La lutte américaine contre le tabac
Juillet-Août 2013 - No 97
La lutte contre le tabagisme s’est intensifiée aux États-unis au cours des quatre dernières années. Mais le travail ne fait que commencer.
Aux États-Unis, le nombre de fumeurs a chuté de 8 % entre 1980 et 1990, mais d’à peine 1 % entre 2003 et 2009, selon les Centers for Disease Control and Prevention. La baisse du nombre de fumeurs a toutefois repris de la vigueur en 2009, quand Washington a autorisé la Food and Drug Administration (FDA) à réglementer le tabac : entre 2009 et 2011, les États-unis ont perdu environ 2 % de « nicotinomanes ». Bref, la lutte contre le tabagisme avance chez nos voisins du sud où, comme au Canada, environ 20 % de la population fume. Même si les groupes antitabac américains jugent que tout cela ne progresse pas assez vite.
Une nouvelle loi
Le Family Smoking Prevention and Tobacco Control Act a été un véritable coup de tonnerre : adopté en 2009, il autorise la FDA à réguler la fabrication, le marketing et la vente des produits du tabac. « Les États-Unis avaient un grand retard à cet égard parce que le contrôle du tabac dépendait de chaque État et était donc très décentralisé », dit Flory Doucas, codirectrice de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. En clair : cela multipliait les portes par lesquelles l’industrie pouvait influencer les législateurs. Grâce au Tobacco Control Act, la FDA a pu interdire, partout au États-Unis, les saveurs dans les cigarettes, la vente de produits du tabac aux mineurs, les distributrices automatiques, la commandite de concerts et d’événements sportifs par des marques de tabac et les termes « légers » et « doux ». La FDA publiera aussi sous peu les principaux constituants nuisibles ou potentiellement nuisibles des différentes marques des produits du tabac.
Approche scientifique
Depuis 2009, la FDA « a posé les fondations d’une réglementation globale et basée sur la science », résume une porte-parole. À la suite de la révision des études scientifiques, par exemple, l’agence a assoupli ce printemps les règles entourant l’usage des thérapies de remplacement de la nicotine (TRN), comme les gommes et les timbres transdermiques. Désormais, contrairement à l’usage qui prévalait, l’utilisation simultanée des TRN et d’autres produits du tabac est autorisée. L’emploi des TRN peut aussi dépasser 12 semaines, pourvu que l’usager en avertisse son médecin.
La FDA s’appuie aussi sur la science pour autoriser ou non la commercialisation de produits du tabac nouveaux ou modifiés. Ainsi, tout produit introduit sur le marché après février 2007 doit être substantiellement équivalent à un produit déjà disponible. La démonstration de cette équivalence doit s’appuyer sur des preuves solides et tenir compte de toutes les caractéristiques dudit produit, incluant ses ingrédients et son emballage. Si un produit est jugé trop nouveau, les manufacturiers doivent démontrer – encore une fois, preuves à l’appui – qu’il ne soulève pas de nouvelles questions de santé publique. Par exemple, qu’il n’est pas plus toxique que les produits existants, plus attirant ou perçu comme plus sécuritaire par les consommateurs. Pour plusieurs, ces nouvelles exigences représentent un quasi-moratoire sur les nouveaux produits puisqu’elles en ont paralysé leur commercialisation.
La même approche scientifique guide la FDA dans sa caractérisation des « produits du tabac au risque modifié ». Ceux-ci, en gros, doivent engendrer moins de risques pour le fumeur lui-même sans augmenter le nombre de personnes qui fument ni réduire le nombre de fumeurs qui arrêtent. « C’est une preuve difficile à faire, et c’est normal que ce le soit », juge Danny McGoldrick, vice-président de la recherche à Campaign for Tobacco-Free Kids (CTFK), un organisme sans but lucratif qui lutte contre le tabagisme.
Des dossiers qui traînent
On le voit : les États-unis ont fait d’importants progrès et, à plusieurs niveaux, devancent désormais le Canada. Malgré cela, il leur reste encore du chemin à parcourir pour mettre le tabac K.-O. « C’est un dossier très politique, parce que les cigarettiers ont les poches profondes et influencent les législateurs », indique Flory Doucas. Mentionnons aussi l’habitude qu’a l’industrie de contourner la législation en respectant sa lettre plutôt que son esprit.
« Le processus d’approbation de la FDA pour les produits de tabac nouveaux ou modifiés manque de transparence, ajoute Danny McGoldrick. Nous ignorons quels produits attendent une approbation et quelles données ont été soumises par les manufacturiers pour ce faire. En fait, on ne sait même pas si ces données existent! »
On le voit : les États-Unis ont fait d’importants progrès et, à plusieurs niveaux, devancent désormais le Canada.
Son association aimerait aussi que la FDA accélère les procédures. Ainsi, alors qu’elle peut réglementer l’ensemble des produits du tabac – incluant cigares et cigarettes électroniques – elle s’en tient pour l’instant aux cigarettes et au tabac sans fumée. Certaines compagnies en profitent. « Elles ont ajouté du tabac dans le papier de leurs cigarettes afin qu’elles correspondent à la définition d’un cigare », écrit dans un courriel l’équipe de CTFK. De même, la FDA peut interdire depuis 2009 tout ingrédient dans les produits du tabac, incluant le menthol. Mais quatre ans après l’adoption de la loi, la FDA s’apprête (à peine) « à publier une proposition de règlement [sur cette question] en vue d’une consultation publique », écrit une porte-parole de l’agence.
Avertissements graphiques jugés inconstitutionnels
Une autre tuile est tombée sur la tête des groupes de lutte contre le tabagisme début 2012 : un tribunal a jugé que la FDA ne pouvait pas imposer des avertissements graphiques sur 50 % des surfaces avant et arrière des emballages des produits du tabac. Cela est inconstitutionnel, a décidé le juge Richard J. Leon. D’abord, bien que « le gouvernement puisse […] plaider de sa propre voix […], il ne peut pas forcer les autres, comme les plaignants, à lui servir de porte-voix contre leur gré », écrit-il. Ensuite, « les images graphiques [proposées] ne sont ni factuelles ni justes […]. Par exemple, […] l’image d’un homme exhalant de la fumée de cigarette à travers un trou de trachéotomie […] n’est pas utilisée pour montrer une conséquence usuelle du tabagisme […] [mais] pour symboliser″ la nature addictive du tabagisme″. » Le gouvernement américain a annoncé début 2013 qu’il concevrait de nouveaux avertissements plutôt que d’en appeler de cette décision auprès de la Cour suprême.
Espoir à l’horizon
Cela dit, le ciel de l’antitabagisme n’est pas uniformément sombre aux États- unis. En effet, une autre cour a confirmé ce printemps que l’ensemble du Family Smoking Prevention and Tobacco Control Act était valide. Mieux : les cigarettiers ne pourront pas faire appel puisque la Cour suprême a refusé d’entendre la cause. En parallèle, les Centers for Disease Control and Prevention américains ont diffusé d’avril à juillet leur deuxième campagne nationale sur les méfaits du tabac : Tips from former Smokers [Conseils d’ex-fumeurs]. Enfin, début 2013, le Center for Tobacco Products de la FDA a accueilli un nouveau directeur : Mitchell Zeller. Selon plusieurs analystes, cet habitué des groupes de santé publique pourrait acérer les dents de la FDA. Pour le plus grand bien, sûrement, des Américains.
Anick Perreault-Labelle