Révision de la loi : Québec s’engage!

Des groupes de lutte contre le tabagisme ont obtenu que le ministre québécois de la Santé et des Services sociaux s'engage à réviser la Loi sur le tabac. De gauche à droite : Heidi Rathjen, Geneviève Berteau, Daniel Veilleux, Dre Pierrette Michaud, Micheline Bélanger, Flory Doucas, Mélanie Champagne, Mario Bujold, Dominique Massie et Mathieu Leroux.
Des groupes de lutte contre le tabagisme ont obtenu que le ministre québécois de la Santé et des Services sociaux s’engage à réviser la Loi sur le tabac. De gauche à droite : Heidi Rathjen, Geneviève Berteau, Daniel Veilleux, Dre Pierrette Michaud, Micheline Bélanger, Flory Doucas, Mélanie Champagne, Mario Bujold, Dominique Massie et Mathieu Leroux.
Les groupes prosanté du Québec ont profité de la 26e Journée mondiale sans tabac pour exiger que le gouvernement provincial s’engage à réviser la Loi sur le tabac. La bonne nouvelle? Tout indique que leur demande a été entendue.

Il dégage de plus en plus souvent une odeur de vanille ou de pêche et son emballage est habituellement de couleur vive. N’empêche : le tabac reste mortel et tue encore chaque jour, au Québec, l’équivalent d’un autobus scolaire rempli. Pour mettre fin au carnage, les groupes de lutte contre le tabagisme ont profité de la 26e Journée mondiale sans tabac pour organiser une conférence de presse réclamant du ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, le Dr Réjean Hébert, un engagement à renforcer la Loi sur le tabac d’ici l’automne. Bonne nouvelle : leur demande a apparemment été entendue.

Le ministre Hébert a confié au Soleil que les parlementaires « regarderont  une Loi sur le tabac qui n’a pas été mise à jour depuis de nombreuses  années ». De son côté, le leader du Parti libéral du Québec, Philippe Couillard, s’est dit « sympathique » aux demandes des groupes tandis que, dans un communiqué de presse, la Coalition Avenir Québec « [espère] qu’un renforcement de la loi sera adopté le plus vite possible ». Le grand public embarque aussi. Selon un sondage réalisé en 2013 pour le compte de la Société canadienne du cancer – Division du Québec (SCC), 75 % des Québécois soutiennent l’interdiction des saveurs dans les produits du tabac et 88 % accepteraient que l’industrie soit obligée de rendre ses produits moins attirants pour les jeunes.

La conférence de presse a rassemblé la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT), l’Association des médecins omnipraticiens du Québec (AMOQ), l’Association pulmonaire du Québec (APQ), le Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS), la SCC, le Réseau du sport étudiant du Québec (RSEQ) – Région de Québec et de Chaudière-Appalaches et Micheline Bélanger, survivante d’un cancer du poumon.

L’hécatombe du tabac

Entre 2004 et 2011, le Québec a perdu moins d’un pour cent de fumeurs, ont-ils rappelé. Ce n’est guère une bonne nouvelle. « Cela signifie qu’année après année, une nouvelle cohorte de jeunes remplace les fumeurs qui parviennent à cesser de fumer et les plus de 10 000 personnes qui en décèdent prématurément », a dit Flory Doucas, codirectrice de la CQCT, lors de la conférence de presse. Dix mille : « C’est l’équivalent de trois fois la catastrophe du World Trade Center… chaque année », a illustré Mélanie Champagne, coordonnatrice, Questions d’intérêt public à la SCC.

Cette hécatombe est aussi révoltante qu’onéreuse. « Le tiers des coûts encourus par les journées d’hospitalisation sont directement attribuables au tabagisme », a rappelé Dre Pierrette Michaud, administratrice de l’AMOQ. Pour réduire la facture des soins de santé, la diminution du tabagisme apparaît comme une solution « évidente, efficace et économique », a-t-elle dit.

Plus précisément, les groupes présents à la conférence de presse ont réclamé l’interdiction des saveurs dans les produits du tabac; l’emballage neutre et standardisé pour tous les produits du tabac; un moratoire sur tous les nouveaux produits du tabac et l’interdiction de l’usage du tabac dans les véhicules transportant un enfant. La SCC a lancé une pétition en faveur de certaines de ces mesures et de l’intégration de la cigarette électronique dans la Loi sur le tabac.

stickerEnfants à bord, fumée dehors!

À l’occasion de la Journée mondiale sans tabac, le Réseau conseil de la gang allumée (RCGA) a invité les automobilistes à ne pas fumer à bord de leur véhicule quand ils transportent des enfants. Pour que son message soit bien entendu, il a dévoilé son autocollant « Enfants à bord, fumée dehors! », à placer dans la lunette arrière des véhicules.

Le Québec est l’une des dernières provinces où l’usage du tabac dans les véhicules transportant des mineurs demeure permis. Or, 91 % des Québécois aimeraient que cela soit interdit, selon un sondage Léger de 2011. Mieux : c’est une mesure que préconisent désormais plusieurs Directions de santé publique, dont celles de l’Abitibi-Témiscamingue, de l’Estrie, de Montréal, de la Montérégie et des Laurentides.

Jusqu’à 27 fois plus de fumée!

La fumée secondaire peut être jusqu’à 27 fois plus élevée dans un véhicule enfumé que dans le logement d’un fumeur, ont expliqué les adolescents du RCGA lors de leur conférence. « Poser cet autocollant sur sa vitre arrière, c’est encourager la protection des enfants et de leur santé », a conclu Théodore Tremblay, le représentant de 14 ans de la grande région de Laval.

