument pas, cela va me coûter moins cher », constate le Dr Bolduc. « Si la personne ne travaille pas et continue à fumer », ce n’est plus un employeur en particulier qui assume le coût, « mais il y a quelqu’un dans la société qui l’assume », rappelle le ministre québécois. Les employeurs américains évitent les frais en les refilant à d’autres, sans s’attaquer aux causes, observe Yves Bolduc, qui juge que « le système public québécois est mieux fait pour cela, car le système en général travaille pour diminuer le taux de tabagisme ».

Bien s’alimenter, faire de l’exercice régulièrement et ne pas fumer sont la base de saines habitudes de vie aux yeux du ministre de la Santé. Ce dernier sait aussi que le tabagisme se concentre de plus en plus parmi les personnes pauvres et moins scolarisées. « Plus les gens sont à faible revenu, ou plus ils sont sans emploi, plus ils ont un risque d’avoir de mauvaises habitudes de vie », et moins ils sont en santé, croit le ministre, qui favorise un système social où l’éducation et l’emploi seraient encore plus valorisés que maintenant.

Docteur Bolduc

Vers 1989, des années avant la Loi sur le tabac, au temps où il était médecin de famille à Alma, Yves Bolduc se souvient que « les gens fumaient dans les urgences » et d’avoir été un fervent partisan de l’élimination de la fumée. « Dans ma pratique, à mes patients fumeurs, sans les harceler, je rappelais que c’est important de ne pas fumer. Et j’ai eu d’excellents résultats, juste en leur faisant penser que c’est important », mentionne-t-il. Le Dr Bolduc voyait que certains fumeurs ont besoin de plusieurs tentatives avant de réussir à rompre avec le tabac, et doivent être encouragés à recommencer. Il n’approuvait pas ceux de ses confrères qui menacent des patients de ne plus les soigner pour les pousser à renoncer au tabac. Son avis n’est pas changé en 2009 : « Ce n’est pas la bonne façon ».

Pierre Croteau