Réseaux sociaux : la nicotine en vedette

Les effets de la nicotine sur le cerveau

Les créateurs de contenu sont-ils influencés eux-mêmes par l’industrie de la nicotine afin de produire du contenu louant cette substance pour ses supposés effets bénéfiques sur la cognition, de façon à persuader un nombre incalculable de jeunes? Cette tendance de plus en plus affirmée se révèle inquiétante. Mais qu’en est-il vraiment de la question?

De plus en plus d’influenceur·ses sur les réseaux sociaux vantent la nicotine comme un moyen d’améliorer les facultés cognitives, en particulier la concentration et la mémoire. Elle est présentée comme une solution rapide et attrayante aux jeunes qui cherchent à optimiser leurs performances, surtout pour leurs examens scolaires ou leur rendement au travail. Or, même si les effets immédiats de la nicotine semblent produire un regain de vigilance, elle entraîne des conséquences beaucoup plus préoccupantes sur la cognition à long terme.

La nicotine et ses effets sur la cognition : un danger sous-estimé

La nicotine est une substance qui exerce de multiples impacts sur le cerveau. Si certaines recherches montrent qu’elle peut temporairement améliorer l’attention, la concentration et la mémoire, ses effets à long terme et son potentiel de dépendance suscitent de vives préoccupations. Mais quelles sont les véritables répercussions de la nicotine sur la cognition et quels sont les risques qui en découlent?

La nicotine agit sur le système nerveux central en augmentant la libération de plusieurs neurotransmetteurs, notamment l’acétylcholine et la dopamine, ce qui peut entraîner une amélioration momentanée des fonctions cognitives et réduire la perception de l’anxiété et du stress.  De nombreuses personnes signalent une hausse de leur vigilance, une meilleure capacité de concentration et un effet stimulant sur la mémoire pendant l’exécution d’une tâche. Toutefois, ces « bénéfices » sont éphémères et disparaissent rapidement après la consommation, suscitant ainsi le besoin de consommer de nouveau. Il s’avère d’autant préférable sur plusieurs plans, dont ceux de la santé et de l’économie, d’adopter des solutions plus saines et plus durables, comme la pratique d’un sport.

Chez les personnes qui fument régulièrement, la sensation de stimulation cognitive découle en général du soulagement des symptômes de manque. L’arrêt du tabac ou des produits nicotiniques peut entraîner un déclin cognitif temporaire, mais les études montrent que le cerveau retrouve progressivement son équilibre après quelques semaines ou quelques mois d’abstinence.

La nicotine, loin d’être un simple stimulant bénéfique, exerce des effets complexes sur le cerveau. À court terme, elle peut effectivement entraîner une sensation de concentration accrue en stimulant certaines zones cérébrales. Cependant, à long terme, l’usage régulier de la nicotine perturbe les mécanismes neuronaux et modifie les circuits du cerveau, ce qui peut produire une action délétère sur la mémoire, l’attention et l’humeur. En outre, la dépendance que cette substance  engendre réduit la capacité naturelle du cerveau à fonctionner de manière optimale, et rend les utilisateur·trices plus vulnérables à des troubles cognitifs à long terme.

La nicotine crée une forte dépendance et son usage prolongé peut entraîner :

  • des effets néfastes sur la plasticité cérébrale, notamment chez les jeunes dont le cerveau est encore en développement;
  • une dépendance qui peut mener à une consommation prolongée de produits du tabac ou de dispositifs de vapotage.

Si quelques scientifiques s’intéressent à l’usage possible de la nicotine comme nootrope (substance améliorant les performances cognitives), les données scientifiques actuelles ne justifient pas son utilisation à des fins thérapeutiques chez des populations non dépendantes. Pour les spécialistes de la santé, les enjeux principaux restent donc la prévention et l’accompagnement du sevrage nicotinique.