Le ministre québécois de la Santé et des Services sociaux, le Dr Réjean Hébert, ainsi que Philippe Couillard, leader de l’opposition libérale, se sont dit en faveur d’une loi interdisant l’usage du tabac dans les véhicules transportant des enfants. En attendant, tous les automobilistes peuvent se procurer gratuitement un autocollant « Enfants à bord, fumée dehors! » chez Pharmaprix, jusqu’à épuisement des stocks.

L’objectif : sauver les adolescents du tabagisme

Ces mesures serviront surtout à réduire l’attrait du tabac pour les adolescents. L’emballage des cigarettes ultraminces Vogue, par exemple, rappelle plus celui d’un rouge à lèvres que d’un paquet de cigarettes. « De toute évidence, il ne s’adresse pas aux travailleurs de la construction, mais à des jeunes filles soucieuses de leur poids », a constaté Mario Bujold, directeur général du CQTS. Les saveurs sucrées de certains produits du tabac appâtent tout autant les jeunes Québécois que les emballages colorés : en 2011, près de 60 % des 15 à 19 ans disaient avoir déjà essayé un cigarillo ou un cigare, rapporte le Centre pour l’avancement de la santé des populations Propel de l’université de Waterloo. Des produits très souvent aromatisés. « Est-ce normal et acceptable qu’on laisse l’industrie parfumer […] des produits toxiques, qui […] sont mortels? » a demandé Daniel Veilleux, directeur général du RSEQ – Région de Québec et de Chaudière-Appalaches.

Un témoignage émouvant

Un témoignage de Micheline Bélanger, victime du tabac, a clos la conférence de presse. « Quand j’ai commencé à fumer à 11 ou 12 ans, j’étais une victime », a dit cette femme qui a fumé pendant 48 ans et reçu un diagnostic de cancer du poumon en 2010. une victime des compagnies de tabac. « J’ai une petite-fille de 12 ans, a-t-elle ajouté avec beaucoup d’émotion. Je ne veux pas qu’elle tombe dans le même piège que moi. »

« La balle est dans le camp des politiciens », a conclu Mélanie Champagne.

Les produits du tabac aux saveurs sucrées et fruitées, ça suffit, ont répété (de gauche à droite) Kate Connor, maman de quatre enfants; Gaston Rioux, de la Fédération des comités de parents du Québec; la Dre Pascale Hamel, de l'Association des pédiatres du Québec, Flory Doucas, de la Coalition pour le contrôle du tabac et Dr Richard Massé, de l'Agence de santé et de services sociaux de Montréal.
Les produits du tabac aux saveurs sucrées et fruitées, ça suffit, ont répété (de gauche à droite) Kate Connor, maman de quatre enfants; Gaston Rioux, de la Fédération des comités de parents du Québec; la Dre Pascale Hamel, de l’Association des pédiatres du Québec, Flory Doucas, de la Coalition pour le contrôle du tabac et Dr Richard Massé, de l’Agence de santé et de services sociaux de Montréal.
Interdire les saveurs : un must !

Pour tous ceux qui combattent le tabagisme, il est urgent d’interdire les saveurs dans les produits du tabac. Pour eux, un produit toxique ne devrait pas dégager une odeur agréable et sucrée de pomme, de café ou de chocolat qui dissimule son odeur déplaisante, masque son goût amer, banalise ses dangers et attire les adolescents. En effet, malgré leur goût sucré et attirant, ces produits dégagent tout autant, voire plus, de composés toxiques que la cigarette. Or, non seulement ils ne sont pas interdits, mais ils gagnent en popularité auprès des jeunes. Entre 2000 et 2011, les ventes de cigarillos et des cigares – deux produits généralement aromatisés – ont augmenté de plus de 380 %. De plus, la mode de la chicha – elle aussi aromatisée – se répand chez les jeunes.

Tous ensemble contre les saveurs

C’est pourquoi, début mai, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT), l’Association des pédiatres du Québec, la Fédération des comités de parents du Québec, l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal et une mère de famille, Kate Conner, ont réclamé d’une seule voix, au gouvernement du Québec, l’interdiction rapide des saveurs dans tous les produits du tabac. Ottawa avait déjà interdit les arômes dans les petits cigares en 2009. Mais depuis, les compagnies ont légèrement modifié ceux-ci pour qu’ils échappent à la définition légale d’un « petit cigare » et demeurent aromatisés… en toute légalité.

Les élus commencent à entendre le message. À la mi-juin, la députée libérale Rita de Santis, qui siège à la Commission parlementaire de la santé et des services sociaux, a déposé une pétition à l’Assemblée nationale réclamant « le renforcement de la Loi sur le tabac, notamment pour interdire les additifs qui rendent le tabac attrayant aux jeunes ». « C’est la première fois qu’un élu pose un geste concret en faveur de la révision de la loi, se félicite Flory Doucas, codirectrice de la CQCT. C’est quelque chose que l’on attend depuis longtemps, surtout que l’on comprend que Mme de Santis a l’appui de son parti. »

S’il va de l’avant avec un projet de loi, le Québec aura des précédents dont il pourra s’inspirer : le Brésil interdira les saveurs dans tous les produits du tabac dès septembre 2013 et l’Alberta, d’ici 2015. La population, en tout cas, semble embarquer : la pétition de Mme de Santis, a récolté plus de 1127 signatures.

Anick Labelle