Six ordres professionnels s’engagent dans l’arrêt tabagique
Avril 2008 -No 73
Par des encouragements et des conseils, les infirmières, pharmaciens, dentistes, hygiénistes dentaires et inhalothérapeutes sont invités, par l’entremise de leur ordre professionnel, à intensifier depuis trois ans leurs interventions auprès des fumeurs. En comptant les médecins omnipraticiens qui agissent en parallèle (voir l’encadré), ce sont près de 100 000 professionnels de la santé qui mettent la main à la pâte pour réduire le tabagisme au Québec.
L’élan a été pris à partir de 2004, quand le Service de lutte contre le tabagisme du ministère de la Santé et des Services sociaux a confié à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) le mandat d’élaborer et mettre en place, conjointement avec six ordres professionnels, un projet de mobilisation de leurs membres face à l’intervention en abandon du tabac.
Dès le début du projet, les hautes instances de chacun des ordres visés furent rencontrées et ont toutes répondu avec enthousiasme, se rappelle la Dre Michèle Tremblay de l’INSPQ, qui pilote ce dossier avec Mme Hélène Poirier. Afin de brosser un portrait de l’intérêt, de l’apport et des besoins des professionnels, un sondage a été mené auprès d’échantillons aléatoires de 500 membres de chacun des six ordres.
Les résultats ont confirmé l’intérêt des professionnels de la santé pour la lutte contre le tabagisme, et ont dévoilé leurs croyances à propos de leur rôle, de leurs compétences et des barrières à l’intervention. La majorité des répondants indiquent qu’aider les patients à cesser de fumer fait partie de leurs tâches, mentionne la Dre Michèle Tremblay, mais les répondants sont beaucoup moins nombreux à se sentir compétents pour le faire. À la lumière du sondage, le projet de mobilisation cherche à accroître le sentiment d’efficacité personnelle des professionnels et à améliorer leur connaissance des ressources, deux facteurs associés à de meilleures pratiques d’intervention.
Dentistes
L’Ordre des dentistes du Québec (ODQ) s’est vite signalé, dès avril 2005, par une campagne grand public sous le slogan Éteindre vous allume! Affiches, dépliants, annonces à la radio et dans des journaux, et tournée du porte-parole Jason Battah ont sensibilisé la population aux méfaits du tabagisme pour la santé buccodentaire. En plus d’une série d’articles dans Le Journal dentaire du Québec, l’Ordre a publié à l’intention de ses membres un guide de 30 pages intitulé Intervenir auprès des patients fumeurs.
L’ODQ a aussi offert dans 14 villes, dans le cadre d’un perfectionnement sur le cancer buccal, des conférences d’une vingtaine de minutes sur le tabagisme. Pas moins de 1 300 dentistes y ont assisté. La directrice des communications de l’Ordre, Carole Erdelyon, précise qu’un cahier éducatif est en préparation pour l’ensemble du personnel des cliniques dentaires. Cet outil vulgarisé de type flip chart sera utilisé auprès des fumeurs, tant par le dentiste que par l’hygiéniste dentaire, laquelle a généralement plus de temps à consacrer aux patients.
Hygiénistes dentaires
« Le tabagisme a un impact majeur sur la santé dentaire. En tant que professionnels de la santé, nous avons un rôle et une obligation d’intervenir auprès de la clientèle », avance la présidente de l’Ordre des hygiénistes dentaires du Québec (OHDQ), Johanne Côté, pour expliquer son appui enthousiaste au projet de l’Institut. En plus d’un numéro spécial de sa revue L’Explorateur, l’Ordre a consacré plusieurs ateliers de formation sur l’abandon du tabagisme. Depuis peu, l’hygiéniste dentaire doit faire vingt heures de perfectionnement chaque année; l’intervention tabagique est au programme. Régi depuis 1975 par le Code des professions, l’OHDQ compte quelque 4 550 membres, dont 98,7 % de femmes ; quelques braves garçons apprennent actuellement cette spécialité au cégep, se réjouit madame Côté.