Les créateurs de contenu qui font la promotion de la nicotine auprès des jeunes ne mesurent pas toujours les contrecoups de leurs messages. Bien qu’ils laissent entendre que la nicotine les aide à rester concentrés et performants, les recherches montrent, au contraire, que cette substance a des effets secondaires inquiétants.  La dépendance à la nicotine peut en effet mener à des troubles cognitifs, à l’anxiété, à des troubles du sommeil et à une détérioration générale de la santé mentale. Les jeunes, en particulier, sont plus vulnérables aux effets de la nicotine, car leur cerveau reste en développement jusqu’à l’âge de 25 ans. Par conséquent, la consommation régulière de nicotine peut entraîner d’irréversibles effets négatifs sur leurs capacités cognitives et leur bien-être.

Au-delà de la nicotine elle-même, c’est la responsabilité des influenceur.ses qui est en question. En exploitant les tendances populaires, ces créateurs de contenu génèrent du trafic et surhaussent leur visibilité, sans se soucier forcément des conséquences qu’aura ce contenu sur leur public, surtout jeune et vulnérable. Bien souvent, ces influenceurs ne présentent qu’une vision partielle, voire erronée, des effets de la nicotine, sans en mentionner les risques à long terme. Ce manque de transparence et de responsabilité témoigne d’un réel problème éthique, d’autant plus que certain·es d’entre eux recourent à des stratégies pour contourner les réglementations sur le contenu commandité, de telle sorte qu’il devient difficile pour leur audience de distinguer une véritable recommandation d’une publicité déguisée.

La promotion de produits comme la nicotine par les influenceur·ses soulève des questions sur le rôle de la régulation. Bien que des lois aient été adoptées dans certains pays, comme la France, pour encadrer les pratiques des influenceur·ses et interdire la promotion de produits nocifs, la capacité de régulation est un défi de taille. Depuis 2019, 229 influenceur·ses ont publié du contenu publicisant des produits de nicotine en France, contrevenant ainsi à la Loi no 2023-451 du 9 juin 2023 qui vise à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceur·ses sur les réseaux sociaux. Le contenu qu’ils·elles ont diffusé a atteint 24 millions de personnes, une tribune considérable pour l’industrie.

Certains influenceurs trouvent des moyens de contourner ces règles, par leur recours à des mots-clics (hashtags) ou à la création de contenus qui ne sont pas clairement désignés comme étant commandités. De telles tactiques font qu’il est plus difficile pour les jeunes de discerner le message réel et les dangers associés à ces produits.

Pour contrer cette tendance, il est crucial d’encourager une éducation qui aide les jeunes à acquérir un esprit critique face aux contenus qu’ils consomment sur les réseaux sociaux. Il demeure essentiel de les sensibiliser aux dangers de la nicotine et aux manœuvres de l’industrie. Plusieurs ressources et initiatives ont été conçues pour éduquer les jeunes, tels les programmes scolaires portant sur les risques liés à la nicotine et sur les stratégies de marketing des produits de tabac, ainsi que les études se penchant sur l’impact des vidéos de vapotage publiées sur des plateformes comme TikTok.

Les jeunes, comme les adultes, doivent être informés que la nicotine n’est pas une solution pour stimuler ou tonifier son cerveau ni pour gérer son anxiété. Des solutions de rechange saines, comme une bonne hygiène de vie, l’exercice physique, un sommeil de qualité et la gestion du stress, sont bien plus efficaces pour optimiser les performances mentales et conserver un bon équilibre psychologique.

Les professionnel·les de la santé jouent un rôle de premier plan en informant le public de ces risques et en soutenant des choix sains. Nous pouvons amoindrir les répercussions qu’ont ces manœuvres de séduction sur la santé publique en présentant de l’information fondée sur des données probantes et en sensibilisant les jeunes aux dangers de la nicotine.

Pour en savoir davantage, consulter notre article intitulé « Quand les réseaux sociaux mettent la vapoteuse sous les projecteurs ».

 Caroline Normandin, Ph. D.