Pharmaciens
Pour leur part, les pharmaciens sont de plus en plus portés à aider leurs clients à cesser de fumer, clients qui voient souvent à la télévision des annonces des timbres Nicoderm ou des gommes Nicorette et Thrive. L’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) offre à ses membres un manuel d’autoformation pour aider les fumeurs à décrocher; plus de 1 200 pharmaciens ont retourné le questionnaire d’évaluation joint au manuel, ce qui leur valait des unités de formation continue. Sur le même thème, l’OPQ a tenu des ateliers de formation interactifs de trois heures dans sept villes.
Rappelons que les pharmacies québécoises ne vendent plus de tabac depuis 1998, à la suite d’une longue bataille judiciaire de l’OPQ contre plusieurs grands franchiseurs qui tenaient à en vendre, dont le vrai Jean Coutu. L’homme d’affaires a par la suite admis que la disparition du tabac de ses tablettes était une bonne chose, positive pour la profession. Depuis quelques années, le Groupe Jean Coutu est l’un des commanditaires majeurs du Défi « J’arrête, j’y gagne! ».
Infirmiers
Fort de ses 70 000 membres, l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec s’est distingué par son document d’orientations cliniques de 64 pages publié en 2006. Le manuel, titré Counseling en abandon du TABAC Orientations pour la pratique infirmière, aborde la dépendance au tabac, le processus du changement de comportement et l’efficacité des interventions. L’Ordre a aussi publié des textes sur le tabac dans sa revue Perspective infirmière, dont un titré La lutte au tabagisme : comment quelques minutes peuvent sauver des vies. Des ateliers de formation interactifs de trois heures ont aussi été dispensés aux membres.
En plus d’être actives dans les Centres d’abandon du tabagisme opérés par les Centres de santé et de services sociaux, les infirmières sont présentes en milieu scolaire et dans la grande entreprise (qui dispose souvent de services de santé pour le personnel).
Inhalothérapeutes
Du côté des inhalothérapeutes, l’ordre professionnel a mis l’accent sur la formation des membres. Près de 23 % des quelque 3 300 membres ont pris part à l’atelier interactif de trois heures, lequel a été organisé dans six villes du Québec. De plus, un outil d’aide à la pratique, en format de poche et adapté à la réalité des inhalothérapeutes, a été développé. Dans la revue de l’Ordre, L’inhalo, le tabac est un sujet abordé fréquemment. La revue des inhalotérapeutes et celle des hygiénistes dentaires reproduisent parfois des articles d’Info-tabac (avec notre permission). L’inhalothérapeute est spécialisé dans les soins du système cardiorespiratoire et exerce en étroite collaboration avec les médecins et autres professionnels de la santé. Sa formation est donnée au niveau collégial depuis 1969.
Rayonnement du projet
Signe de succès, le projet de mobilisation des professionnels de la santé québécois a été exposé dans ses grandes lignes lors de la plupart des conférences sur le tabagisme fréquentées par les Canadiens, notamment à Ottawa, Toronto, Edmonton, de même qu’à Washington et Paris, par des présentations orales ou des affiches. Le projet, qui fera prochainement l’objet de deux publications scientifiques, devrait être prolongé avec le soutien financier du Ministère, espèrent mesdames Poirier et Tremblay. Elles souhaitent continuer à améliorer la compétence de milliers d’intervenants, grâce à des ateliers, guides, articles et autres innovations tous azimuts adaptées aux réalités des professionnels.
106 670 consultations
De leur côté, les médecins omnipraticiens ont reçu une incitation particulière de l’État. Depuis le 1er janvier 2007, le régime d’assurance maladie du Québec les rétribue 30 $ par consultation tabagique (limitée à une par année par fumeur ou récent fumeur). Durant l’année 2007, le régime a ainsi rémunéré 106 670 consultations, pour un total de 3,2 millions $, soit une moyenne d’une consultation par médecin chaque mois.
L’ordre professionnel régissant la médecine est le Collège des médecins du Québec (CMQ), qui avait publié en 1999 des lignes directrices sur La prévention et l’abandon du tabagisme. Le CMQ compte environ 16 000 membres répartis en deux syndicats, soit environ 8 000 omnipraticiens et autant de médecins spécialistes.
Denis Côté